Les greffes d’organes de porc pourraient guérir bien des maladies humaines…

Si les essais cliniques démontraient l’efficacité de la xénogreffe de rein, des dizaines de milliers de vies seraient sauvées chaque année dans le monde.

 

L’incidence de l’insuffisance rénale terminale est en constante augmentation à travers le monde. Dans les pays développés comme les États-Unis, l’espérance de vie élevée, l’hypertension, le diabète, l’obésité et les maladies cardiovasculaires contribuent à une augmentation de l’insuffisance rénale chronique. Depuis les années 1970, l’hémodialyse a permis de maintenir en vie des millions de personnes souffrant d’insuffisance rénale.

Aussi salvatrice soit-elle, l’hémodialyse ne permet néanmoins pas de maintenir les malades en vie pendant de longues années, avec «un peu plus de la moitié seulement des patients (51%) toujours en vie au bout de cinq ans de traitement, et 32% à dix ans». Environ 16% des personnes dialysées décèdent chaque année. Non seulement l’hémodialyse ne permet pas de survivre sur le long terme, mais elle impacte très négativement la qualité de vie, à tel point qu’aux États-Unis en 2004, 24% des patient·es choisissaient d’arrêter le traitement.

La transplantation d’un rein d’une personne vivante ou décédée permet d’améliorer drastiquement les chances de survie ainsi que la qualité de vie des personnes souffrant d’insuffisance rénale. Si l’espérance de vie restante moyenne pour un individu âgé de 20 à 24 ans est de 18,8 ans avec une dialyse, elle passe à 43,4 après une transplantation, soit seulement 11 ans de moins que la population générale. Cette procédure salvatrice est néanmoins tragiquement limitée par la pénurie chronique de reins à travers le monde.

Aboutir à une xénogreffe sûre et efficace permettrait à l’humanité d’avoir accès à une source presque illimitée d’organes.

Aux États-Unis, 40% des personnes sur liste d’attente ont une haute probabilité de mourir d’ici cinq ans. Une analyse de 2006 révélait que la plupart des personnes mortes alors qu’elles étaient sur liste d’attente pour un rein auraient été d’excellentes candidates pour une greffe. Rien qu’aux États-Unis, chaque jour, trente personnes meurent faute d’avoir obtenu un organe ou sont retirées de la liste d’attente parce qu’elles deviennent trop malades pour la procédure de transplantation. Les différentes politiques publiques visant à accroître le nombre de dons d’organes n’ont que peu permis de faire reculer cette pénurie aux conséquences dramatiques. C’est dans ce contexte que de nombreuses équipes de recherche à travers le monde portent leurs espoirs sur la xénogreffe.

Celle-ci consiste à utiliser des animaux, le plus souvent des porcs, comme sources d’organes pour les humains. Aboutir à une xénogreffe sûre et efficace permettrait à l’humanité d’avoir accès à une source presque illimitée d’organes, mettant de ce fait fin à la pénurie et donc sauvant la vie de dizaines de milliers de personnes chaque année. C’est dans ce domaine que des scientifiques chinois·es, américain·es et espagnol·es ont très récemment publié une étude qui consistait à modifier génétiquement avec succès des porcs afin de rendre leurs organes et tissus compatibles avec le corps humain.

Trois barrières empêchant la xénogreffe entre porcs et humains

Dans cette étude parue le 21 septembre dernier dans le journal Nature Biomedical Engineering, l’équipe de recherche a tâché de surmonter les trois principales barrières empêchant la transplantation d’organes des porcs vers les humains.

La première de ces barrières est évidemment celle du rejet immunitaire. Lors de la transplantation d’un organe humain, le système immunitaire du receveur va considérer l’organe transplanté comme un composant étranger, et va donc l’attaquer en démarrant un rejet immunitaire. Le type de rejet le plus dangereux est le rejet hyperaigu, qui en quelques minutes à quelques heures conduit à un déclin de l’organe jusqu’à sa nécrose.

Par rapport à la transplantation d’un organe humain, la xénogreffe implique une barrière immunitaire encore plus grande due à la présence d’un plus grand nombre de composants étrangers sur la surface des cellules, ainsi que des différences moléculaires importantes notamment en matière d’anticorps, de cellules NK et de macrophages.

La deuxième barrière consiste en un problème d’inflammation systémique souvent observé dans les cas de transplantations entre porcs et primates non humains, inflammation qui elle-même entraîne des troubles de la coagulation ainsi qu’une augmentation de la réponse immunitaire. Les problèmes de coagulation sont responsables de la plupart des échecs de greffe dans les cas de xénogreffe.

Enfin, la troisième barrière relève du danger de transmission d’organismes pathogènes entre espèces. Parmi ces organismes, les rétrovirus endogènes porcins sont particulièrement importants car difficiles à éliminer de par le fait que leur ADN fait partie du génome même du porc. Commes d’autres rétrovirus tel le virus leucémogène félin, ces rétrovirus peuvent entraîner des maladies graves comme des immunodéficiences et des tumeurs.

«Il est probable que des essais cliniques de transplantation de reins de porc aient lieu dans les deux prochaines années.»

«Clinical Pig Kidney Xenotransplantation: How Close Are We?», article publié dans le Journal of the American Society of Nephrology

Pour faire tomber ces barrières, l’équipe de recherche a d’abord modifié génétiquement des cellules d’oreille de porc afin d’inactiver trois gènes et d’ajouter neuf transgènes humains, cette double modification permettant une bien meilleure compatibilité avec le système immunitaire et la coagulation sanguine du corps humain. Ces cellules génétiquement modifiées à l’aide de CRISPR-Cas9 ont ensuite été transformées en embryons à l’aide de la technique de transfert de noyau de cellules somatiques (clonage). Ces embryons ont permis de faire naître des porcs qui portaient la double modification génétique.

Des cellules de ces nouveaux porcs ont ensuite été elles-mêmes génétiquement modifiées par CRISPR-Cas9, cette fois-ci pour inactiver les gènes des rétrovirus endogènes porcins. Une fois les cellules modifiées, des porcs portant l’ensemble des trois types de modification dans leur génome sont nés à la suite d’une nouvelle utilisation de la technique de clonage.

Des analyses ont été menées: elles ont non seulement confirmé que les cellules de ces porcs présentaient une grande compatibilité avec le système immunitaire humain, mais aussi une moindre propension à entraîner des troubles de la coagulation, et enfin, une bonne santé.

Un avenir prometteur pour la greffe de rein

Cette expérimentation est un pas majeur vers le premier essai clinique de xénogreffe d’un rein de porc vers l’humain. Il s’agit en effet de la première étude à combiner chez le porc des modifications génétiques qui visent à la fois à le rendre davantage compatible avec le système immunitaire humain et la coagulation humaine, mais aussi à éliminer le danger de transmission de rétrovirus endogènes porcins. L’utilisation conjointe du ciseau génétique extrêmement précis CRISPR-Cas9 et du clonage par transfert de noyau de cellules somatiques a permis d’implémenter des altérations génétiques très conséquentes en seulement deux étapes de modification.

Les scientifiques chinois·es, américain·es et espagnol·es sont en ce moment en train de mener une étude consistant à transplanter des organes de ces porcs génétiquement modifiés chez des primates non humains afin de déterminer la sûreté et l’efficacité de la procédure. Dans une revue publiée en janvier 2020, une équipe de l’Université de l’Alabama avance que «l’état de la science est suffisamment avancé pour indiquer qu’il est probable que des essais cliniques de transplantation de reins de porc aient lieu dans les deux prochaines années». Ce même article défend l’idée que les personnes participant à ces premiers essais cliniques devraient être celles qui sont sans espoir d’obtenir une greffe de rein humain à temps:

«Nous suggérons qu’il serait éthique d’offrir une greffe de rein de porc à des patients sélectionnés dont l’espérance de vie est inférieure au temps que cela prendrait pour qu’ils obtiennent un organe d’un donneur humain décédé. La période d’attente médiane pour un patient avec une insuffisance rénale terminale est de 3,9 années, au bout desquelles environ 35% des candidats à la greffe meurent ou sont retirés de la liste d’attente.»

Les conséquences d’essais cliniques de greffe de rein de porc vers des humains qui démontreraient sa sûreté et son efficacité seraient immenses. Non seulement les reins pourraient être produits en abondance, mais ils deviendraient fondamentalement disponibles à la demande, y compris dans les cas d’urgence. Des dizaines de milliers de vies seraient ainsi sauvées chaque année dans le monde. Les effets négatifs de la mort cérébrale sur la santé des reins disponibles pour la greffe disparaîtraient. Ce serait également la fin des dons de personnes vivantes, ce qui constituerait une excellente nouvelle étant donné la lourdeur de la procédure ainsi que les complications médicales qui peuvent survenir.

«Les porcs seront manipulés pour contrôler la réponse immunitaire adaptative, permettant de réduire voire de supprimer les thérapies immunosuppressives exogènes.»

«Clinical Pig Kidney Xenotransplantation: How Close Are We?», article publié dans le Journal of the American Society of Nephrology

En outre, toute une nouvelle catégorie d’individus pourraient alors bénéficier de greffes de rein: il s’agit des cas de personnes à la marge qui, bien qu’elles n’aient pas besoin d’un rein sur le court terme, tireraient néanmoins bénéfice d’une greffe qui leur éviterait des problèmes de santé sur le moyen ou long terme. Compte tenu de la rareté de reins disponibles pour une greffe, ces personnes souffrant par exemple de diabète mal contrôlé sont aujourd’hui exclues des listes d’attente. Dans une situation d’abondance de reins, toutes les greffes pourraient être faites de manière préemptive plutôt que bien plus tard, lorsque le besoin devient crucial. Les résultats des greffes de reins préemptives sont d’ailleurs supérieurs à ceux des greffes qui ont lieu après la mise en place d’une dialyse.

D’après l’équipe de l’Université de l’Alabama, les modifications génétiques des porcs pourraient à l’avenir aller plus loin que ne le font les travaux scientifiques actuels:

«Les manipulations génétiques qui ont été introduites jusqu’à ce jour dans les porcs ont majoritairement tâché de surpasser la réponse immunitaire innée, pour laquelle les thérapies médicamenteuses sont limitées. Dans le futur néanmoins, les porcs seront également manipulés pour contrôler la réponse immunitaire adaptative, permettant ainsi de réduire significativement voire complètement supprimer les thérapies immunosuppressives exogènes.»

Au-delà des reins

Outre les patient·es souffrant d’insuffisance rénale, d’autres pourraient demain bénéficier de la révolution de la xénogreffe animale. C’est le cas des personnes qui survivent à des brûlures sévères de la peau, qui souffrent alors d’une mortalité significative sur le long terme ainsi que de multiples effets psychologiques extrêmement négatifs. Pour celles qui présentent des brûlures impliquant plus de 50% de la surface totale du corps, les greffes de leur propre peau ne sont fréquemment pas suffisantes.

Des xénogreffes de peau animale sont pratiquées dès aujourd’hui, mais elles sont la plupart du temps très rapidement rejetées. Les tissus humains issus de cadavres connaissent des pénuries persistantes, et aucun substitut approchant les qualités fonctionnelles et cosmétiques de la peau humaine n’a encore été trouvé. De récentes études chez des primates non humains ont démontré que de la peau issue de porcs génétiquement modifiés peut survivre jusqu’à trente jours sans immunosuppression contre huit jours en moyenne pour les peaux humaines, et ce avec une qualité équivalente. Un essai clinique est actuellement en cours aux États-Unis pour évaluer la sûreté et l’efficacité d’une xénogreffe de tissus issus de porcs génétiquement modifiés.

«S’il est acceptable de tuer des porcs pour faire des saucisses, alors il est certainement acceptable de les tuer pour sauver des vies.»

«Will the Pig Solve the Transplantation Backlog?», article publié dans Annual Reviews

Les espoirs sont également grands en matière de production de globules rouges:

«Une alternative aux globules rouges pour des transfusions cliniques serait avantageuse, particulièrement dans les situations de perte massive de sang (où la disponibilité et la compatibilité sont limitées) ou les maladies du sang chroniques qui requièrent des transfusions fréquentes (qui résultent en une allo-immunité [une immunité envers le sang issu de dons]). […] Les globules rouges de porcs offrent une alternative prometteuse en raison de leurs similarités avec les globules rouges humains, et notre capacité grandissante à modifier génétiquement les porcs pour réduire leur immunogénicité [la capacité de leurs cellules à déclencher des réponses immunitaires chez l’humain]

On pourrait encore continuer longtemps en citant notamment les promesses des xénogreffes animales en matière de transplantation cardiaque, ou encore de transplantation de foie. Dans l’ensemble de ces cas, la recherche s’accélère depuis les dernières décennies et les succès se font de plus en plus nombreux dans les essais précliniques grâce à l’utilisation de porcs génétiquement modifiés. Comme dans le cas de la recherche sur les animaux chimériques, les voix de personnes attachées au véganisme ne manqueront pas de s’élever pour s’opposer à ces techniques de xénogreffes.

Cette opposition à l’utilisation des porcs pour sauver un nombre immense de vies humaines perd toutefois la majeur partie de son poids dans un monde où les porcs sont massivement utilisés comme source de nourriture: «S’il est acceptable de tuer des porcs pour faire des saucisses, alors il est certainement acceptable de les tuer pour sauver des vies.»

Gageons que cette opposition des militants vegans ainsi que celle, probable, de croyants musulmans ou juifs, ou encore des personnes éprouvant du dégoût à l’idée d’organes porcins chez l’humain ne sera pas suffisante pour ralentir ou stopper cette formidable recherche ne qui promet rien de moins que d’abolir les tragiques pénuries d’organes et de tissus. La France gagnerait à dépoussiérer ses lois de bioéthiques extrêmement contraignantes, à s’affranchir de ses peurs irrationnelles de la modification génétique, et enfin à participer pleinement à la recherche mondiale concernant les xénogreffes d’organes issus de porcs.

Source SLATE.

 

 

 

 

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