Crise de l’hôpital : « Si on est là, tous les soignants, c’est que c’est grave »…

Ce jeudi, une grande manifestation se tenait de Port-Royal à Invalides, réunissant médecins, infirmières, aide-soignants, chefs, étudiants pour défendre l’hôpital public.

Arthur et Jérémy (à gauche) sont deux externes et s'inquiètent de voir les hôpitaux et notamment les urgences en manque criant de moyens humains.

  • Ce jeudi, des manifestations étaient organisées à Paris, mais aussi en province, réunissant tous les soignants du public.
  • Dans le cortège parisien, infirmières, médecins, externes, chefs de service ont partagé leurs doutes pour l’avenir et leurs inquiétudes pour les patients.
  • Emmanuel Macron a annoncé jeudi à Epernay (Marne) des «décisions fortes» pour les hôpitaux, qui seront présentées mercredi prochain par le Premier ministre.

« Hôpital urgence vitale ». C’est sur un cercueil en carton que ces mots sont gravés. Ce jeudi, à Paris, infirmières, aides-soignants, médecins, étudiants en santé, et même chefs de service défilaient de Port Royal aux Invalides à Paris pour crier leur ras-le-bol. Une marée de blouses blanches, bleues, vertes et de calots multicolores a envahi le boulevard Montparnasse (14e arrondissement). Avec pour objectif de pousser le gouvernement à débloquer davantage de moyens pour l’hôpital public, alors qu’Emmanuel Macron a annoncé des «décisions fortes» qui seront dévoilées mercredi prochain. 

« On n’est pas là pour bloquer le système, mais pour le sauver »

« Touche pas à mon hosto », « Les calculs sont pas bons, Agnès », « La santé n’est pas une marchandise », « Stop au Buzyness »… Sur les pancartes, au dos des blouses blanches, le ton est à la colère. Qu’ils soient en pédiatrie, en psychiatrie, aux urgences, qu’elles prennent soin des concitoyens en tant qu’infirmière, médecin, assistante sociale, c’est tous les professionnels de santé qui sont descendus dans la rue ce jeudi.

Pour beaucoup, c’est la première fois qu’ils défilent au son de « Motivés, motivés ». « Même les doyens de la faculté nous ont encouragés à manifester, c’est exceptionnel », assure Jérémy, externe. « Ce rassemblement est inédit parce que des aides-soignants aux chefs de service, tout le monde défile, souligne Véronique Abadie, chef du service de pédiatrie générale de Necker (AP-HP). C’est pas notre culture d’être dans la rue. Si on est là, tous les soignants, c’est que c’est grave. »

Vers le milieu du cortège, Céline, Yasmine, Jean-Marc et Philippe, tous infirmiers à l’hôpital Ambroise Paré, à Boulogne (Hauts-de-Seine) marchent côte à côte. « Notre hôpital meurt, tranche Yasmine, 35 ans de métier dans les pattes et la colère en bandoulière. On ferme des lits, nos infirmières s’essoufflent, il n’y a pas de suivi dans les services, on manque de tout. » « Avec une hausse d’activité », complète son collègue Jean-Marc.

« Partout, on a atteint la ligne rouge »

Même écho du côté de Rosine, médecin dans le même hôpital. « C’est dommage parce qu’on a tous les outils pour que ça marche. On n’est pas là pour bloquer le système, mais pour le sauver. » Et cette anesthésiste de prendre un exemple parlant : « On a un bloc flambant neuf, on ne peut pas le faire fonctionner car on n’a pas assez d’infirmières. » « Depuis un mois et demi, je crois qu’on l’a utilisé dix fois », l’interrompt Aurélie, sa collègue.

Qui souligne un danger de taille : « aujourd’hui l’attrait du privé est énorme pour les médecins. On n’a plus le temps de former les internes, de discuter avec les patients, on a perdu les avantages que nous offrait l’hôpital public et en plus on est beaucoup moins payé que dans le privé. » « C’est un cercle vicieux, synthétise Rosine : plus les soignants partent, pire c’est pour ceux qui restent. Partout, on a atteint la ligne rouge. »

« C’est évidemment le patient qui en pâtit »

Et le mégaphone de haranguer : « soignants épuisés, patients… » « en danger », répond la foule bigarrée. « Il faut qu’on sorte du comptable et qu’on remette de l’humain dans nos hôpitaux, plaide Céline, médecin responsable du service douleur à l’hôpital Necker (AP-HP). On ferme des lits, ce qui revient à faire rentrer chez eux des patients dans un état instable. C’est évidemment le patient qui en pâtit. »

« C’est pour ça qu’on est là, pour pouvoir prendre en charge nos patients sans danger », renchérit Nelly, sa collègue. A quelques enjambées, la chef du service de pédiatrie générale de Necker, Véronique Abadie, complète. « Si on veut que les enfants soient soignés, il faut des moyens. Comme on ne peut pas faire fonctionner notre service sans infirmière, on ferme des lits. Le week-end dernier, on a dû fermer douze lits en pédiatrie. Cela veut dire que demain, vous arrivez avec votre bébé qui a une bronchiolite et on ne peut pas l’hospitaliser à Necker, on doit l’envoyer à Garches (Hauts-de-Seine) ou même en province ! »

Sur les pancartes, lors de la manifestation jeudi. Crise de l’hôpital : « Si on est là, tous les soignants, c’est que c’est grave ».

« On pourra toujours crier, on sera là pour soigner »

Une sécurité réclamée pour les patients, mais aussi pour les soignants. « On essaie de préserver les patients, mais nous, on souffre », souffle dans le froid Marie, une infirmière de 29 ans qui exerce à l’hôpital Saint-Louis (AP-HP). Arthur et Jérémy, deux externes qui alternent gardes aux urgences, cours et stage en gynéco obstétrique, confirment. « Aux urgences, c’est un merdier pas possible, on doit aller vite, mais on a peur de faire des erreurs », avoue Arthur.

Pourtant, Agnès Buzyn a débloqué des enveloppes pour les urgences en juin et en septembre.

Des annonces insuffisantes au vu de la mobilisation actuelle et des dires des personnes rencontrées. « J’ai dû emmener ma mère aux urgences de La Pitié il y a quelques semaines, reprend Arthur. C’est encore la cour des miracles : il y a des gens partout sur des brancards. J’ai vu des chirurgiens opérer après 24h de garde, vous monteriez dans un avion si vous saviez que le pilote vole depuis 24h ? »

« Comme on n’a pas vraiment le pouvoir de nuisance que d’autres possèdent, on pourra toujours crier, on sera là pour soigner, donc non, les choses n’avancent pas », regrette Nelly, infirmière. « On va vers une médecine à deux vitesses, en fait c’est déjà le cas aujourd’hui : ceux qui ont les moyens vont dans le privé, les autres attendent dans le public. » Autre inquiétude, exprimée par Rosine, médecin à l’hôpital Ambroise Paré : « Sans hôpital public, on n’a plus de formation des futurs médecins. » « Le problème, c’est que si personne n’est là pour leur enseigner les bases, on aura à l’avenir de mauvais médecins », s’émeut Aurélie, sa collègue.

« Soignants, soignés, les mêmes combats »

Est-ce que cette mobilisation hors norme suffira ? Beaucoup saluent la solidarité interprofessionnelle et la forte mobilisation. « On espère vraiment qu’on va être entendu parce que ça fait des années qu’on alerte mais le point de non-retour est atteint », assure Fabienne, infirmière à l’hôpital Pompidou.

Certains en doutent. « Ce rassemblement, c’est un premier pas, mais il faudra voir si ce sera suffisant, alerte Yasmine, infirmière à Ambroise Paré. Agnès Buzyn, elle ne peut pas faire de miracles, et il faudrait des milliards pour répondre aux besoins… La ministre, c’est pas quelqu’un de terrain ! » « Détrompe-toi, la coupe alors son collègue Philippe, j’ai travaillé avec elle, à l’époque je la tutoyais et elle sait très ce qu’il se passe ! » Il n’empêche, lui aussi s’inquiète pour l’avenir : « moi je suis à un an de la retraite, mais pour ceux arrivent, si ça continue comme ça, un jour l’hôpital public va tomber. » Le mot d’ordre est clair : le public est invité à se mobiliser pour défendre ce bien commun. « Soignants, soignés, les mêmes combats, c’est tous ensemble qu’on va gagner », scandent les manifestants. Et Aurélie, médecin anesthésiste de philosopher : « De toute façon, on aura tous, un jour, besoin de l’hôpital ».

Source 20 MINUTES.

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