« J’ai l’impression de vivre dans un corps de 80 ans » : le Covid long les exténue depuis deux ans…

Mars 2020, le Covid-19 et le premier confinement en France.

Depuis deux ans, comment ce coronavirus et les conséquences de la pandémie ont-ils changé nos vies ?

Douleurs, cœur qui s'emballe, fatigue chronique... Le Covid long touche de nombreuses personnes, pas toujours de la même façon

Dorian, 29 ans, souffre d’un Covid long. Son cœur s’emballe sans raison et l’épuise. Nathalie, 46 ans, aussi. Elle se bat contre les douleurs, des maladies et la fatigue. Troisième volet de notre série d’articles.

« J’ai 28 ans et j’ai l’impression de vivre dans un corps de 80 ans qui ne m’appartient pas. » Dorian a écrit ces mots l’été dernier. Ils disent son Covid long, sa souffrance et son désarroi de voir sa santé se déglinguer. Lui qui habite normalement un petit appartement à Angers est retourné vivre chez sa mère, à la campagne, depuis plus d’un an.

Chargé de mission dans l’administration d’un établissement d’enseignement supérieur, il travaille désormais à mi-temps thérapeutique, en télétravail. « Quand je suis allongé mon cœur bat normalement, à 70 pulsations par minute, mais quand je suis debout il accélère et s’emballe. Ça me donne des vertiges, ça génère de la fatigue », décrit Dorian, qui a aujourd’hui 29 ans.

« J’ai pas mal côtoyé mon lit l’an dernier… »

Chaque petit effort lui coûte, parfois plusieurs jours après. S’il doit conduire sa voiture, il se repose avant et après. Sa vie sociale s’est réduite. « Je sors très peu. Plus pour mes rendez-vous médicaux que pour voir des amis ! », rigole-t-il, avec tristesse. « Je suis un peu dans un brouillard cérébral quand je suis avec eux… C’est un peu compliqué. J’ai pas mal côtoyé mon lit l’an dernier… »

Combien sont-ils à souffrir de Covid long, c’est-à-dire à être affectés plus de trois mois après avoir été infectés par le virus ? Des estimations de ministère de la Santé évoquent 700 000 personnes, dont 70 000 auraient besoin d’une prise en charge spécifique.

Nathalie, 46 ans, a, elle, le corps comme détraqué. Cette mère d’une fille de 10 ans habite Toulouse. Elle ne peut plus travailler. « J’ai pris cher, résume-t-elle. Aujourd’hui, j’ai des problèmes gastriques, neurologiques et vasculaires… C’est particulier de ne plus pouvoir vivre les bras en bas… Sinon j’ai des fourmis et mes doigts deviennent bleus. » Pendant qu’elle parle, ils sont posés sur la table. Elle les bouge régulièrement. Dorian, lui, a parfois les mains toutes rouges et qui « chauffent ». Il a la sensation qu’elles le brûlent.

« Des crises de tachycardie »

Tous les deux ont vécu l’infection initiale très différemment. Nathalie, qui se décrit « hyperactive » et avec un tempérament en acier trempé, a tout de suite eu des symptômes importants. Dorian, lui a découvert qu’il avait eu le Covid quelques mois après l’avoir attrapé.

Retour en février 2021, Dorian sent son cœur s’accélérer alors qu’il est assis à son bureau en télétravail. Une fois, deux fois, trois fois. « J’avais déjà eu des crises d’angoisse, alors je me suis dit que j’étais peut-être stressé. Mais je n’avais jamais eu ça, au calme, comme ça », raconte le jeune homme. Il va voir sa médecin généraliste qui lui dit que ça va passer. Ça ne passe pas.

Il retourne la voir. Dans le cabinet, l’électrocardiogramme et sa saturation sont normaux. « J’ai un tempérament anxieux, c’est vrai, mais ces crises de tachycardie ont continué. » Retour chez la médecin qui, cette fois, l’envoie voir une cardiologue en avril.

Dorian souffre de tachycardie posturale. | AVEC L’AIMABLE AUTORISATION DE DORIAN

« Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait »

Entre-temps, son état de santé se détériore. « Dès que je me mettais debout et que je faisais un effort, j’avais de la tachycardie. Prendre une douche c’était comme courir. Mon cœur montait à 140-150 battements par minute. » Un cœur d’adulte au repos bat généralement entre 60 et 80 fois par minute. « Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. » D’autres symptômes s’ajoutent : « Douleurs musculaires, fatigue, insomnie, trouble de la déglutition, maux de tête, vertiges »…

La cardiologue lui fait faire un test d’effort. « Au bout de deux minutes sur le vélo, j’avais le cœur à 195 ! Elle m’a confirmé que quelque chose clochait et m’a demandé si je n’avais pas eu le Covid. »

A priori non, mais il ne sait pas. Dorian a bien eu un rhume et un peu de fièvre au Noël précédent. « En trois ou quatre jours, c’était passé », se souvient-il. Il n’a pas pensé au Covid-19. Il s’est également senti particulièrement fatigué en janvier. Il a mis ça sur le compte de la période hivernale. Mais voilà qu’une sérologie lui confirme qu’il a bien été infecté par le coronavirus Sars-CoV2.

Ce n’est pas dans la tête

« La cardiologue m’a confirmé que, non, le stress ne peut pas faire aller le cœur à 195. Elle m’a dit que j’avais un syndrome de tachycardie posturale (Pots). » La fréquence cardiaque de ceux qui en sont atteints augmente fortement, notamment en se mettant debout. Ce qui génère, parmi d’autres symptômes, beaucoup de fatigue et des étourdissements. « Je l’ai développé après le Covid », explique Dorian. Un diagnostic est posé. Tout ce qui se passe n’est donc pas dans sa tête.

La Haute autorité de santé liste effectivement ce syndrome parmi les principales maladies, syndromes et complications du Covid-19. Au total, plus d’une centaine de symptômes différents ont été recensés, parfois très invalidants, pas tous forcément directement liés au virus ou à l’inflammation.

« Qu’on ne nous fasse pas passer pour des hypocondriaques »

De nombreuses personnes souffrant de Covid long se plaignent de l’errance diagnostique qu’elles traversent et de la propension qu’ont certains professionnels de santé à y voir des problèmes essentiellement psychosomatiques.

Nathalie fulmine. « Le pire aujourd’hui, c’est la douleur, la fatigue et l’agacement au niveau médical. L’incompréhension aussi, dit-elle. Je préfère entendre : “On ne sait pas ce que vous avez mais accrochez-vous”, plutôt que : “Vous n’avez pas eu test PCR début 2020 ?” (alors que l’hôpital n’avait pas jugé ça utile) ou qu’on me dise que c’est psychologique. »

« Des progrès ont été réalisés, a admis récemment Pauline Oustric, présidente de l’association AprèsJ20, gérée par un collectif de malades Covid long. On sait que c’est une réalité scientifique, avec des symptômes fluctuants et persistants. Qui peuvent être invalidants dans la vie sociale et professionnelle. Il y a encore beaucoup à faire. »

Dorian, Nathalie et de nombreuses personnes atteintes de Covid long aimeraient une prise en charge médicale globale et un suivi spécifique « Qu’on ne nous fasse pas passer pour des hypocondriaques ! », exhorte Nathalie.

« D’habitude, je suis solide »

Nathalie avait emménagé à Toulouse depuis peu lorsqu’elle est tombée malade le vendredi 13 mars 2020, avant le premier confinement. « Mal de tête monstre », soif inextinguible, conjonctivite suivie d’un état grippal. « Le dimanche, pour la première fois de ma vie, j’ai fait venir SOS Médecins chez moi. D’habitude, je suis solide, je reste debout. Là, je faisais des malaises à répétition », raconte cette mère qui fréquentait quotidiennement une salle de sport, à travailler son cardio et « à soulever de la fonte ». Ce jour-là, le docteur lui dit qu’il s’agissait sans doute du Covid.

Deux jours plus tard, Nathalie respire « comme un petit chien », a l’impression d’avoir un poids sur la poitrine et a besoin de boire des litres d’eau. « Ma généraliste m’a dit d’appeler le Samu. » Elle est envoyée aux urgences. « On m’a mise sous perfusion car j’étais complètement déshydratée, ma tension était très haute, j’avais un livedo. » C’est-à-dire que sa peau est toute marbrée et violacée. Un symptôme qu’elle a encore, deux ans plus tard.

On ne la garde pas à l’hôpital. « Car je respirais », dit-elle. « Les jours suivants, j’étais un légume. Il fallait m’y reprendre à trois fois pour réussir à faire le repas de ma fille. » Elle est faible, tombe, perd connaissance. À nouveau, elle est envoyée aux urgences. À nouveau, on ne le garde pas. « Ma médecin, furieuse, m’a fait faire une prise de sang. J’étais en surinfection. »

Les yeux secs

Depuis ? Sa vie est chamboulée. Elle devait commencer à travailler en tant qu’accompagnante d’élèves en situation de handicap à Pâques 2020. Elle n’a pas pu. « J’ai réussi à avoir une reconnaissance de mon handicap. » Et donc une allocation pour vivre. Elle vit dans une fatigue permanente, rarement sans douleur. « Il y a des jours avec et des jours sans. » C’est fluctuant.

Nathalie a des problèmes de circulation sanguine. En plus du livedo, elle a eu une phlébite superficielle au sein, des œdèmes aux jambes et des varices jusqu’aux hanches. « Mes jambes me faisaient tellement mal que c’était l’enfer de monter au premier étage jusqu’à mon appartement. » Elle souffre d’un syndrome sec : ses yeux sont secs, mais aussi sa langue et sa peau. Dorian aussi évoque la sécheresse de ses yeux et de sa bouche.

Comme l’Angevin, Nathalie a eu des difficultés à déglutir. Elle a aussi des reflux gastriques depuis deux ans. « Je suis presque toujours au bord de vomir », lâche-t-elle. Là encore, les problèmes digestifs et ce syndrome sec font partie des symptômes de Covid long listés par la Haute autorité de santé. Dorian, lui, a vu apparaître « des intolérances alimentaires et des allergies ».

Comme lui, Nathalie a également souffert de tachycardie. « Il m’est arrivé de me réveiller le matin avec le cœur à 160 pulsations par minute alors qu’avant le Covid, j’étais à 110 en courant », dit-elle. Elle suffoquait la nuit. Il lui a été diagnostiqué un syndrome sévère d’apnées-hypopnées obstructives du sommeil (Sahos). Depuis deux ans, ses analyses de sang révèlent également un taux de lymphocytes toujours élevés, signe d’infection.

« Dark Vador au lit »

Alors son quotidien a bien changé. Elle dort les jambes et les bras surélevés, avec un masque relié à une machine qui assure sa ventilation. « C’est Dark Vador au lit. J’ai fait une croix sur la vie amoureuse, ou alors à distance, rigole-t-elle. Ça vous fout quand même un coup… » Premier geste du matin : « Je me mets des poches chaudes sur les yeux sinon ils sont tout gonflés et je ne vois rien. J’ai aussi ma fille à préparer pour l’emmener à l’école. »

En ce moment, elle retourne à la salle de sport avec une amie. Pour bouger un peu. Rien de fou et beaucoup d’étirements. Régulièrement, elle continue par une séance chez le kiné. Il y a aussi les rendez-vous médicaux : angiologue, neuropsychiatre, ophtalmologue, médecin généraliste, spécialiste de médecine interne… Pas tous les jours, mais ils ne sont pas rares.

Elle ne décolère pas lorsqu’elle évoque la clinique qui lui a proposé comme seule réponse des séances de méditation pour 400 €.

Des vertiges

Elle n’est pas du genre à se plaindre. « Si je ne sens pas bien, j’évite de sortir seule dans la rue, car j’ai failli me prendre un pare-chocs à cause des vertiges. » Elle en a souvent. Ses pertes d’équilibre la font régulièrement se cogner dans les encadrements de porte.

Dans la journée, elle aime faire un peu de couture. « Mais, parfois, je suis assise et j’ai l’impression que mon corps ne peut plus bouger. C’est bizarre », ajoute-t-elle. Elle travaille aussi sa respiration pour gérer la tachycardie. « Sur ce point, ça va mieux depuis quelques mois. » Et elle s’occupe, évidemment, de sa fille. « J’ai de la chance d’avoir une famille proche et qui est présente », apprécie Nathalie.

Dorian, lui, a sa mère. Tous les deux trouvent également un peu de soutien auprès d’autres personnes atteintes de Covid long. Via les réseaux sociaux, ils partagent leurs errances médicales. « Au début, on se sent un peu seul. Pourquoi a-t-on tout ça alors d’autres ont le Covid sans rien développer de long derrière ? », confie Dorian, qui est désormais suivi par le CHU d’Angers. « Quand on découvre que d’autres personnes ont des symptômes similaires, ça permet de se dire qu’on n’est pas fou ! », ajoute Nathalie.

« La guérison, je n’y crois pas pour tout de suite »

L’avenir ? Il leur semble pavé d’incertitudes. « C’est compliqué de se projeter, souligne Dorian. La guérison, je n’y crois pas pour tout de suite. J’espère au moins aller un peu mieux et avoir un peu plus de vie sociale. » Aller au travail lui manque, notamment les contacts avec les collègues et les étudiants. « Mais, aujourd’hui, ce n’est pas possible. » Trop épuisant. « Je ne peux que télétravailler. »

Nathalie, elle, a du mal à se concentrer pour faire ses papiers administratifs ou écrire une lettre… « La fatigue m’écrase tellement, c’est fou. J’essaye de bouger. J’ai eu des petites améliorations. Là, mon état vasculaire m’inquiète. Je ne voudrais pas avoir un AVC. » Le chocolat noir lui semble avoir un goût de fraise et le citron lui rappelle la sauce nuoc-mâm. « Oui, j’ai le goût altéré mais c’est le cadet de mes soucis », dit-elle.

Elle est plus en colère qu’abattue. Même si elle a eu des coups de mou. « Ma fille m’a vu une fois craquer », regrette-t-elle. À ce moment-là, un trouble cognitif lui provoquait des difficultés à parler et une hyperacousie (une hypersensibilité aux sons) l’empêchait d’écouter de la musique. Un de ses plaisirs de toujours.

« Je suis toujours debout et j’essaye de bouger car je suis maman, poursuit-elle. Ça fait deux ans que ma fille voit sa mère, qui l’emmenait dans des festivals, être complètement en vrac… » Nathalie aimerait beaucoup l’emmener en vacances en van cet été. Mais elle envisage le futur sans regarder trop loin. « Quand on se réveille le matin, on ne sait pas comment va être le lendemain. »

Source OUEST FRANCE.

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