Félicie Petit est directrice de « Mon école extraordinaire », à Annecy-le-Vieux.
Une école « parenthèse », qu’elle a créée il y a 7 ans.
Elle répond au besoin des parents qui, comme elle, doivent gérer le quotidien d’un enfant qui rencontre des difficultés dans son apprentissage. Elle raconte son expérience positive sur le plateau de « Vous êtes formidables » sur France 3
C’est une école pas comme les autres. Félicie Petit est directrice de « Meeo », qui signifie « Mon école extraordinaire ». Son but est d’accompagner des élèves, souffrant de troubles du neuro-développement, et ayant du mal à suivre une scolarité classique. Elle leur offre une sorte de parenthèse dans leur cursus scolaire, dans l’idée de leur permettre de retrouver, le plus rapidement possible, une école plus classique.
Félicie a créé cette école à Annecy-le-Vieux, il y a 7 ans. C’est là qu’elle est née. Mais c’est plutôt à Thônes, en Haute-Savoie, qu’elle situe le véritable début de sa vie. « Pour moi, c’est le lieu de la renaissance, même si j’y habite depuis très peu de temps. C’est la petite ville « cocon », idéale pour élever mes quatre jeunes ados », explique cette maman.
Elle définit elle-même son parcours « d’assez chaotique », avec un brin d’humour. « J’ai eu du mal à me trouver. Dans certains pays, on dirait plutôt que c’est un parcours assez riche », ajoute-t-elle. « Les principales étapes en ont été la philosophie, l’histoire de l’art, du commerce et de la décoration d’intérieur, et me voici aujourd’hui directrice d’école. Avant la création de cette école, j’étais vraiment en recherche de sens. Aujourd’hui, je mets à profit tout ce que j’ai pu apprendre».
C’était mon premier enfant. Et je voyais bien que la connexion mère-enfant ne se faisait pas de manière ordinaire.
C’est Brune, sa fille, qui lui a inspiré la création de Meeo. Brune est autiste. Elle a été diagnostiquée « Asperger » à l’âge de 6 ans et demi. Félicie se souvient parfaitement des symptômes. « Ma fille avait la possibilité de parler, de s’exprimer, mais n’utilisait pas le langage pour communiquer. Elle présentait des intérêts restreints et des stéréotypies, c’est-à-dire des gestes ou des paroles répétitives. »
Mais elle n’a pas attendu de voir ces symptômes pour comprendre que quelque chose n’était pas normal. « En fait, je l’ai compris dès sa naissance. C’était mon premier enfant. Et je voyais bien que la connexion mère-enfant ne se faisait pas de manière ordinaire. » Elle regrette, toutefois, que la médecine, même si elle a accompli des progrès, ne soit pas plus efficace en terme de dépistage. « Un diagnostic à presque 7 ans, c’est beaucoup trop tardif. On sait aujourd’hui qu’en termes d’autisme, une prise en charge précoce est extrêmement efficace. »
Comme pour beaucoup de parents confrontés à ce problème, le parcours pour réaliser ce diagnostic a été complexe. « Et surtout très douloureux. On passe par des phases psychiatriques, où la mère est largement remise en cause dans ses fonctions parentales. C’est malheureusement encore très ancré dans le système de pensée française. » Avec le recul, Félicie estime que la France a trente ans de retard dans ce domaine. « Plus tard, j’allais me rendre compte de tout ça. Mes recherches m’ont porté vers le Québec ou la Belgique, où on agit depuis 20 à 30 ans. »
Quinze mois après, sa petite sœur vient au monde et, vraiment, le fossé se creuse
Une des étapes marquantes a été l’entrée de son enfant à l’école, à l’âge de 3 ans. « Ce fut le choc des cultures. Je me rendais compte que mon enfant ne grandissait pas de manière ordinaire. Quinze mois après, sa petite sœur vient au monde et, vraiment, le fossé se creuse. Déjà, à la crèche, on m’a un peu alerté. Brune restait à l’écart, était mal à l’aise dans le bruit et l’agitation. »
Des signes forts qui ont poussé ses parents à aller consulter des spécialistes. Très vite, Brune a montré des signes de souffrance à l’école. « Elle ne pouvait pas y aller à plein-temps. Elle n’avait pas acquis la propreté, devait beaucoup dormir à cause de l’épuisement lié au temps passé avec d’autres enfants », commente sa maman.
Il se produit alors une chute et là, l’enfant n’est plus du tout capable d’aller à l’école
Pour Félicie, l’autisme a besoin d’une prise en charge singulière. « Il faut des professionnels formés. Tant au niveau sensoriel, que celui de l’accompagnement au quotidien dans l’autonomie… tout cela ne s’invente pas. Ce sont des enfants qui nécessitent un rythme particulier, avec des outils spécifiques. » Pas forcément possible dans une école traditionnelle. « En tout cas, pas pour tous les enfants », précise-t-elle.
Les cas diffèrent souvent en fonction des individus. « Il y a parfois des enfants autistes qui décompensent. Ils ont tenu bon dans le système ordinaire, et, tout à coup, n’en peuvent plus affectivement, socialement, et au niveau sensoriel, ou de leur énergie. Il se produit alors une chute et là, l’enfant n’est plus du tout capable d’aller à l’école », précise Félicie.
Mis à l’écart, ces enfants peuvent être dévalorisés. A l’école Meeo, les enfants qui sont accueillis sont parfois autistes, ou présentent des troubles des apprentissages, comme la dyslexie, le dysorthographie, l’hyperactivité, les HPI. « Dans le milieu scolaire traditionnel, ils finissent par craquer. Le résultat n’est pas à la hauteur de leurs efforts. Et, à un moment, ils n’en peuvent plus. »
Un enfant n’est pas qu’un élève. C’est avant tout… un enfant.
Une phase de rupture se met en place. « L’estime de soi est en chute libre et c’est un cercle vicieux. Toute la vie de l’enfant est impactée par cette difficulté scolaire. » Félicie Petit estime que des changements sociétaux importants sont nécessaires pour ces enfants. « Un enfant n’est pas qu’un élève. C’est avant tout… un enfant. Il doit retrouver sa place d’enfant », rappelle-t-elle.
Ce sont des éponges émotionnelles qui ont besoin d’un amour incommensurable
Face à ces situations, les parents sont démunis. « Ils n’ont pas de réponses à leur questions sur le plan médical. Ils constatent que leur enfant est en souffrance au niveau scolaire » Et le problème va au-delà de l’école. « On rencontre de grosses difficultés à trouver des organismes pour les accueillir pour faire du sport et d’autres activités. Ce qui s’explique par les difficultés à entrer en contact avec les autres. Ces parents ont besoin d’être aidés. »
Félicie Petit n’a pas hésité. Elle a pris la décision de créer une école adaptée à la situation de sa fille, pour une raison formidable : « Ce sont des enfants qui vous subliment en tant que parent. Ils nécessitent un amour inconditionnel, puisqu’ils ne répondent pas aux sollicitations que l’on fait à d’autres enfants. Ce sont des éponges émotionnelles qui ont besoin d’un amour incommensurable. »
Cela a été un cataclysme dans ma vie
Elle évoque le cas de Brune, sa fille. « Elle est passée par toutes les étapes. D’abord dans une école classique où les personnels ne savaient pas comment s’y prendre pour l’accompagner. Puis on a fait l’école à la maison, n’ayant pas le choix. Et un matin, elle se lève, voit ses frères et sœurs partir à « leur » école, et me dit : j’aimerais tellement redevenir une petite fille. Cela a été un cataclysme dans ma vie. » Paradoxalement, c’est aussi l’événement qui l’a poussée à se lancer.
Elle fonde une école « parenthèse »
Elle raconte avoir mené « tambour battant » son combat pour monter une « autre » école. « On ne réfléchit pas une seconde aux barrières qui peuvent exister. Et heureusement. Plus on avance, plus on gagne en énergie, plus on rencontre des gens formidables.»
De surcroît, l’expérience lui a permis de trouver de la solidarité. « Cela brise cette intense solitude. Cette école sert aussi à cela, au-delà de l’accueil des enfants. Montrer aux parents qu’ils ne sont pas tout seuls, qu’ils sont formidables. Que leurs enfants sont extraordinaires, avec des flammes de vie à l’intérieur et une envie de vivre intensément. »
Meeo a été créée en 2015, et a pu ouvrir ses portes en 2016, après 9 neufs mois de gestation intensive. « La mairie d’Annecy-le-Vieux a été extrêmement réceptive à ce projet. Le nerf de la guerre, c’était de trouver un local et des fonds», se souvient la directrice.
Elle a eu aussi la surprise de constater une mobilisation spontanée. « Les familles et les professionnels sont arrivés tout seul. Dès qu’ils ont su que le projet se créait, ces professionnels hors normes nous ont rejoint.» 16 familles ont participé au lancement de l’école.
Ces élèves redeviennent uniquement les enfants de leurs parents. Ces derniers n’ont plus à courir partout.
Dans cet établissement, les enfants, âgés de 6 à 16 ans, sont accueillis avec des difficultés différentes. Ils concernés par des troubles de l’apprentissage, l’autisme, de la coordination, de précocité intellectuelle. Mais Meeo ne remplace pas l’école classique. « C’est un modèle totalement innovant qui utilise différents outils, et qui marche main dans la main avec l’Education nationale, pour ces enfants qui sont en rupture dans leur parcours scolaire. » L’institution est d’ores et déjà reconnue par l’Agence régionale de santé, qui apporte une aide pour financer les séjours.
Quelques 50 élèves y sont répartis en deux groupes, soit les équivalents du primaire et du collège. « La prise en charge est pluridisciplinaire, avec des enseignants, des éducateurs et des professionnels de santé, expert en ergothérapie, psychologie, pédiatrie, etc…» précise Félicie.
« L’idée est de répondre au besoin global de ces enfants. La démarche, calquée sur mon expérience personnelle avec ma fille, c’est que ces élèves redeviennent uniquement « les enfants de leurs parents ». Ces derniers n’ont plus à courir partout. Ma fille allait 6 heures par semaine à l’école. Le reste du temps, je me retrouvais coordinateur de sa vie pour qu’elle ne manque de rien… »
Rester dans la « haute-couture »
Dans « mon école extraordinaire », les règles ne sont pas figées. Les enfants restent le temps nécessaire. « C’est vraiment eux qui nous donnent les signaux. Les enfants sont naturellement formatés pour vivre avec les autres. Dans la vie, personne n’est demandeur pour se retrouver à côté du système. »
Pour son retour à l’école traditionnelle, tout est coordonné avec les parents et les équipes. Puis l’enfant fait l’objet d’un suivi, s’il en exprime le besoin. « Mais c’est un peu comme avec les ados… Souvent, ils ne souhaitent pas regarder en arrière. Et c’est bon signe. Cela veut dire qu’on a bien fait notre boulot. »
Sept ans après l’ouverture, la demande est forte, et il faudrait, en réalité, pouvoir accueillir le double de la capacité actuelle. Mais Félicie n’y tient pas forcément. « Notre souhait est vraiment de rester dans la haute-couture » résume-t-elle. A ce jour, le bilan semble positif.
« C’est vraiment un système gagnant-gagnant. On a des enfants avec autisme qui ont des difficultés dans la relation, qui sont largement nourris par d’autres enfants à haut potentiel, qui ont une empathie débordante et besoin de l’utiliser à bon escient. C’est un microcosme qui montre que l’inclusion est possible. Vivre ensemble, c’est possible. »
Source FR3.