Quand les banques et leurs assurances scrutent votre carnet de santé. Maladie et Handicap. Quid de la convention AREAS ?

Certaines personnes souffrant d’une maladie ou d’un handicap finissent même par renoncer à leur projet d’emprunt.

 

Comme environ 58% des foyers français, beaucoup de personnes comptent acheter un bien immobilier. Cet engagement commun dans une vie relève du parcours du combattant pour certaines. Âge, troubles mentaux ou physiques chroniques, cancer, IMC jugé trop élevé sont autant d’obstacles exposant à devoir payer une surprime souvent exorbitante, ou à se faire refuser le prêt ou l’assurance de celui-ci.

Même si l’assurance n’est pas une obligation légale dans la demande d’un prêt immobilier, les banques en font un élément incontournable en cas d’incapacité totale de travail et de décès. La convention AERAS (S’assurer et emprunter avec un risque aggravé de santé), créée en 2007, fait valoir le droit à se faire offrir d’autres possibilités pour assurer le prêt en cas de défaut d’assurance ou de garanties incomplètes pour y souscrire. La loi Lagarde du 1er juillet 2010 permet à chaque personne de signer un contrat d’assurance emprunteur auprès du prestataire de son choix, puis ce texte a été complété par la loi Bourquin du 21 février 2017 autorisant à résilier ce contrat à chaque date d’anniversaire.

Une application mal comprise, voire malhonnête

L’application de la convention AERAS semble cependant avoir ses limites, comme le raconte Hélène. «J’ai une tumeur au cerveau bénigne, mais récidivante. Ce n’est pas quelque chose d’aussi grave qu’un cancer, mais ça ne rentrait pas dans les cases. Je n’ai pas de risques de mourir, ni d’être handicapée, ni de ne pas pouvoir travailler… et pourtant.» Au final, seul son compagnon, à la santé irréprochable, est assuré. «C’est légal, mais pas très rassurant. J’ai songé à faire la démarche a posteriori, mais ayant eu une nouvelle intervention, je ne l’ai pas fait. Je pense refaire la démarche d’ici cinq ans, lorsque le délai de prescription sera dépassé.»

Même constat pour Emmanuel, qui a dû persévérer pour obtenir une assurance de prêt à cause de son IMC élevé et son apnée du sommeil. «J’ai très, très mal vécu cette période car j’ai dû remplir un nombre absurde de documents pour me faire refuser en boucle par les assurances. Ces entreprises en connaissent au final plus sur moi que mes parents. Seule une assurance spécialisée m’a accepté. AERAS est censée nous protéger mais les assurances font ce qu’elles veulent et ont le dernier mot.»

Certaines personnes doivent carrément renoncer à leur projet d’emprunt immobilier, faute de solution: «J’ai un handicap moteur assez lourd et non identifié depuis très jeune, explique Dominique. Je vendais un appartement afin d’en acheter un plus adapté à mes besoins, mais plus cher. Grâce à l’aide de mes parents et mes revenus, je comptais acheter le nouvel appartement de suite, mais j’ai finalement eu besoin d’un prêt relais durant six mois.

La banque a refusé à moins d’avoir une assurance en béton. J’ai contacté pas mal de courtiers et de banques. Aucun n’était prêt à m’assurer à cause de mon handicap, à moins de présenter un dossier médical complet avec une batterie de nouveaux tests. Au final, je n’ai obtenu ni assurance ni prêt. J’ai pu heureusement décaler l’achat du nouvel appartement pour qu’il se fasse après la vente de l’ancien, mais j’étais dans le flou pendant quasi un an, ce qui m’a causé pas mal d’ennuis personnels.»

Pour Clair Caillon, courtier d’assurance chez Handi-Assur depuis 1995, le problème n’est pas la convention AERAS mais son application, souvent mal comprise par les personnes emprunteuses sous le stress d’un tel engagement financier, et malhonnête de la part des assureurs. «Les banques ont signé cette convention en connaissance de cause, mais jamais elles n’étudient les garanties alternatives car elles n’en voient pas l’intérêt, et n’ont pas le niveau de compétence. Elles font du travail à la chaîne.»

Le courtier se présente comme «un artisan» ne faisant «que du sur-mesure» pour les personnes à risques aggravés de santé. Il collabore avec des prestataires expérimentés, proposant par exemple «le prêt sur assurance si ça me pète à la figure» et cherche des solutions adaptées à toute personne, sans être pour autant dans «le déni face à la situation de certaines». Un travail discret, mais reconnu, qui gagnerait à être davantage visibilisé, ainsi que celui des dizaines d’agences spécialisées dans ce domaine.

L’importance du droit à l’oubli

Quant au «délai de prescription» évoqué par Hélène, c’est celui du droit à l’oubli. L’association d’adultes guéris du cancer pédiatrique Les Aguerris a signé en mars 2015 un protocole d’accord avec l’AERAS à ce sujet. Anne-Laure, membre du conseil d’administration, nous éclaire notamment sur le questionnaire de santé qui angoisse –à raison– les personnes voulant emprunter, et quand intervient le droit à l’oubli: «L’assureur aura connaissance que vous avez eu un cancer dans l’enfance (mais pas le détail du cancer, pas le détail sur les différents traitements, aucune date précise).

Et il ne pourra pas prendre en compte cette information dans son analyse de risque car vous êtes dans le cas du droit à l’oubli. Il ne pourra donc pas vous imposer une surprime ou des exclusions à cause de ce cancer. En revanche, comme c’est le cas pour moi, il pourra éventuellement vous imposer une surprime ou des exclusions de garantie pour des séquelles du cancer ou pour d’autres problèmes de santé connexes.»

Les cancers pédiatriques restent rares (0,5% et 4,6% de l’ensemble des cas de cancers, selon l’OMS en 2015) mais leur fréquence tend à augmenter, notamment dans certaines zones géographiques françaises impactées par la pollution des pesticides. Ce seront donc autant d’adultes qui feront probablement face un jour au parcours complexe d’une demande de prêt bancaire.

Faire la demande d’un prêt immobilier auprès de sa banque quand on a une santé fragilisée est une démarche exigeant de la patience et surtout un bon accompagnement auprès de professionnels spécialisés.

Cependant, les difficultés commencent bien avant pour certaines personnes handicapées, dès l’accès au logement. La militante Elena Chamorro l’illustre ainsi: «Que l’on ne puisse pas avoir accès au sommet du Mont Blanc car on ne peut pas faire de l’alpinisme du fait de sa paraplégie est une chose, mais que l’on ne puisse pas accéder dans les mêmes conditions qu’une personne valide à un logement en est une autre. Dans le deuxième cas, cela relève de choix politiques qui violent les droits fondamentaux des personnes handicapées, qui sont les mêmes, rappelons-le, que ceux des valides.»

Source SLATE.

 

Handicap et habitat. A Rennes, Imène et Ercan privés d’un logement faute d’assurance pour leur prêt…

Imène et Ercan, tous les deux en situation de handicap ont souhaité s’investir dans un projet d’habitat participatif à Rennes et acheter un logement pour y vivre avec leur fils.

Alors qu’un appartement les attend, les assurances refusent d’assurer leur prêt. 

Ercan et Imène devant le logement dans lequel ils veulent habiter mais pour l'instant la banque ne leur accorde pas le prêt car Imène ne trouve pas d'assurance pour la couvrir

 

« C’est un projet humain, avec des valeurs d’entraide, de vivre ensemble, d’écologie, de mixité ». Voilà comment Ercan résume l’habitat participatif de la Bara-K à Rennes, qu’il veut intégrer avec sa compagne Imène et leur fils de 5 ans. Sauf que pour l’instant, l’appartement qu’ils devaient occuper est vide, alors que tous les autres habitants ont pu s’installer comme prévu fin juin.

Imène et Ercan ne peuvent y accéder sans avoir un prêt immobilier, inaccessible aujourd’hui car ils n’arrivent pas à trouver une assurance.

« C’est un dossier compliqué, on ne rentre pas dans les cases »

Imène

Imène et Ercan se déplacent en fauteuil roulant. En 2017, lors du lancement du projet, ils font appel à un courtier en banque. Ce dernier estime qu’ils sont en capacité de supporter un prêt, avec l’AHH (allocation adulte handicapée) dont ils bénéficient tous les mois. Pour donner un peu plus de poids à leur demande, il conseille tout de même au couple de se constituer un apport. « C’est ce que nous avons fait. En quatre ans, nous avons mis 16 000 euros de côté », explique Imène.

En octobre 2020, la banque d’Imène accepte le dossier et donne un pré-accord. Mais là tout se complique, il faut forcément une assurance. Ercan se voit assuré sans difficulté, sans surcoût. Imène, elle, voit se fermer toutes les portes à cause de sa maladie neuro-musculaire. « Parfois on me dit non direct, juste en lisant un mot dans mon questionnaire médical. On ne me pose pas plus de questions. Je n’ai jamais été vue par un expert. Je sais que d’autres personnes ayant la même maladie que moi ont déjà pu accéder à un prêt. Je ne comprends pas ». L’assurance pourrait être totalement imputée à Ercan mais la banque refuse.

« Il faut soit être riche, soit être en bonne santé »

Ercan

Pour l’instant, la situation d’Ercan et Imène est bloquée. Les habitants de la Bara-K se mobilisent pourtant autour d’eux. Certains ont même voulu se porter caution. Aiguillon, le bailleur social et partie prenante du projet propose aussi de s’engager, bien au-delà de son rôle.

« Toutes les démarches auprès des banques et assurances sont pesantes mais nous mettons encore toute notre énergie pour concrétiser ce projet. Si nous nous accrochons toujours, c’est grâce au soutien indéfectible des habitant de la Bara-K et d’Aiguillon. Ce n’est pas le combat de David contre Goliath car nous ne sommes pas seuls »

Imène et Ercan

« On savait que ce serait difficile, depuis le début, banque et assurances se renvoient la balle », résume Thomas Duke directeur général d’Aiguillon – La Coop. Il se dit pourtant prêt à se mettre en limite avec la loi et en a fait un combat. « Nous on est un bailleur social, on ne peut pas prêter d’argent mais pour leur permettre d’aller au bout de leur projet, nous sommes prêts à bloquer la somme qui correspond à leur bien et à la mettre de côté comme une garantie ». Selon lui, une garantie existe déjà « en cas de pépin » dans le cas d’un achat auprès d’un bailleur social. Cette dernière prévoit le rachat, le relogement, la revente pendant 10 ans, même en cas de décès. Mais rien à faire. « Pour les banques, ce n’est pas entendable ».

Il rappelle qu’Imène et Ercan se sont investis dès le début de la Bara-K, que c’est un projet de vie. « Rennes Métropole leur a accordé une dérogation, parce qu’ils n’avaient pas d’accord de prêt au départ ».

Il poursuit : « Le logement dans lequel ils vivent actuellement n’est pas adapté. L’appartement à la Bara-K a été construit pour eux, il est fait pour eux ». Il souligne également que sur les dix ménages de l’habitat participatif, certains présentent des ressources plus faibles que celles d’Imène et Ercan.

Des discussions sont en cours, dit-il, avec une compagnie d’assurance qui pourrait accepter la proposition d’Aiguillon. « Nous on ne veut pas faire machine arrière ». 

Sollicitée et après plusieurs échanges, la banque du couple répond mercredi soir que « c’est un dossier complexe » mais indique « une volonté d’aider ces gens ». « Le dossier est en cours d’instruction. Un travail est en cours pour trouver une solution et aboutir à une réponse positive », précise-t-on. Et d’insister sur son éthique qui est « d’accompagner les projets de vie ».

Handicap et accès à la propriété

Les personnes handicapées peuvent rencontrer d’importante difficultés, voire être carrément exclues des circuits de prêt classiques, tout spécialement lorsqu’elles présentent une pathologie ou un handicap constituant un risque de santé aggravé. L’octroi d’un crédit sur une longue durée va de pair avec la souscription d’une assurance emprunteur, que les personnes malades peinent à trouver, ou qui deviennent hors de prix du fait des majorations sur la prime.

Depuis 2007 pourtant, la Convention AERAS doit faciliter l’accès à l’assurance et à l’emprunt des personnes ayant ou ayant eu un problème de santé. Dans les faits, les obstacles se font si nombreux que certains acheteurs finissent par renoncer à l’accès à la propriété.

« AERAS est censée nous protéger mais les assurances font ce qu’elles veulent et ont le dernier mot. »

Témoignage de Emmanuel sur Slate

Dans un article paru sur le site de Slate, les témoignages recueillis évoquent la lourdeur des démarches et la violation du secret médical, les délais pour obtenir gain de cause, pour finalement devoir payer plus cher pour une couverture qui exclut l’handicap.

Source FR3.