Ephad. « Parfois je me sens démunie ». Comment se forme et s’entraide le personnel au quotidien. Vidéo…

Alors que certains Ehpad privés sont pointés du doigt pour maltraitances ou abus financiers, certains établissements misent sur la formation du personnel.

L’accompagnement des personnes âgées et désorientées n’attire pas les foules.

Des métiers difficiles mais très épanouissants selon ces professionnels, rencontrés lors d’une « analyse des pratiques ».

Située à L'Hermitage (en Ille-et-Vilaine), la résidence Kerélys accueille 45 résidents, dont une majorité de personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer ou d'une maladie apparentée.

 

« Parfois, j’avoue, j’ai des difficultés à trouver les bons mots pour lui expliquer… » Manon est aide-soignante. Entourée de six autres collègues et d’une formatrice spécialisée dans le vieillissement, cet après-midi-là, elle ose se livrer.

« Depuis son entrée dans l’établissement, on est en difficulté pour accompagner cette patiente, car elle se renferme beaucoup, elle refuse les soins. Elle peut alterner des phases de stress intense et de grands moments d’euphorie, il y a beaucoup de colère. »

La patiente dont parle Manon n’a que 75 ans. Cela fait déjà dix ans qu’elle se bat contre la maladie d’Alzheimer. Une maladie qui est apparue chez elle quelques mois seulement après le début de se retraite d’infirmière, à 64 ans.

D’abord son mari s’en est occupée, chez eux. Mais le quotidien devenait de plus en plus compliqué. Depuis début décembre, elle vit donc dans une des trois unités de la résidence Kerélys qui a ouvert en 2009 à L’Hermitage en Ille-et-Vilaine. Une résidente qui a pour l’instant du mal à s’intégrer.

« Moi aussi, j’ai du mal avec les jeunes résidents, complète Gwenaëlle. C’est hyper compliqué quand les patients se rendent compte » poursuit l’aide médico-psychologique.

A ses côtés, Danielle Thiébaud écoute et acquiesce : « Oui, c’est hyper compliqué ! Et vous, vous ressentez tout ça, et c’est déstabilisant… »

Un pas de danse, un câlin, un sourire…

A raison de cinq fois par an, la psychologue et psychothérapeute, auteure de nombreux ouvrages sur le vieillissement, intervient en tant que formatrice dans cet établissement, pour des « analyses de pratique ».

Après un tour de table, elle demande à chacun de raconter un bon moment vécu récemment dans le cadre de son métier. « Ben, il y en a trop ! J’en ai pour longtemps… » sourit Lydie. L’aide soignante travaille la nuit, un moment toujours un peu particulier. « Puisqu’il ne faut qu’un seul exemple et bien le dernier en date c’est cette nuit, quand un résident est venu se blottir dans mes bras, en demandant un petit câlin. Je l’ai ensuite raccompagné dans sa chambre, il m’a dit merci. » 

Quelques pas de danse, un sourire, l’appel téléphonique d’un proche reconnaissant… Des moments aussi simples que précieux, toutes ces professionnelles en ont des quantités à raconter. « On se sent utile, on fait de belles choses, complète Marie-Laure avec des petites étincelles dans les yeux.  Quand on rentre chez soi, on repense à tous ces petits trucs bien qu’on a pu faire, ainsi qu’aux problématiques qu’on rencontreOn se dit que demain, je vais essayer autre chose. »

« J’suis plus une enfant ! »

Car tout n’est évidemment pas rose dans ce type d’établissement où résident 45 personnes « désorientées ». Sautes d’humeur, pertes de moyens… La plupart sont atteints de la maladie d’Alzheimer.

Que faire ? Comment réagir ? Ici, comme lors des réunions d’équipe, les professionnelles échangent sur les difficultés rencontrées : « La semaine dernière par exemple, je suis sortie avec une patiente qui a des troubles de l’équilibre » raconte Marie-Laure qui est à la fois AMP (aide médico-psychologique) et ASG ( assistante de soins en gérontologie).

« Je l ui ai proposé de maintenir son bras, qu’on marche toutes les deux l’une à côté de l’autre. Et là, elle m‘a dit « j’suis plus une enfant ». Je me suis pris comme une claque dans la figure… Qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce que je la laisse marcher seule au risque d’avoir une chute ? Est-ce que je maintiens mon bras ? En fait, elle me déstabilise ! »

« Elle a raison, ce n’est pas une enfant ! » rebondit la formatrice.  » Qu’est-ce qu’on aurait pu lui proposer ? Marcher bras-dessus, bras-dessous peut-être, c’est plutôt sympa !? Essayer de familiariser… »

« Plus je m’estimerai, plus j’estimerai »

Stylo en main, la psychothérapeute écoute attentivement et questionne :  « est-ce que vous confirmez que la patiente a honte d’être vue nue ? » Le groupe acquiesce. « Est-ce qu’elle serre les genoux pendant la toilette intime ? » Les réactions sont unanimes… Peut-être un signe que la patiente a été un jour traumatisée ? Une fausse couche ? Un viol ? « Ce ne sont pas vos affaires, en revanche, je vais vous donner les phrases à dire ! »

Des clés, que chacune tentera ensuite d’utiliser : « Pour nous, ces formations, ce sont comme des soupapes, témoigne Marie-Laure. Souvent nous sommes seuls face aux patients, ces analyses de pratique nous permettent de partager, d’avoir des avis extérieurs… » 

Des métiers boudés

Du haut de ses 76 ans, Danielle Thiébaud se veut rassurante.  « On n’a pas toujours les bons réflexes, c’est-à-dire que spontanément on va réagir mais pas toujours de la meilleure façon… Ce qui est important c’est d’être bien dans sa peau pour aider l’autre. Plus vous aurez confiance en vous, mieux vous serez avec l’autre… Plus je m’estimerai, plus j’estimerai l’autre ! »

Cela passe évidemment par de bonnes conditions de travail, un salaire décent, la reconnaissance et des formations régulières pour être le plus aidant possible face à la maladie… « Il faut d’importantes qualités humaines pour exercer ce type de métiers » souligne la formatrice. De la patience, de la bonté, de la bienveillance, il faut avoir envie d’entrer en relation de façon aimante. »

Infirmières, aides-soignantes, assistantes de soins… Des métiers exigeants, qui seront de plus en plus utiles à l’avenir. Mais qui sont souvent boudés.

Source FR3.

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