Orthophonie : le masque freine le traitement des troubles du langage…

En attendant l’homologation de masques transparents, les orthophonistes redoutent des retards important dans l’acquisition du langage chez les jeunes enfants.

En orthophonie, le masque constitue une barrière dans les apprentissages.

Les masques transparents ne sont toujours pas homologués pour les orthophonistes. En attendant, ces professionnels de santé craignent un retard notamment dans les apprentissages liés au langage, surtout chez les jeunes enfants mais aussi chez ceux souffrant de pathologies ou handicaps. Entretien avec Élodie Blanc, orthophoniste à Rennes.

Quel problème pose le masque pour les orthophonistes ?

Une première difficulté pour l’enfant, c’est la perte d’intensité sonore lorsque le professionnel de santé porte un masque. Cela peut gêner la compréhension d’autant qu’en hiver, les enfants peuvent déjà avoir des pertes auditives liées à des otites séreuses par exemple. Un autre problème est l’impossibilité pour l’enfant de pratiquer ce qu’on appelle la « lecture labiale ». C’est-à-dire lire sur les lèvres de l’orthophoniste. Une personne sourde, même appareillée, s’appuie évidemment beaucoup de cette lecture labiale. En orthophonie, on se base là-dessus pour leur apprendre à compenser leur trouble. Pour ces personnes, les échanges masqués du quotidien sont catastrophiques.

En quoi est-ce si important de voir la bouche pour les autres patients ?

Pour apprendre à parler, les enfants ont besoin de passer par l’imitation. Pour cela, il faut qu’ils voient ce qu’on fait avec la bouche. Le stimulus arrive déjà avec une atténuation du volume et on ne peut plus s’appuyer non plus sur le stimulus visuel. Travailler sur la phonologie (les sons) devient compliqué, difficulté à laquelle peuvent être aussi confrontés les enseignants de maternelle.

Quels apprentissages sont rendus plus compliqués ?

Il y a tout le travail de ce que l’on appelle la sphère oro-faciale : la position de la langue, des lèvres… Il y a donc plein de techniques de rééducation que l’on ne peut pas utiliser. On essaie parfois de passer via les parents mais ce ne sont pas des professionnels et ils peuvent eux-mêmes avoir des problèmes articulatoires. On constate globalement que la rééducation est plus compliquée chez les enfants qui ont un trouble du langage oral et des difficultés d’articulation. Et ce retard est encore plus problématique pour ceux qui doivent entrer en CP et apprendre le langage écrit.

Les masques « inclusifs », c’est ce que demandent les praticiens. Une pétition a été lancée au niveau national par les associations de prévention en orthophonie au niveau national pour supprimer les masques opaques chez les orthophonistes, mais aussi en crèche et en maternelle. Mais ce type de masque n’a pas encore été homologué pour nous. Actuellement, quand on travaille avec un jeune enfant qui ne porte donc pas de masque ou quand la rééducation nécessite une proximité physique ou un contact tactile avec la bouche de l’enfant, nous devons travailler avec des masques FFP2, dont les caractéristiques sanitaires sont supérieures à celles d’un masque chirurgical.

Quels sont les autres freins que cela peut engendrer ?

Il y a également la perte de tout ce qui est du domaine de la mimique. Le masque complique énormément la lecture des émotions sur le visage. C’est particulièrement handicapant pour les enfants qui présentent un trouble du spectre de l’autisme (TSA). Sans parler des bébés : pour certains, à part leurs parents, tous les adultes qu’ils voient sont masqués. L’impact est difficile à mesurer, mais il y en aura sur le langage et la communication.

Le protocole a dû également s’alourdir…

Pour un adulte, la désinfection peut être rapide. Mais pour les enfants, on a besoin de beaucoup plus de matériel (feutres, briques de construction, images plastifiées…) qu’il faut nettoyer entre chaque séance. Tout le matériel qui ne peut pas être désinfecté, on ne l’utilise donc plus. Et on doit également aérer pendant une quinzaine de minutes entre chaque patient. On augmente alors de 50 % le temps consacré par séance.

Est-ce que les confinements n’ont pas éloigné les enfants des cabinets de consultation ?

Lors du premier confinement, ça a vraiment été le cas. Cet automne, on a ainsi reçu plusieurs messages du ministère de la Santé qui alertait sur les ruptures de soin dans la médecine de ville et les dangers notamment pour les personnes victimes d’AVC ou sortis de réanimation. Et la nécessité de ne pas reproduire cette situation lors du deuxième confinement. On sent d’ailleurs qu’il n’y a pas trop de défections. On a pu par exemple organiser des séances en visio si nécessaire, notamment pour les enfants les plus fragiles ou atteints de pathologies chroniques.

Source OUEST FRANCE.

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