PORTRAIT- à Reims, Léa est trisomique et autonome : “un trait d’union pour tout le monde »….

Léa habite Reims et vient d’avoir 24 ans. Sa vie est remplie de sourires, de fous-rires.

Avec à ses côtés sa famille, elle grandit, progresse un peu moins vite que la moyenne mais un jour, elle le sait, elle quittera « le cocon familial ».

Léa est porteuse de la trisomie 21.

Léa travaille dans un fast food de la région de Reims. Un trait d'union pour tout le monde, affirme son manager. / © I. Forboteaux / France3 Champagne-Ardenne

Léa parle toujours « de sa situation ». Alors, lorsque je lui demande de me résumer cette fameuse situation elle me répond sans détour « je me vois normale comme vous Isabelle ! ». Faire connaissance avec cette jeune fille, c’est aussi rencontrer une famille extraordinaire. Léa a un frère jumeau, Virgile, étudiant à Paris et une petite sœur comédienne en devenir.

Ses parents, Laurence et Olivier sont à la fois très attentifs envers leur aînée. En même temps, leur confiance permet à Léa de s’accomplir depuis sa plus jeune enfance. Caractériser Léa c’est évoquer « son naturel, sa joie de vivre, mais aussi ses moments de tristesse, explique Laurence. C’est aussi beaucoup de démonstration de reconnaissance et puis cette autonomie de plus en plus. Elle a des amies. Elle est heureuse ». « Dès le début, on s’est dit, on va faire comme les autres, précise Olivier le père de Léa. Chaque année, on s’est fixé des objectifs et elle et nous avions la joie de les atteindre.»

L’école en milieu ordinaire

Léa est entrée en maternelle un peu plus tardivement que son frère jumeau, mais comme les autres enfants dans un milieu dit « ordinaire ». Elle y fera toute sa scolarité, accompagnée par des assistantes de vie indispensables pour soutenir Léa mais aussi les enseignants en charge de leur classe.

« Nous avons eu la chance de rencontrer des gens extraordinaires, explique Olivier. En maternelle, l’institutrice de Léa l’a préparé à la lecture. Ce fut une année primordiale. Nous le voulions, et en même temps nous trouvions cela ambitieux. » « Effectivement beaucoup d’enseignants ont été à ses côtés pour la faire évoluer », reprend Laurence.

Mais nous avons aussi entendu : votre fille ne sera économiquement jamais rentable pour une société… Ou encore, Léa ne sait pas, donc elle ne saura jamais. Là on prend une claque et on se dit, on va voir.
Laurence, maman de Léa.

Léa a su lire à la sortie du CP, écrire dans la foulée. Un pari ambitieux disait son papa. Un pari remporté. « La principale actrice du succès c’est Léa, précise son papa. Quand elle veut, elle y arrive. »

Collège, lycée, formation professionnelle et CDI

Léa est passée du CE2 en 6e dans une classe Ulis où les professeurs reprenaient les matières un peu plus complexes que les autres. Léa est en difficulté avec les maths, sa bête noire… « Dans ce collège il y avait une formation Segpa avec des formations en horticulture, en cuisine et en maçonnerie, sourit la maman de Léa. Elle a fait des stages dans les trois domaines. La maçonnerie ce fut, non, rapidement, l’horticulture ne lui a pas plu car elle était seule avec ses plantes. Elle s’est donc dirigée vers la cuisine. »

Léa a fait plusieurs stages avec toujours la même envie : être en contact avec les clients. L’orientation vers un CAP en alternance était un bon compromis. La jeune femme rédige son CV, sa lettre de motivation et dépose le tout dans plusieurs sociétés de restauration. « Un jour elle m’appelle en me disant, je suis convoquée à un entretien chez McDo, explique Laurence. J’ai rappelé pour être sûre et nous sommes allées ensemble rencontrer le directeur. C’est elle qui a mené son entretien. Elle avait tout préparé. »
Ce jour, restera gravé dans la mémoire de toute la famille. D’un contrat en alternance, Léa décroche un CDI.

Léa est heureuse mais, comme tout le monde, passe par des hauts et des bas. « Ce n’est pas forcément le regard des autres, c’est de ne pas pouvoir faire comme les autres. » Florence, la maman de Léa résume ainsi les moments de doute par lesquels passe sa grande fille. « Il n’y a pas si longtemps elle m’a dit : pourquoi j’ai ce visage, pourquoi je suis petite ? C’est injuste. Pourquoi je suis trisomique ? Il y a quelques années, elle nous a demandé, comme cadeau de Noël, de ne plus être trisomique. Là ce n’est pas facile », explique encore la maman de Léa. Florence et Olivier ont toujours dit à Léa que son arrivée avait été difficile.

Quand vous l’apprenez, c’est un camion qui vous roule dessus. On a su tout de suite que notre vie venait de changer. C’est instantané. Une fois le premier choc passé, soit on relève le challenge, soit on va plus mal.
– Olivier, papa de Léa

Forte. Léa l’est devenue grâce à son entourage… Elle s’est forgé un caractère de guerrière comme elle dit. La musique, la danse, l’écriture sont ses passe-temps favoris. Dans sa chambre, son jardin secret, où se concentrent toutes ces activités, Léa se pose, se recentre. « La musique ça m’apporte le bonheur. Quand j’entends des chansons qui me touchent particulièrement, je les chante ».
Et puis Léa s’exprime aussi sur ces fameux regards. Sur sa différence.

« Quand je vais dans la rue, je souris et ça change le regard je trouve. » Quand elle se balade, Léa espère que les gens qu’elle croise se disent : « mais cette personne elle est formidable. Elle n’est pas comme nous, mais elle peut faire les choses comme nous, c’est ça qui est le plus important. » 

Lorsque je lui demande ce qu’elle voudrait changer de sa vie, Léa me répond qu’il y a une chose qu’elle voudrait voir évoluer. « J’ai juste envie que les chercheurs trouvent un remède contre la Trisomie. Et ça j’ai envie de le crier haut et fort aux chercheurs et aux familles aussi qui ont des enfants comme moi ». Une lucidité incroyable et l’envie aussi de nous expliquer ce qu’est la trisomie 21. « J’ai un chromosome en plus, j’en ai 21 et les autres non ».

Si les autres ont du mal à accepter leur différence, un petit conseil, qu’ils arrêtent de s’auto-flageller et s’ils ont un rêve, il faut qu’ils le vivent .
– Léa, porteuse de Trisomie 21

Vivre son rêve passe par des étapes d’apprentissage plus longues. Et pour cela, Léa a toujours été accompagnée, à l’école comme à la maison, par des personnes extérieures au cercle familial. Assistante de vie, employés de maison, éducatrice.

Obtenir son indépendance

Laurette fait partie de sa vie depuis 15 ans. Elle a vu évoluer la petite fille et a pris le relais aujourd’hui auprès de l’adulte. Elle la conseille lorsque Léa repasse son linge, ou fait le ménage dans sa chambre. Savoir gérer son quotidien en passe par là. « Là comme vous le voyez, je ne suis pas chez moi, précise Léa. Plus tard, j’habiterai toute seule. Pour une personne comme moi, emménager chez soi c’est important. Pour partir du cocon familial, il faut que je continue à apprendre. C’est très dur aussi de couper le cordon avec mes parents. Je préfère rester avec eux, après plus tard je partirai. Un jour où l’autre il faut partir. »

Même pas peur de cette indépendance qu’elle gagne à la force du poignet. Séphora, son éducatrice, lui apporte aussi cet autre souffle qui lui donne la force et le courage d’aller plus loin encore. Séphora, elle même handicapée, connaît bien les freins que cela génèrent… souvent dans la tête des autres. Aujourd’hui Léa mène sa vie, part travailler seule à pied, en tram, se promène en ville, va à son cours de danse africaine ou à une soirée entre amis.

Mais son plus bel accomplissement c’est ce travail de serveuse en restaurant. En un an, elle a su acquérir toutes les compétences pour travailler au milieu de ses collègues. Chacun d’entre eux lui a réservé un accueil particulier. Cette bienveillance qui a du sens, sans excès, pour l’amener à une rigueur professionnelle indispensable.

« Léa est aujourd’hui un trait d’union pour tout le monde. Elle est l’élément qui a soudé encore plus l’équipe, explique Julien Magne, le directeur du McDonald de Betheny. Elle m’a touché. Lorsque je l’ai reçu en entretien, j’ai versé ma larme. Je me suis senti tout bête… exprime-t-il encore très ému. On a mis les petits plats dans les grands. On a décidé de prendre le temps. Léa a débuté sur des périodes aux affluences moins fortes, pour qu’elle apprenne à nous connaître et à apprendre ses missions. Léa, c’est ma fierté. Je ne boude pas mon plaisir. Léa a la même vie que moi, je suis fier d’elle, fier pour ses parents. »

Léa prouve chaque jour que le handicap n’est pas un frein. Elle souhaite que sa vie soit un exemple, une preuve que les rêves d’indépendance sont réalisables. « J’ai envie de continuer mon chemin déjà pour ma famille car j’ai envie de dire haut et fort qu’ils sont formidables. Pour mes amis car c’est important d’avoir des amis. Et puis j’ai envie de dédier ce reportage à mon frère jumeau. Même si on n’est pas dans le même gène, j’ai envie de lui dire que je l’aime très fort. »

Source FR3.

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