Handicap. Faute d’auxiliaires de vie, Charlotte est invitée à se coucher à 18h. A ce jour, pas moins de 500 postes sont à pourvoir en Bretagne…

Charlotte, handicapée, devra se coucher dès 18 heures.

C’est la conséquence d’un manque de personnel pour assurer un service de nuit.

Une situation qui la révolte, et qui lui fait craindre d’être coupée du monde.

Charlotte Lamamy

 

A 29 ans, Charlotte a reçu il y a quelques jours un appel téléphonique lui annonçant que faute d’auxiliaires de vie pour assurer un service de nuit, elle serait désormais couchée entre 18 et 20h.

Le secteur de l’aide à domicile est en effet en crise. 500 postes sont à pourvoir en Bretagne. Salaires très bas, manque de reconnaissance, les associations d’aide à domicile peinent à recruter et Charlotte a peur d’être coupée du monde.

« Je m’appelle Charlotte, sur ma carte d’identité, ce n’est pas marqué handicapée ou personne en fauteuil roulant, je m’appelle Charlotte et au-delà d’être handicapée, je suis une citoyenne comme les autres » précise d’emblée la jeune femme.

Charlotte est en colère. Elle vit dans un appartement adapté du centre-ville de Rennes. Avec son fauteuil électrique, elle est autonome, ou presque. Elle a besoin d’une personne pour se lever et se coucher.

Il y a encore quelques jours, un auxiliaire de vie passait le soir vers 23h pour l’aider à se mettre au lit et un autre revenait le lendemain matin.

Mais les personnes qui assuraient le service de nuit sont parties. Assia, l’association d’aide et d’accompagnement a cherché pendant trois mois des volontaires. En vain. Aucun candidat ne s’est présenté.

La chambre de Charlotte

Un secteur en crise

Ronald Lozachmeur, le directeur général d’Assia brandit une feuille. « C’est le texte que j’avais préparé pour une réunion en 2018.  » Les deux premières lignes du texte  évoquent la crise du recrutement et les métiers du domicile qui n’attirent plus. « Mais depuis 2018, rien n’a changé  » déplore-t-il.

« Il y a d’abord une question financière ( le salaire moyen des 200 000 intervenants à domicile en France est de 970 Euros) et si le secteur a bénéficié d’une revalorisation de 13 à 15% des revenus, il ne fait pas partie du Ségur de la Santé. Il y a donc des salariés du domicile qui partent vers des Ehpad pour gagner un peu mieux leur vie, on ne peut pas leur en vouloir. »

Il y a aussi un problème de reconnaissance et d’image de la profession, qu’on imagine encore comme un métier sans qualification que tout le monde peut faire et c’est enfin un métier considéré comme difficile, « les prises en charge sont de plus en plus lourdes, reconnait Ronald Lozachmeur. Les personnes âgées ou les personnes en situation de handicap souhaitent rester à domicile le plus longtemps possible et ont donc besoin de soins de plus en plus techniques et de plus en plus lourds. Et puis, il faut intervenir à domicile le matin, le soir, le week end… On ne trouve plus personne. » 

A ce jour, pas moins de 500 postes sont à pourvoir en Bretagne.

Un plan d’aide du département et de la région

« Ce qui est terrible, souligne Armelle Billard, vice présidente du Conseil départemental d’Ille et Vilaine déléguée aux personnes âgées et handicapées, c’est que, comme le métier est en tension, alors qu’on a besoin de salariés pour aider les personnes à domicile, ceux qui exercent ce métier ont des conditions de travail de plus en plus difficiles parce qu’il manque du monde.  »

Un plan vient d’être signé entre le département d’Ille et Vilaine et la région Bretagne. 15 millions d’euros vont être injectés en 2022 notamment pour la formation, pour améliorer les conditions de travail et la rémunération.

« C’est un beau métier d’aider les personnes en situation de dépendance » insiste l’élue.

Charlotte confirme, « il faudrait que l’on pense à rémunérer ces gens-là pour qu’on puisse avoir une autonomie parce que c’est grâce à eux qu’on peut vivre, qu’on a le droit de vivre !   »

 Coupée du monde

Pour l’heure, la jeune femme a interrompu toutes ses activités, elle ne peut plus aller à la boxe le mercredi soir, « c’étaient les rares moments où j’oubliais mon handicap, j’enfilais mes gants et j’oubliais le fauteuil… »

Charlotte refuse de laisser le handicap prendre le pas sur sa vie. « Mais cette histoire de coucher, c’est toute une organisation pour savoir à quelle heure je dois manger ? Est-ce que je prépare mon diner à 16h30 ? A quelle heure je dois commencer à me préparer pour aller au lit ? » s’interroge-t-elle.

« Quand on est en situation de handicap, c’est déjà compliqué d’avoir une vie sociale, par rapport au regard des gens alors si nous sommes couchés à cette heure-là, nous ne sommes plus rien ! »

Charlotte Lamamy

Charlotte redoute de se couper du monde.

16 h par jour dans un lit

Couchée à 18h, relevée le lendemain à 9h… et entre les deux, pour tenir, comme elle ne peut pas se lever, on a proposé à Charlotte de lui mettre une protection… « c’est à dire une couche s’offusque Charlotte. Faire pipi au lit, je suis désolée, je n’ai pas deux ans et demi, ce n’est plus de mon âge, cela dégrade l’estime de soi, déjà qu’elle n’était pas très haute. Je ne ferai pas pipi au lit toutes les nuits parce qu’on manque d’auxiliaires de vie.  »

Ces deux dernières nuits, Charlotte a donc décidé de dormir dans son fauteuil. « Ce n’est pas très agréable, avoue-t-elle, et puis j’ai peur d’avoir des blessures comme des escarres. » Mais entre le confort et la dignité, elle a choisi.

Charlotte dort sur son fauteuil

Le 9 mars prochain, un rassemblement est prévu place de la République à Rennes pour évoquer la situation des aides à domicile. « Je le fais pour moi, mais aussi pour toutes les autres personnes en situation de handicap et toutes les personnes âgées » souligne Charlotte.

Et elle plante ses grands yeux verts dans les vôtres et demande calmement : « Est-ce que vous accepteriez, vous, qu’on ne vous donne pas le choix et qu’on vienne vous coucher à 18? Est-ce que vous accepteriez ? « 

Source FR3.

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