Coronavirus : « L’utilisation de l’ARN messager est une révolution, pour la vaccination comme pour les thérapies », assure la chercheuse Palma Rocchi…

L’utilisation de l’ARN messager a permis d’obtenir des vaccins efficaces contre le Covid-19 en moins d’un an, mais cette technique pourrait révolutionner la recherche pour bien d’autres maladies, explique Palma Rocchi, directrice de recherche à l’Inserm.

Coronavirus : « L’utilisation de l’ARN messager est une révolution, pour la vaccination comme pour les thérapies », assure la chercheuse Palma Rocchi

 

  • Pfizer-BioNTech et Moderna ont surpris le monde entier en 2020 en mettant au point des vaccins très efficaces contre le Covid-19, via l’ARN messager, en un temps record.
  • Le principe de l’ARN messager, connu depuis des décennies, pourrait permettre de créer des vaccins personnalisés et efficaces contre les cancers, mais également des traitements contre beaucoup d’autres maladies.
  • Palma Rocchi est une des spécialistes à travailler sur le sujet en France. Elle a accordé à 20 Minutes une interview qui montre que la pandémie aura sans doute permis à la recherche de faire un pas de géant.

Ils représentent un espoir pour sortir de ce long tunnel. Les vaccins à ARN messagers, développés par Pfizer-BioNTech et Moderna, représentent une immense découverte pour la recherche contre le Covid-19. Mais, épatant, ce principe de l’ARN messager devrait en réalité révolutionner la médecine dans sa globalité.

Grâce à ce principe, on pourrait en effet imaginer, dans un avenir proche, des vaccins contre les cancers et des nanomédicaments contre toutes les maladies. 20 Minutes a interrogé Palma Rocchi, directrice de recherche à l’ Inserm et responsable du groupe sur le cancer de la prostate et la nanomédecine au centre de recherche en cancérologie de Marseille.

Quel est le principe de la vaccination par ARN messager ?

Les cellules du corps humain produisent de l’ARN messager (ARNm) [sorte de duplicata d’un gène permettant la production d’une protéine, selon l’Inserm]. Dans les vaccins ordinaires, le principe actif est un antigène [qui permet de créer des anticorps] particulier, qui vise un virus contre lequel on veut protéger l’organisme. On injecte chez l’homme l’élément étranger (viral ou bactérien) sous une forme dénuée de toute activité pathogène [donc désactivée], ce qui va permettre d’activer les défenses immunitaires et ensuite de combattre ce virus.

Avec les vaccins de Pfizer et Moderna, on vous injecte l’ARN messager d’une protéine virale importante, la protéine Spike. Ceci va en retour activer le système immunitaire. Cet ARNm est rapide à synthétiser en laboratoire.

Ce qui explique que les laboratoires aient réussi à créer des vaccins contre le Covid-19 en moins d’un an. Par ailleurs, Pfizer et Moderna assurent qu’ils pourraient fabriquer de nouveaux vaccins adaptés aux variants en quelques semaines…

C’est vrai. S’il y a une mutation, le processus de fabrication étant mis au point, on peut modifier facilement le codage de synthèse de l’ARN messager de la protéine qui a muté. C’est fait par des logiciels dédiés, fiables et rapides.

L’ARN messager a permis de créer des vaccins contre le Covid-19, mais vous travaillez aussi sur un vaccin contre le cancer de la prostate….

Dans le cancer de prostate, il y a une surexpression de la protéine PSMA (antigène membranaire spécifique de la prostate). On pourrait très bien produire ces protéines PSMA plus ou moins modifiées pour activer efficacement le système immunitaire du patient, de manière à ce qu’il soit boosté si jamais une cellule tumorale [susceptible de générer une tumeur] apparaissait.

Avant d’avoir un cancer, vous avez une, deux, trois cellules tumorales. Les patients immunisés pourraient mieux combattre ces cellules qui dysfonctionnent. Le but, ce serait de vacciner les gens en amont, de manière à ce que leur système immunitaire combatte le cancer lui-même. Chez Moderna, certains chercheurs travaillent déjà sur des vaccins pour traiter le cancer. Car ce principe pourrait s’appliquer à tous les cancers.

Peut-on imaginer bientôt un vaccin individualisé contre tous les cancers ?

Oui, mais le nerf de la guerre, ce sont les financements. Il faut le tester chez l’Homme. Le cancer, ce n’est pas le Covid, mais une maladie souvent multifactorielle. Dans certains cancers comme les leucémies, il y a une protéine défaillante, mais pour d’autres, il y en a plusieurs. Des vaccins contre le cancer utilisant l’ARN messager pourraient être synthétisés rapidement. Maintenant, savoir si ça va marcher et donner un timing, c’est autre chose. Il est très difficile de faire des prédictions.

L’ARN messager provoque donc un bouleversement pour les vaccins, mais aussi pour de futurs traitements. Vous travaillez sur les oligonucléotides antisens (OAS). Quel est le lien avec l’ARN messager ?

Les oligonucléotides antisens sont un fragment d’ADN, facile à synthétiser, qui peut modifier l’ARN messager. Les thérapies conventionnelles ciblent les protéines, nous, on travaille sur l’étape d’avant.

Pour le vaccin, on l’a vu, on programme la synthèse de l’ARN messager, on l’injecte dans la cellule pour activer le système immunitaire. Nous, nous travaillons sur des traitements. Avec la même approche, mais un résultat inverse. C’est-à-dire qu’on ne souhaite pas exprimer la protéine, mais la modifier ou la dégrader. Dans le cas du Covid-19, on peut synthétiser en une semaine les oligonucléotides antisens qui vont inhiber la production des protéines virales, donc freiner l’infection. Cela pourrait donner un traitement contre le Covid-19. Mais pour le moment, on n’a pas réussi à trouver de financements.

La pandémie a-t-elle permis de faire avancer plus rapidement la recherche, non seulement sur le Covid-19, mais pour d’autres pathologies ?

Elle a permis de mettre en lumière des approches thérapeutiques innovantes. On a pris conscience que l’utilisation de l’ARN messager est une révolution, pour la vaccination comme pour les thérapies. Mais l’ARN messager, on le connaissait depuis longtemps. Le principe a l’avantage de créer des médicaments spécifiques et rapides. Des traitements avec oligonucléotides antisens (OAS) thérapeutiques, il en existe déjà aux Etats-Unis. Mais seulement 8 ont obtenu l’autorisation de mise sur le marché par la Food and Drug Administration (FDA). Dont 6 depuis 2013. C’est vraiment un champ d’exploration récent et en plein essor.

Vous dites « spécifiques »… Peut-on imaginer demain des traitements individualisés pour le cancer ?

Quand vous utilisez un médicament classique, par exemple l’aspirine, il y a d’autres effets que le but recherché, que l’on appelle non spécifiques. Les oligonucléotides antisens, c’est du sur-mesure, on cible uniquement une protéine. Ils pourraient révolutionner la médecine personnalisée. Il faut juste faire évoluer les consciences de manière à donner la priorité à cette recherche. On est très peu en France à travailler dessus. En ce qui me concerne, j’ai été formée sur cette technologie au Canada.

Quelles autres maladies cela pourrait-il concerner ?

Le principe peut s’appliquer à la mucoviscidose, l’insuffisance rénale, la douleur… On peut imaginer des traitements avec ces OAS pour toutes sortes de maladies, en réalité. Même orphelines ! Et on pourrait les développer en moins d’un an. Car dans toutes les maladies, il y a une ou plusieurs protéines déficientes quelque part. Il suffit de connaître cette protéine et de synthétiser l’inhibiteur qui va cibler l’ARN messager de cette protéine défectueuse. J’essaie de créer une start-up qui pourrait aider les laboratoires privés et publics à utiliser cette technologie dans leur application thérapeutique.

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