Gard : le déconfinement est progressif pour les personnes atteintes de déficiences intellectuelles…

Bouleversé pendant le confinement, l’accueil des personnes en situation de handicap intellectuel reprend progressivement. Un retour au collectif difficile à mettre en place.

La parenthèse a laissé des traces.

Plusieurs établissements du Gard en ont fait l’expérience.

Au foyer d'accueil spécialisé Villaret-Guiraudet à Alès, il a fallu adapter le programme. / © Unapei 30

Dans les centres gérés par l’Unapei 30 (Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales, et de leurs amis), le retour des personnes en situation de handicap intellectuel, qui s’étaient confinées en famille, a commencé. Progressivement, sur la base du volontariat, les personnes accompagnées font leur retour dans les centres de vie (l’accueil de jour) et les foyers d’hébergement.

« Depuis le 11 mai, tous nos établissements ont rouvert confirme Olivier Donate, le directeur de l’Unapei 30. Les activités en journée ont repris dans le respect des gestes barrières. Il n’y a plus de contact physique et les distanciations sociales sont respectées. C’est un dispositif nouveau qui impacte le quotidien ». Seulement 30 % des personnes accompagnées par l’Unapei 30 ont repris le chemin des IME (Instituts médico-éducatifs) et des ESAT (Établissements et Services d’Aide par le Travail ).

Quotidien bouleversé

Avec un protocole sanitaire strict, tout le fonctionnement des établissements change. Jérôme Lemaistre est directeur de l’IME Rochebelle à Alès. Sa structure a de nouveau accueilli les bénéficiaires à partir du 18 mai.

Tous les établissements gérés par l'Unapei 30 ont rouvert comme l'IME Rochebelle à Alès / © Unapei 30

Aujourd’hui plus de la moitié des 70 enfants et jeunes adultes qui sont accueillis (de 8 à 20 ans) ont repris le chemin de l’IME.  « Pour ceux qui sont restés à la maison, explique le directeur, on assure le suivi par téléphone ou à domicile. Pour l’aspect pédagogique, tous les projets individuels, mis en place en début d’année, ont été bouleversés. Notamment, l’inclusion sociétale ou l’accès à la vie professionnelle sont à l’arrêt. On garantit aujourd’hui des activités éducatives, mais pas la totalité du projet. » A chaque fois, l’équipe pédagogique s’adapte et trouve des compromis.

Parmi les anecdotes je pourrais citer celle d’un autiste de 14 ans qui avait l’habitude de faire à heure fixe une balnéo dans le centre et souhaitait reprendre cette activité. Il a fallu lui expliquer que, pour des raisons de sécurité, ce n’était plus possible. Mais, pour éviter de le perturber, on a transformé cette activité en baignoire thérapeutique. On trouve des solutions à chaque fois.

Certains parents préfèrent garder leurs enfants à la maison

Alice Bitam, 21 ans n’a pas encore réintégré le foyer de vie qui l’accueille en journée.

Alice Bitam, 21 ans, reste pour le moment au domicile familial / © Ursula Bitam

Sa mère, Ursula Bitam préfère garder sa fille encore à domicile même si le foyer est à nouveau ouvert aux externes en demi-journée. « J’ai profité de cette période de confinement pour travailler son autonomie, ce que je n’avais pas le temps de faire de manière intensive lorsqu’elle était en accueil de jour. Concernant la reprise, et dans la mesure où nous avons le choix, je me laisserai guider par son envie d’y retourner ».

Alice est atteinte d’une maladie génétique rare, le syndrome DDX3X (retard de développement et/ou mental). « Il a fallu s’adapter. A la maison, on ne peut pas proposer les mêmes activités que dans un centre, ni remplacer la convivialité qui y règne.  On a mis en place un programme avec de nombreuses activités sportives. Je lui ai expliqué les raisons de cette situation extraordinaire, que tout le monde était concerné, et que nous prenions tous ensemble ces précautions pour ne pas tomber malade ».

Je n’ai pas l’impression qu’Alice ait été particulièrement affectée par le confinement. Toutefois, elle a été frustrée du manque de lien social, et a probablement éprouvé un sentiment d’abandon pendant les premières semaines de confinement. Elle s’est ensuite adaptée.

Comme ses camarades, elle a bénéficié d’un accompagnement à distance. « Pendant le confinement, une éducatrice l’appelait une fois par semaine. C’était un peu compliqué parce qu’Alice est non verbale, c’était abstrait pour elle. Ensuite, on a pu avoir un contact par visio, puis une visite à domicile par une éducatrice. Cette expérience nous a permis de réaliser un suivi différent, de prendre plus le temps, du recul et ainsi la redécouvrir avec ses forces et ses faiblesses. »

Rester ou partir

Au début de la crise, les familles ont eu à choisir : venir chercher leurs proches ou les laisser dans leurs institutions d’hébergement, mais sans possibilité de visite. Dans le Gard, 157 bénéficiaires sur 179 ont ainsi vécu le confinement dans un centre, soit 87%.

Séverine Sensier est la directrice du foyer d’accueil médicalisé Villaret-Guiraudet à Alès qui accompagne 28 résidents sur 30 depuis la crise sanitaire. Des adultes polyhandicapés (handicap moteur + déficience intellectuelle sévère) âgés de 22 à 73 ans. Le huis clos a été privilégié.

Par mesure de sécurité, certains ateliers ont été suspendus et les activités en extérieur privilégiées. « Les résidents ont fait preuve d’adaptation, quelques-uns ont réclamé leurs proches, mais rapidement ils se sont apaisés. Ils se sont recréés un quotidien, des repères raconte la directrice.

Au foyer d'accueil médicalisé Villaret-Guiraudet à Alès, les activités extérieures ont été privilégiées. / © Unapei 30

Au regard de la fragilité des résidents, l’établissement a appliqué des mesures sanitaires drastiques (distanciations sociales, port du masque et de la blouse pour le personnel de proximité, c’est-à-dire les soignants et les éducateurs). « Les résidents se sont adaptés. Le plus surprenant, c’est l’absence de troubles du comportement liés à cette crise sanitaire. Les inquiétudes étaient plus vives du côté du personnel de proximité ».

Aujourd’hui, les visites sont possibles , uniquement sur rendez-vous et dans le respect des règles sanitaires. Il faudra patienter jusqu’au 22 juin pour un retour à la normale.

Certains sont restés confinés en foyer

Émilie Pailhon, 37 ans, atteinte d’une déficience mentale et de troubles autistiques, est restée confinée dans son foyer d’accueil des Agarrus à Bagnols sur Cèze.

Au foyer d'accueil des Agarrus à Bagnols-sur-Cèze, certains sont restés confinés. / © Unapei 30

Comme elle, 8 des 14 internes sont restés à l’institut. Neuf semaines sans contact physique, une première pour sa mère, Christine Pailhon. « Elle revient normalement à domicile tous les week-end. J’ai un gros sentiment de culpabilité d’avoir laissé ma fille au foyer. Mais si on l’a fait, c’est parce que son psychiatre nous l’a conseillé. Elle était mieux prise en charge d’après lui, et il a eu raison, car elle a mieux vécu la situation que moi et ma famille. Elle était entourée et mieux prise en charge. Le côté positif, c’est que j’ai compris qu’Émilie pouvait vivre sans moi ». Heureusement, pour la mère de famille, il restait le téléphone. Bientôt sa fille pourra venir chez elle.

Depuis le 13 mai, on revoit Émilie une fois par semaine, en suivant un protocole assez particulier. Étant tactile et maman poule, c’est compliqué pour moi. Pour ma fille, cela ne lui pose pas de problème. Très prochainement, je vais pouvoir la prendre dans mes bras, l’embrasser. Je suis impatiente et à la fois anxieuse.

Parmi les camarades d’Émilie Pailhon, une seule famille rencontre aujourd’hui des difficultés pour envisager le retour de son fils, resté confiné à la maison.

Adapter la reprise

Mélanie Faure-Romagnac est psychologue clinicienne, en charge de patients ayant des déficiences intellectuelles. Comme la compréhension des personnes déficientes mentales est plus complexe, elle prône un retour progressif à la vie d’avant l’épidémie.

Il faut prendre le temps qui paraît nécessaire, et surtout ne pas se précipiter. Il faut en parler le plus possible. Plus on en parle et moins on s’inquiète et plus on va mettre du sens sur ce qui arrive. Par exemple, expliquer l’intérêt de la distanciation sociale.

« Le plus difficile, dit elle, est qu’il faut à chaque fois trouver les mots adéquats et être au plus juste avec la situation, employer des termes simples et expliquer sans dramatiser. Souvent l’anxiété est importante. La déficience intellectuelle ne permet pas d’assimiler et percevoir les nuances. Certains ont vécu la période de manière sereine, d’autres au contraire ont réactivé des traumatismes, des troubles du comportement anxieux, mais comme tout un chacun. Par exemple, les questions autour de la mort sont apparues ou réapparues . La crise sanitaire a bien eu des effets sur le plan psychologique des personnes en situation de handicap mental, mais c’est aussi valable pour tout le monde. Personne ne sort de cette crise comme si rien ne s’était passé ».

L’après Covid-19

La crise sanitaire a bouleversé le quotidien des professionnels en charge des personnes atteintes de déficiences intellectuelles. Il est question aujourd’hui d’un « renouveau ».Le directeur de l’Unapei 30, Olivier Donate, travaille avec différents acteurs médicaux sociaux sur une réorganisation de la prise en charge. « On souhaite diversifier nos offres d’accompagnement. On s’est aperçu que certaines familles en avaient la capacité. L’idée aujourd’hui est d’étendre les modalités d’accompagnement et s’adapter au plus près des besoins. Les évolutions sur les modes de prise en charge devront pouvoir s’inscrire pleinement en lien avec l’autodétermination des bénéficiaires et la prise en compte de leur souhait ».

Le directeur de l’Unapei 30 participe à la réflexion et à l’élaboration du projet « Communauté 360 » dans le Gard . Un dispositif national, via une plateforme téléphonique qui permettra de diriger les personnes en situation de handicap et sans solution vers des communautés territoriales d’acteurs. A ce jour, dans le Gard, 300 personnes en situation de handicap sont sans solution d’accompagnement.

Source FR3.

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