Nos vieux dans la souffrance : le CRI D’ALERTE du Pr Aubry…

Chef du service des soins palliatifs au CHRU de Besançon, le Pr  Régis Aubry évoque, dans un avis du Comité consultatif national d’éthique, la souffrance et la « ségrégation » dont souffrent beaucoup de personnes âgées.

Nos vieux dans la souffrance

On ne les appelle plus « les vieux » mais « les seniors » ou « les personnes âgées ». Ces euphémismes signent-ils un réel progrès dans la manière dont nous traitons et considérons « les anciens » ? Non, si l’on en croit le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), qui dresse dans un avis publié le 16 mai un constat accablant sur la façon dont le vieillissement est pris en compte dans notre pays. « Ghettoïsation », « ségrégation », « exclusion sociale de fait », « souffrance », « maltraitance latente », « survie »… Les mots sont durs, la lumière jetée sur cette « zone d’ombre » extrêmement crue. « C’est un pavé dans la mare », reconnaît le Pr  Régis Aubry, chef du service de soins palliatifs au CHRU de Besançon et cosignataire du rapport. « Nous nous sommes mis à la place des principaux intéressés, les personnes âgées », explique-t-il à l’Est Républicain. « Beaucoup se sentent mis à l’écart, dans des structures où ils n’ont pas choisi d’aller, dans un environnement subi, qui les isole et où ils n’avaient pas envie d’être ». Certains se résignent, d’autres développent « une forme de dépression réactionnelle ». « Quel peut-être le soubassement éthique d’un système où la sécurité l’emporte sur la liberté de choisir son lieu de vie ? Où est le respect ? », questionne le médecin bisontin.

« Interroger la médecine »

Cet avis du Comité d’éthique n’est pas un réquisitoire contre les Ehpad mais, plutôt, la critique sans concession d’une logique de « concentration » de nos vieux, dans des établissements où se pratique une forme d’« institutionnalisation forcée », malgré toute la bonne volonté de ceux qui y travaillent, avec des moyens qu’ils n’ont pas.

La question des soins est aussi posée et là encore, le constat est sans appel. « La médecine a fait beaucoup de progrès avec des possibilités de prolongation de la vie parfois spectaculaires. Mais pour certains patients, polyhandicapés ou souffrant de graves troubles cognitifs, il s’agit plutôt d’une situation de survie qui n’est que souffrance ». Pour le Pr Aubry, c’est le sens de la médecine qui est interrogé et la question devient philosophique, ontologique : « Au seul motif que le médecin sait faire, doit-il faire ? Qu’est-ce que vivre veut dire ? Quelle valeur donner à l’existence dans un monde qui ne reconnaît plus une partie de ses vivants comme vivant ? ».

Plus le temps…

« Sentiment d’inexistence et d’inutilité », « d’être en trop », « de n’être plus » : ce ressenti est de plus en plus répandu, chez les personnes âgées et « ceci doit nous alerter », considère Régis Aubry.

L’avis du CCNE décrit de manière concrète certaines consultations, où les patients âgés, trop lents à se déshabiller, sont examinés au travers de leurs vêtements. Dans les services d’urgence, la difficulté à décrire un symptôme amène certains soignants à ne plus s’occuper des vieux en priorité. Qualifiée d’« âgisme » par les auteurs du rapport, cette « ségrégation » est d’autant plus insidieuse qu’elle est le plus souvent « inconsciente ». « Quand le temps des professionnels du soin et des patients ne se croise plus, il n’y a plus de rencontre et donc plus de relation possible. Quand une partie de la démarche de soins est escamotée, on aboutit à une exclusion de fait », déplore le Pr Aubry.

Changer de regard

« Le moment est venu de repenser notre système de santé et, au-delà, de créer de nouvelles formes de solidarité – ou d’en réveiller d’anciennes – dans une société où l’humanisme est absent ».

Le Comité d’éthique avance quelques pistes : création de logements intergénérationnels ; renforcement de l’aide à domicile avec des professionnels formés et valorisés ; création d’Ehpad « hors les murs » avec des chambres réservées dans les étages inférieurs des nouveaux immeubles… Mais c’est d’abord le regard sur nos vieux qu’il faut changer, à l’école, dans les médias, quand la jeunesse fait figure de valeur cardinale. « Ne pas parler de ce qui nous angoisse est générateur d’angoisse. Nous serions beaucoup moins malheureux si nous étions capables de parler et de regarder en face ce qui nous attend, plutôt que de le refouler », conclut le Pr Aubry.

Source EST REPUBLICAIN.

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