Handicap et violences sexuelles : « À tous les handicapés qui le peuvent, parlez » – 3 victimes témoignent… AVERTISSEMENT : Cet article relate des récits de violences sexuelles. Sa lecture peut être perturbante !

Willy, Charlie, et Julie sont en situation de handicap. Victimes de violences sexuelles, ils et elles nous livrent leur histoire et appellent à dénoncer ces crimes.

 

Être en situation de handicap, ce n’est pas seulement affronter de multiples difficultés supplémentaires au quotidien. C’est aussi devenir une cible privilégiée pour certains agresseurs sexuels. En France, 7,3 % des personnes handicapées ont subi au cours des deux dernières années des violences physiques et/ou sexuelles alors que ce chiffre s’élève à 5,1 % pour le reste de la population. 1 personne en situation de handicap sur 4 déclare avoir subi au moins une atteinte (vol, injure ou menace, violences sexuelles ou physiques) contre 1 personne sur 5 pour les personnes valides.

Selon une étude de la Drees (direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), parue en 2020, 9 % des femmes en situation de handicap sont concernées. Les femmes handicapées ont deux fois plus de chances de subir des violences sexuelles que celles sans handicap. Parmi les plaintes déposées pour viols, on remarque que 43 % ont eu lieu à domicile, 27 % dans un établissement, 14% en foyer, et le reste dans des lieux non précisés.

D’après l’OMS (Organisation mondiale de la santé), chez les enfants handicapés, une fille sur cinq et un garçon sur treize sont victimes de violences sexuelles. Pour Maudy Piot, psychanalyste et présidente de l’association Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir, « Le handicap est une vulnérabilité, car la différence n’est pas appréhendée positivement et entraîne parfois de l’agressivité. » Victimes, Willy, Charlie et Julie ont accepté de parler pour sensibiliser à cette question et appeler à une attention plus stricte sur ces dérives.

« Il m’a dit que ce n’était pas un viol mais un fantasme »

Willy* est un homme de cinquante-trois ans, en situation de handicap, militant pour le droit au plaisir à l’association Appas, et victime de violences sexuelles.

« Je suis atteint d’un trouble de la posture et du mouvement qui s’appelle IMC (infirmité motrice cérébrale). Handicapé depuis ma naissance, j’ai eu mon premier fauteuil roulant lorsque j’avais trois ans et j’ai été violé à 14 ans. À cet âge-là, je suis dans un centre de rééducation à Valençay où les adolescents et les adultes sont mélangés. Je vis dans une chambre avec des murs blancs et quatre autres personnes handicapées.

Un adulte, amputé du bras droit, ancien militaire parachutiste, abuse de moi pendant plus de six mois, plusieurs fois par semaine. C’est la nuit, les autres ne s’en aperçoivent pas. J’ai très peur, il me menace parfois avec un couteau sous la gorge : “Je pourrais retrouver ta famille et les tuer”. Je le vois encore prendre mon chocolat chaud, pisser dedans et me forcer à le boire. À cette époque, je crois en Dieu et lui demande sans cesse : pourquoi moi ? Pourquoi tu ne l’arrêtes pas ?

J’ai essayé d’en parler au directeur du foyer mais il ne m’a pas cru. Il m’a dit que ce n’était pas un viol mais un fantasme. Je n’en pouvais plus, c’était trop. J’ai décidé alors d’appeler mon père pour qu’il vienne me chercher, pour qu’il me sorte d’ici. Je ne lui donne pas de raison, je lui dis juste que s’il ne vient pas, je vais faire une connerie. C’est seulement à 22 ans que j’en ai parlé à ma mère, c’était traumatisant et douloureux de le dire à quelqu’un.

Après ces viols qui étaient aussi mes premiers rapports, je ne savais pas comment avoir des relations sexuelles. Un ami de ma mère m’a accompagné voir une prostituée. Ça m’a sauvé, ce moment de tendresse, ce moment où je me suis retrouvé, moi, mon corps, moi, homme. On ne parle pas assez des violences que subissent les personnes en situation de handicap. Enfin, soit ce sont les handicapés qui n’en parlent pas, soit on met un torchon, un voile dessus. Je sais que ça se passe encore dans d’autres foyers, je sais que je ne suis pas le seul. À l’époque, je n’avais pas osé porter plainte, aujourd’hui si une personne me raconte ça, je l’encouragerais à le faire.

Moi, je ne peux pas me laver tout seul, je ne peux pas me faire à manger, je suis totalement dépendant des autres, mais après des années d’orthophonie je peux parler. À tous les handicapés qui le peuvent, parlez. Ce n’est pas à vous d’avoir peur. »

« Il avait vu mon handicap »

Charlie*, non binaire de 23 ans, travailleu·se du sexe, animateur.rice périscolaire, autiste, témoigne sur les violences sexuelles qu’iel a vécu·es.

“J’ai douze ans, je viens d’entrer en sixième et je rencontre un garçon qui a deux ans de plus que moi. À l’arrêt de bus en béton, il me dit qu’il m’aime, que les garçons et les filles, ça se fait des bisous. Il m’emmène dans un endroit à l’abri du regard des autres, je lui dis non, je ne veux pas, mais il me pénètre avec ses doigts. Le lendemain, je ne suis plus saon amoureu·se, je suis une grosse salope.

C’est à quatorze ans, en juillet 2012, que je décide de porter plainte, classé sans suite, mais je suis reconnu·e victime et lui fiché délinquant sexuel pour quinze ans. En août 2012, deux, trois jours avant mon anniversaire, je vais à une fanfare. Un des musiciens, âgé de 29 ans, se rapproche de moi et tente de m’embrasser. Il m’attire vers lui et me manipule. Il me dit de ne jamais écouter les adultes, qu’ils disent n’importe quoi. Il insulte sa mère aussi, et se met dans ma peau : une ado en rébellion contre ses parents. Avant de rentrer, on va à la plage avec ma copine, il vient avec nous.

L’homme me bouscule, me fait tomber dans le sable. Je pars me rincer dans une douche de plage, et il se met devant moi, nu, son sexe en érection. Il me dit qu’il a envie de moi, et c’est assez flou. Je suppose qu’il m’a frappé, je vois ma tête assez près du mur. Il me soulève, je regarde l’horizon, je pense à autre chose. Je quitte mon corps. Ma copine n’est pas loin, je pense très fort qu’elle va venir mais elle n’est jamais venue. Puis, il me jette par terre, ma culotte et moi. Il me dit : “maintenant tu te rhabilles, si t’ouvres ta gueule je perds la garde de mes enfants, et je te crève”.

Je pense qu’il avait vu mon handicap, ma différence. En tant qu’autiste, je perçois différemment le danger. Il a dû sentir que j’étais une proie facile. J’ai aussi du mal à interpréter les codes sociaux, à comprendre mes émotions, et celles des autres. J’ai du mal à analyser certains mots, certaines expressions. Ce qui peut paraître évident pour vous, les neurotypiques (personnes qui ne sont pas autistes) ne va pas forcément l’être pour les autistes. Puis, j’ai l’impression que ça se sent, que ça se reconnaît une personne qui a déjà été violée : t’as pas eu de chance une fois alors t’as deux fois plus de chances que ça t’arrive une deuxième fois.”

« Tout ce qui lui importait c’était qu’on ait le nombre de rapports qu’il souhaitait »

Julie* est une graphiste de 30 ans, atteinte de plusieurs maladies : le Syndrome d’Ehlers-Danlos, une maladie génétique, la maladie de Ménière, un trouble de l’oreille, l’endométriose, et de nombreuses dépressions associés à un TDAH (trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité). Voici son histoire.

“Je vis en Alsace, dans une petite ville près de Strasbourg et j’ai vécu une relation (très) toxique avec un homme. Je l’ai rencontré lorsque j’avais 19 ans, nous étions tous les deux musiciens et nous nous sommes rencontrés lors d’un concert. C’était un vrai coup de foudre, nous sommes vite devenus fusionnels. Lorsque nous n’étions pas ensemble le week-end, on se téléphonait, ou on se parlait par message.

À cette époque, mon endométriose était très active. J’avais de fortes douleurs pendant les rapports, mais il exigeait toujours un nombre précis de relations sexuelles. C’était insupportable. J’étais exténuée mais si je refusais un rapport, il me faisait culpabiliser. C’était ma faute, moi la malade, moi la souffrante, c’était ma faute quoi qu’il arrive. Il me disait qu’il prendrait soin de moi, que j’étais une petite chose fragile. Puis, la minute d’après : “bouge-toi, tu en rajoutes !”.

Je cédais sous sa pression, j’alternais entre douleurs, fatigue, crises d’angoisse, dépression et culpabilité constante.  J’ai commencé, petit à petit, à me scarifier. Puis, le petit à petit s’est transformé en tous les soirs, c’était d’énormes bulles de tristesses, de colères qui s’explosaient à travers mes entailles. Il n’avait pas peur pour moi, il avait peur du regard des autres. Il n’a jamais proposé de m’accompagner à un rendez-vous chez le gynéco. Tout ce qui lui importait, c’était qu’on ait le nombre de rapports qu’il souhaitait. Point. Peu importe que j’y prenne du plaisir ou que je souffre le martyr. 

Au bout de 3 ans de relation, je n’étais plus que l’ombre de moi-même. La moitié de mon corps était scarifiée. J’ai été hospitalisée en psychiatrie. Le diagnostic de bipolarité a été posé. J’ai été mise sous neuroleptiques à hautes doses. J’ai pris 30 kilos. Je n’étais plus attirante sexuellement selon ses « critères de beauté » (surpoids, cicatrices…) et il a commencé à me repousser, à me faire sentir moche et non désirable.

À ma sortie de l’hôpital (après 6 semaines), cet homme a mis fin à notre relation. Il ne peut plus tolérer ma maladie, et je suis dangereuse pour lui. Après la rupture, mon état s’est aggravé, j’ai développé un stress post-traumatique et mes premiers problèmes moteurs sont apparus. Je suis hospitalisée pendant presque deux ans, et demande enfin une reconnaissance adulte handicapée.

À l’heure où j’écris, je dois me déplacer la majeure partie du temps en fauteuil roulant, ma vessie, mon estomac sont gravement atteints, mes douleurs sont quotidiennes. Mais, en dépit de tout ça, je suis amoureuse d’un homme extrêmement bienveillant, extrêmement présent. Il me soutient, et paie parfois les pots cassés de cette relation passée.”

🔍 PRENDRE LA PAROLE

Si vous avez été victime de violences sexuelles/ou physiques, vous pouvez vous rendre sur ecoute-violences-femmes-handicapees.fr et appeler le numéro mis en place par l’association FDFA (Femmes pour le dire, Femmes pour agir) : 01 40 47 06 06. Si vous êtes un professionnel, une personne en situation de handicap, ou un proche, vous pouvez vous rendre sur ce module qui aide à signaler, et prévenir les violences sexuelles.

Source NEONMAG.

 

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