Le vaccin contre le Covid-19 va-t-il nous permettre de retrouver une vie normale ?…

Obtenir un vaccin contre le Covid-19 est aujourd’hui l’espoir de nombre de gouvernements du monde entier pour mettre un terme à l’épidémie.

Pour autant, peut-on être sûr que ce vaccin va nous permettre de retrouver « une vie normale » ?

Réponses avec Didier Sicard, professeur émérite à l’université de Paris et ancien président du Comité consultatif national d’éthique.

Le vaccin contre le Covid-19 va-t-il nous permettre de retrouver une vie normale ?...

Les annonces sur l’efficacité des futurs vaccins contre le Covid-19 s’enchaînent depuis une dizaine de jours, mais certaines voix s’élèvent déjà pour tempérer l’optimisme provoqué par cet espoir de vaccination prochaine, qui semble désormais à portée de main.

Le 16 novembre, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a ainsi déclaré : « Le vaccin seul ne mettra pas fin à la pandémie. » Des propos qui interpellent, alors que le vaccin anti-Covid est souvent présenté comme la solution ultime à l’épidémie qui bouleverse nos vies depuis un an.

Pouvons-nous espérer retrouver bientôt une vie « normale » grâce à un tel vaccin ?

Didier Sicard, ancien chef de service de médecine interne à l’hôpital Cochin, professeur émérite à l’Université de Paris et ancien président du Comité consultatif national d’éthique, nous apporte son éclairage.

Vous avez récemment déclaré dans une interview chez nos confrères de LCI que le vaccin n’allait pas résoudre l’épidémie de Covid-19. Pourquoi ?

La première raison est que la généralisation du vaccin va être assez compliquée. Si les vaccins qui vont être distribués doivent être gardés à une température de -70 °C, comme c’est le cas de ceux développés par l’Américain Pfizer et l’Allemand BioNTech, vous comprenez bien qu’on ne pourra pas vacciner des millions de personnes, s’il faut cette température de conservation. Vous imaginez la foule sur 20 km de queue dans un hôpital ? Ça n’a pas de sens.

Il va donc falloir attendre des vaccins qui soient plus simples d’utilisation, qui soient conservables dans un réfrigérateur, et que n’importe quel médecin puisse garder. Ce vaccin-là, on ne l’a pas encore. Il y a des projets, mais ils ne sont pas encore validés. Il faut en outre veiller à ce que ces vaccins ne soient pas moins efficaces que ceux à -70 °C.

Et l’autre raison ?

L’autre raison, c’est que beaucoup de personnes n’ont pas encore compris le principe de la vaccination. Il faut bien comprendre qu’il n’y a jamais eu dans l’histoire de l’humanité une maladie aussi hétérogène que celle du Covid-19. Dans 98 % des cas, la maladie est bénigne, beaucoup de personnes sont d’ailleurs totalement asymptomatiques. Mais dans 2 % des cas, cette maladie est une horreur, une maladie épouvantable.

Le problème, donc, c’est que beaucoup de personnes asymptomatiques pourraient se dire : « Je suis malade mais je n’ai pas de symptômes, alors je n’ai pas besoin de me faire vacciner… » C’est un gros problème, puisque même avec l’arrivée du vaccin, certains pourraient ne pas avoir envie de le faire. Il faut donc rappeler que le principe d’une vaccination ce n’est pas simplement de se protéger soi-même mais de protéger les autres.

Par ailleurs, je ne vois pas la vaccination de la population générale possible avant l’été 2021. Et j’émets l’hypothèse qu’à ce moment-là, l’épidémie sera contrôlée. Il y aura donc une réticence paradoxale à se faire vacciner, alors même qu’il n’y aura plus de risque apparent. On est donc actuellement dans une situation un peu étrange avec un espoir vrai, fabuleux et très intéressant mais qui n’inscrit pas l’arrêt de l’épidémie dans la réalité des faits.

Le vaccin ne suffit pas, il faut des vaccinés. Mais de nombreux Français sont réticents à l’idée de se faire vacciner. Quelle couverture vaccinale faudrait-il alors pour mettre fin à l’épidémie ?

Ça, on ne peut pas encore le dire. Lorsqu’on regarde les épidémies antérieures, on observe que ça dépend des maladies. Pour la rougeole par exemple, il faut 95 % de couverture maximale. Pour la poliomyélite c’est 80 % je crois. En réalité pour le Covid-19, on ne peut pas répondre avant de l’observer dans les faits. On peut faire des hypothèses, mais on n’a aucune certitude.

Dans l’hypothèse où l’épidémie ne s’arrête pas avant l’arrivée du vaccin, faut-il comprendre qu’il va falloir continuer à respecter les gestes-barrières ?

Évidemment !

Et une fois le vaccin arrivé ?

Encore une fois, le vaccin ne pourra pas être inoculé à 70 millions de Français en 24 heures. C’est un processus qui va s’étaler sur plusieurs semaines voire plusieurs mois. Vous imaginez ce que c’est, de vacciner 70 millions de personnes ? Il faut penser au réel. Vacciner 1 000 personnes prend déjà du temps ! Et on ne va pas transformer toute la France en queue vaccinale.

Il y a une idéalisation de la procédure vaccinale, comme si elle était facile. Mais elle est dans les faits très compliquée. Il faut donc arrêter ce discours de transfert sur le vaccin de résolution de l’épidémie. C’est une excellente nouvelle, c’est probablement un des majeurs facteurs d’espérance mais ce n’est pas la fin de l’épidémie.

On a vu par ailleurs que le virus mutait. Est-ce que cela signifie qu’il va falloir autant de vaccins que de souches du virus pour mettre définitivement fin à l’épidémie ?

Non, parce que c’est un virus jusqu’ici relativement stable. Ce n’est pas parce qu’il y a quelques modifications à la marge du génome du virus que le vaccin ne sera pas efficace.

Mais l’expérience des visons contaminés au Covid-19 au Danemark peut tout de même nous interroger. Lorsque les visons ont contracté le virus humain, ils ont fait muter le virus. Ils ont par la suite renvoyé à l’humain un virus un peu différent, et qui n’a pas été neutralisé par les anticorps des malades atteints par le Covid-19. Dans un cas pareil, le vaccin ne pourrait ne plus être efficace.

Ce cas-là pourrait-il arriver ?

Mon hypothèse c’est qu’il y a un relais animal beaucoup plus important qu’on ne le croie. Si cela se vérifiait, à ce moment-là les animaux pourraient en effet nous renvoyer un virus qui aurait muté. Et si le virus mute, alors le vaccin ne marche plus. Tant que le virus ne mute pas, le vaccin pourra très bien fonctionner. Mais cela montre l’importance de maintenir de façon très vigoureuse les gestes-barrières pour éviter que le virus ne se développe et par conséquent ne mute éventuellement.

Cela montre aussi l’importance de surveiller les élevages pour revenir vraiment à une vie normale…

Quand on voit les élevages monstrueux d’animaux comme ceux en Chine où des millions d’animaux sensibles au coronavirus sont élevés dans des conditions épouvantables, oui, on peut dire que toutes les conditions sont réunies pour voir réapparaître et se multiplier des épidémies. Les élevages industriels sont la cause majeure voire l’unique cause de la recrudescence d’une épidémie. Le vaccin c’est très bien, mais ça ne résout qu’une partie du problème, pas son ensemble.

Quel enseignement tirez-vous de cette crise sanitaire ?

Il faut arrêter de faire des élevages industriels de millions d’animaux qui sont sensibles à ce coronavirus. Il faut en outre travailler sur la façon dont une espèce animale contamine une autre espèce animale, et comment une espèce animale contamine l’homme. Sur ces questions, les recherches sont beaucoup moins avancées que celles sur le vaccin… C’est une erreur stratégique considérable.

Donc quand bien même, dans le meilleur des mondes, on arriverait à mettre un terme à cette épidémie, tant qu’on n’aura pas réglé le problème des élevages, on verra ce scénario se reproduire. C’est de l’ordre de la certitude.

 

 

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