« C’est beaucoup de bidouillage » : l’école « pleinement inclusive » de Blanquer ne convainc pas les parents d’élèves handicapés et les enseignants…

En douze ans, le nombre d’enfants handicapés scolarisés a quasiment triplé.

L’objectif du ministre de l’Education est d’accélérer ce mouvement.

Mais dans les établissements scolaires, parents, enseignants et accompagnants dénoncent des moyens insuffisants.

"C’est beaucoup de bidouillage" : l'école "pleinement inclusive" de Blanquer ne convainc pas les parents d'élèves handicapés et les enseignants. Au collège-lycée Elie-Vignal, à Caluire-et-Cuire, près de Lyon, le 1er septembre 2016.

« L’inclusion, c’est génial en théorie, mais sur le terrain, c’est beaucoup de bidouillage. » Rachelle*, professeure des écoles dans le Val-de-Marne, salue la volonté du ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, de construire un grand service public de l’école dite « inclusive » dès la rentrée 2019. Mais elle reste dubitative quant aux moyens réellement alloués à cette réforme.

L’ambition du ministre s’inscrit dans la continuité de la loi de 2005 visant à inclure dans les établissements scolaires les enfants handicapés (y compris ceux souffrant de handicaps cognitifs comme la dyslexie, la dyspraxie ou les troubles de l’attention avec ou sans hyperactivité). Appuyé par la secrétaire d’Etat en charge des Personnes handicapées, Sophie Cluzel, Jean-Michel Blanquer souhaite simplifier les démarches des familles et personnaliser les parcours des élèves grâce, notamment, à la mise en place de Pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL). Mais les acteurs concernés s’interrogent sur ce dispositif et pointent les failles du système actuel, à commencer par le nombre et le statut des accompagnants.

« Sans nous, les instits seraient désemparés »

« Si on n’était pas là, je ne sais pas comment cela se passerait », lâche Caroline*, accompagnante d’élèves en situation de handicap (AESH) dans une école maternelle à Guéret, dans la Creuse. « Les instits seraient désemparés pour gérer une classe et ces enfants en situation de handicap », constate celle qui accompagne depuis mars 2018 Margaux*, une petite fille de 5 ans atteinte de troubles du comportement.

Je lui donne un coup de pouce lors des ateliers. Je passe plus de temps avec elle que ne peut le faire la maîtresse. Je suis un peu sa béquille.Caroline, AESHà franceinfo

En douze ans, le nombre d’enfants handicapés qui sont scolarisés a quasiment triplé. Il est passé de 118 000 élèves en 2006 à 340 000 en 2018. Au cours des deux dernières années, le budget consacré à la scolarisation de ces élèves a augmenté de 25%, avec un montant actuel de 2,4 milliards d’euros, selon le ministère de l’Education nationale. Un peu plus de la moitié de ces élèves sont actuellement accompagnés par une aide humaine, comme Margaux. Leur nombre a été multiplié par six en douze ans, passant de 26 000 en 2006 à 166 000 en 2018.

« Un manque de valorisation de notre travail »

Pour Caroline, c’est un métier qui a de l’avenir car « on accueille dans les écoles de plus en plus d’enfants qui ont besoin d’une aide humaine ». Elle reconnaît toutefois que ce travail demande beaucoup d’investissement et d’énergie. « Quand Margaux sent monter une frustration, elle tape. Ça lui arrive aussi de mordre. C’est moi qui prends », raconte l’AESH. Mais elle déplore un problème de reconnaissance et un manque de valorisation de son travail.

Nous ne sommes pas assez nombreux et nos contrats pourraient être augmentés jusqu’à 30 heures par semaine sans souci.Caroline, AESHà franceinfo

Actuellement, ils sont 86 000 accompagnants, comme elle, à aider quotidiennement des enfants. Sous l’ère Blanquer, 6 000 AESH de plus ont été embauchés entre 2017 et 2019. « Insuffisant », selon Caroline, qui a dû s’occuper en cours d’année, en plus de Margaux, d’un petit garçon hyperactif qui ne bénéficie pas encore d’accompagnement. Pourtant, selon Jean-Michel Blanquer, « le nombre d’accompagnants a augmenté significativement tout en mettant fin aux contrats précaires ».

La précarité, Caroline la connaît toujours. A la rentrée, elle doit signer son troisième contrat en 18 mois, mais cette fois-ci, pour une durée de trois ans : « Je vais enfin passer de 20 heures par semaine à 24 heures pour 715 euros net par mois. » 

L’allongement des contrats de un à trois ans est une des nouveautés de la loi pour « une école de la confiance ». Ce CDD, renouvelable une fois, débouche toujours sur un éventuel CDI au bout de six ans. Mais « le fait que le gouvernement ait récemment réduit les emplois aidés rend fragile ce dispositif », note Catherine Nave-Bekhti, du syndicat Sgen-CFDT. Cette dernière reste vigilante sur l’enveloppe qui sera attribuée dans le cadre du projet de loi de finances, dont l’examen est prévu à l’automne, car « il y a un affichage très fort de la part du gouvernement en termes de moyens alloués ». 

Les PIAL, un « projet plus administratif qu’éducatif »

La mise en place des Pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL) inquiète aussi les accompagnants. Progressivement déployés jusqu’à leur généralisation en 2022, ils regroupent tous les moyens mis à disposition des élèves en situation de handicap afin de mieux prendre en compte leurs besoins.

Les syndicats craignent que les demandes d’accompagnement ne soient gérées loin du terrain et des besoins réels des enfants. Ils ont « le sentiment que c’est un projet plus administratif qu’éducatif ». Hors de question, pour eux, que le principe général devienne un accompagnant pour plusieurs élèves.

Lorsque c’est fait à partir des besoins de l’enfant, c’est un plus. Quand c’est fait par quelqu’un qui déplace des pions dans une case depuis son bureau, cela crée des gros problèmes pour l’inclusion de l’enfant.Frédérique Rolet, secrétaire générale du syndicat d’enseignants Snes-FSUà franceinfo

Caroline redoute cette mutualisation sur un secteur regroupant primaire et secondaire. « Vu mon gabarit, je n’arriverais pas à accompagner un adolescent qui a un handicap lourd. Une de mes collègues, qui est en lycée, accompagne un jeune souffrant de schizophrénie. Tous les jours, elle va travailler la boule au ventre car elle ne sait jamais comment va se dérouler sa journée. Moi, je ne pourrais pas. »

Un « parcours du combattant » pour les parents

Pour le ministre de l’Education nationale, « proximité » et « réactivité » sont les mots clés de la réussite de ces pôles. Il ambitionne ainsi que « chaque demande des familles [soit] prise en compte sous 24 heures ». Mais pour l’instant, cela reste le « parcours du combattant », relève l’institutrice Rachelle*, également mère d’un adolescent souffrant de dyslexie et dysorthographie.

Les parents, conseillés par le corps enseignant, sollicitent la direction de l’établissement. Celle-ci contacte le médecin scolaire qui, après avoir vu l’enfant et les parents, rédige un courrier pour la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH). S’ensuit alors une instruction du dossier avec l’ensemble des diagnostics et des préconisations médicales, qui peut durer entre « une année et une année et demie », explique Rachelle. Passer de un an et demi à 24 heures pour traiter les demandes relève, selon elle, de la gageure. « J’ai reçu mi-juillet la prise en charge demandée en juin de l’année dernière, indique la mère d’élève. Et fin août, j’irai enfin chercher l’ordinateur à reconnaissance vocale pour mon fils qui passe le brevet cette année. »

La prise en charge médicale d’un enfant souffrant de handicap peut être lourde financièrement et la Sécurité sociale ne rembourse pas tous les frais engendrés. Les parents se retournent alors vers les MDPH pour une aide financière. Ces dernières croulent sous les dossiers. « On nous a demandé, mi-juillet, de passer 900 dossiers en attente de notification afin que ces enfants aient une AESH pour la rentrée », témoigne Claire*, une agente territoriale employée dans une MDPH d’Ile-de-France. Face au nombre de demandes et à la lourdeur du processus de validation, quasiment tout le personnel est mis à contribution.

C’est lamentable qu’aujourd’hui, ce soit les assistantes sociales qui valident les dossiers alors qu’elles n’ont pas la formation pour évaluer l’accompagnement.Claire, MDPH en Ile-de-Franceà franceinfo

Depuis la loi de 2005, les demandes reçues dans la MDPH de Claire augmentent annuellement de 10 à 15%. Une des causes, selon l’agente territoriale, est le nombre de prises en charge pour des problèmes de dyslexie, dysgraphie et autres troubles des apprentissages. « Avant, on n’en avait pas. Maintenant, on en a plein. Et comme on monte un dossier pour tout ce qui n’est pas pris en charge par la Sécurité sociale, le flux des demandes est embourbé », constate la fonctionnaire. « Mes collègues ont parfois plus de 1 000 appels par jour. Je sais qu’elles mettent leurs tripes dans les dossiers, mais cela devient ingérable », déplore Claire, qui se désole pour les enfants ayant un handicap lourd. « C’est de la maltraitance de mettre si longtemps à gérer leur dossier. Pendant ce temps-là, ils ne sont pas accompagnés. »

Une école « pleinement inclusive » en 2022 ?

Le corps enseignant pallie tant bien que mal ce déficit temporaire d’accompagnement. Dans le cadre de l’inclusion, les professeurs ne doivent pas changer l’objectif pédagogique de leur classe, mais adapter les outils aux enfants en situation de handicap. « Ça prend énormément de temps », relève Rachelle, qui a suivi deux fois quatre jours de formation au handicap. « C’est trop court. C’est impossible de voir tous les cas de handicap possibles, regrette-t-elle. C’est tellement lié à l’enfant. » 

En 2018, 60% des élèves bénéficiant d’un accompagnement humain étaient scolarisés en primaire et 36% dans le secondaire. « Aujourd’hui, nous avons en moyenne 3 à 4 enfants ayant des difficultés de concentration par classe dans mon école », poursuit l’enseignante. L’année dernière, Rachelle a dû enseigner à un enfant non accompagné et dont peu de collègues voulaient s’occuper. « Depuis le CP, on disait de lui qu’il était perturbant, qu’il ne sociabilisait pas. Il a en réalité des troubles sévères de l’apprentissage et ne peut rester en place plus de cinq minutes. Je l’ai géré sans protocole car il n’avait pas encore de prise en charge. »

Lorsque l’accompagnement est déclenché, l’élève suit un processus très précis. Durant l’année scolaire, plusieurs réunions dites « d’équipe éducative » entre l’école, les parents, le corps médical, l’AESH et l’inspection permettent de mettre en place et de suivre le plan d’accompagnement personnalisé de l’enfant. « Tout y est signifié, détaille l’institutrice. Cela va du nombre de pauses que l’enfant doit faire dans la journée au type de crayon qu’il doit utiliser en passant par les méthodes de travail qu’il est en capacité d’appliquer. » Une feuille de route exigeante, qui nécessite des moyens adaptés. Le ministère de l’Education nationale se donne jusqu’à septembre 2022 pour mettre en place cette école « pleinement inclusive »

* Les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressées.

Source LE FIGARO.

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