Toulouse. Odile Maurin, élue et handicapée : « Jean-Luc Moudenc veut me pousser à la démission »…

Après avoir attaqué le maire (LR) de Toulouse en justice, l’élue d’opposition Odile Maurin accuse Jean-Luc Moudenc de nier la réalité de son handicap, et de « validisme ».

Militante devant l'éternel des droits des personnes handicapées, Odile Maurin (ici, lors d'une manifestation) bataille contre la mairie pour obtenir une compensation financière de son handicap

 

Figure de la cause handicapée, et égérie des gilets jaunes, Odile Maurin est aussi, depuis juin 2020, conseillère municipale d’opposition à Toulouse. Entourée de ses avocats, Mes Christophe Lèguevaques et David Nabet-Martin, l’élue a dénoncé mardi 22 mars 2022 l’entrave à l’exercice de son mandat que ferait peser le maire (LR) de la Ville rose à son encontre. Car pour l’élue – qui a eu affaire à la justice à plusieurs reprises ces dernières années après divers coups d’éclat – il n’y a aucun doute : Jean-Luc Moudenc en profite pour la bâillonner, et même tenter de la « pousser à la démission ».

Odile Maurin a saisi la justice

Après avoir vainement tenté de trouver « un accord à l’amiable », l’élue et ses conseils ont intenté en juin dernier un recours juridictionnel devant le Tribunal administratif de Toulouse. L’audience devrait se tenir dans quelques semaines, et la décision est attendue « dans les mois à venir ».

En gros, Odile Maurin réclame « la prise en charge des frais spécifiques » liés à son handicap, lui permettant de « prendre part aux conseils municipaux et métropolitains ». Ses avocats contestent « l’interprétation juridique des textes » en vigueur, faite par le Capitole. D’après eux, la municipalité se bornerait à ne prendre en charge que « les frais de déplacements » de l’élue, « considérant ainsi qu’elle ne souffre que d’un handicap physique ». Une « analyse très restrictive », dénonce Me Christophe Lèguevaques.

« La mairie de Toulouse fait tout pour qu’un élu ne puisse pas exercer pleinement sa mission de représentant du peuple ».

Me Christophe LèguevaquesAvocat d’Odile Maurin, inscrit au barreau de Paris

De quoi souffre Odile Maurin ?

Odile Maurin souffre à la fois de déficiences physiques et de troubles neuro-cognitifs. Diagnostiquée autiste asperger, elle a aussi une maladie génétique rare – le syndrome d’Ehlers-Danlos – qui l’oblige à se déplacer en fauteuil roulant électrique.

Mais si Odile Maurin et son célèbre fauteuil roulant ont défrayé la chronique ces dernières années, l’élue insiste sur le fait que son handicap physique n’est que la partie émergée de l’iceberg : « Mes troubles cognitifs font que je n’arrive pas à tout retenir, j’ai notamment de grosses difficultés de synthèse, des problèmes de concentration et de notion du temps ».

« Tout le monde a bien vu que j’ai un fauteuil roulant, mais ce n’est pas ce qui me pose le plus de soucis : j’ai surtout besoin d’aide pour qu’on m’ouvre les portes, qu’on me coupe les aliments, ou qu’on m’écrive des textes ».

Odile MaurinÉlue du groupe Alternative municipaliste citoyenne (AMC) à Toulouse

Des dossiers de 3 000 pages à éplucher en cinq jours

« Comme toute personne autiste, j’ai des aptitudes supérieures à la moyenne dans certains domaines, mais aussi des lenteurs d’exécution », détaille Odile Maurin. « Il me faut par exemple quatre fois plus de temps que les autres personnes pour écrire ».

« Or, quand on est élu, on reçoit les délibérations cinq jours avant le conseil. Beaucoup d’élus ne travaillent pas leurs dossiers et s’exonèrent de ce travail, mais ce n’est pas ma conception de l’exercice d’un mandat politique. Je tiens à faire ce travail d’analyse, pour lequel j’ai été élue ».

Odile Maurin

Selon Odile Maurin, avant chaque séance, les élus en général et elle en particulier, sont acculés par la masse de documents à éplucher en quelques jours seulement : « On a reçu des dossiers de 3 000 pages, je n’en suis pas capable (de les scruter entièrement, ndlr). Certains se contentent d’encaisser la monnaie et de serrer les mains, je ne conçois pas ma mission comme ça ».

Une volonté de la « neutraliser politiquement » ?

Odile Maurin, qui se bat pour obtenir de la collectivité « une vraie compensation » de son handicap depuis son élection, assure avoir vite perdu ses illusions…

« J’ai compris qu’être une élue potiche rendait bien service à la majorité, et qu’ils n’entendaient pas compenser mon handicap ».

Odile Mauin

La conseillère municipale est même convaincue que le maire se sert de cet argument pour la museler : « Je ne pensais pas que Jean-Luc Moudenc oserait se servir de mon handicap pour me neutraliser politiquement ».

Déjà « 8 159 euros de frais » pour compenser son handicap

Comme conseillère municipale et métropolitaine, Odile Maurin touche une indemnité de 1 245 euros par moisDepuis le début de la mandature, elle indique avoir dépensé « 8 159 euros de frais pour compenser » son handicap, essentiellement pour employer une collaboratrice qui l’aide dans sa tâche d’élue : « J’emploie Adeline, que je paie très mal », dit-elle en montrant une jeune femme qui l’entoure. Elle m’accompagne physiquement aux commissions et aux conseils, m’aide à préparer les documents ». Ladite Adeline, qu’elle fait travailler « une cinquantaine d’heures par mois », précise apporter à l’élue « une aide motrice : pour ouvrir les portes, lever la main en conseil municipal, ou encore taper sous la dictée ».

« Il n’est pas normal que je consacre toutes mes économies à jouer les potiches et être la caution handicap d’un conseil municipal », scande encore Odile Maurin, qui précise que si « la collectivité est censée me rembourser 1 838 euros, il reste 6 320 euros à ma charge ».

C’est l’un des points que soulèvent ses avocats : « Malgré ses faibles revenus », elle est « contrainte de prendre à sa charge personnelle ces dépenses mensuelles avec son indemnité d’élue, affectée à 80% à ces frais, pour exercer son mandat ».

Odile Maurin, elle, doit faire des sacrifices : « Je dois renouveler mon fauteuil roulant qui déconne complètement, je n’ai pas pu le commander parce que je n’ai plus les économies nécessaires. Et cela coûte 25 000 euros ».

Elle réclame « une aide matérielle » qui la « remette sur un pied d’égalité » avec tous les élus. « On demande simplement l’application de la loi ».

Que dit la loi, justement ?

Ses avocats ont longuement insisté ce mardi sur « le principe de compensation du handicap ». Évoquant « la constitution », qui « garantit le principe d’égalité »,  Me David Nabet-Martin, avocat au barreau de Toulouse, s’appuie aussi sur plusieurs textes législatifs. D’abord, la loi du 11 février 2005, « qui prévoit le principe de compensation du handicap et de l’aménagement raisonnable pour garantir ‘l’accès aux droits fondamentaux’ et l’exercice de leur citoyenneté ». Mais il s’appuie également sur la « convention de l’ONU sur les droits des personnes en situation de handicap » et sur les articles L.2123-18-1 et L.5211-13 du Code général des collectivités territoriales, « qui posent le principe que les élus handicapés doivent bénéficier d’aides financières ‘d’accompagnement et d’aide technique’ leur permettant de ‘prendre part’ aux séances », soulève le juriste.

Mais les deux camps s’opposent sur la lecture de ces textes. La majorité ayant selon Odile Maurin « une interprétation restrictive de ces notions, en soutenant que doivent seulement être remboursés les frais permettant d’être présent à ces réunions, et non ceux permettant d’y prendre part effectivement ». Elle assure que le maire-président « refuse désormais, depuis quelques semaines tout remboursement y compris pour être présente aux réunions de la métropole ».

Un procès en « validisme » contre le maire

À l’arrivée, Odile Maurin intente également à Jean-Luc Moudenc un procès (moral, celui-ci) en « validisme ». Ce concept de discrimination fondée sur les capacités se caractérise par la conviction de la part des personnes valides que leur absence de handicap, ou leur bonne santé, leur confère une position supérieure à celle des personnes handicapées.

« La loi n’est pas précise sur ce qu’il est obligé de faire, mais elle ne l’empêche pas d’aller au-delà », soulève Odile Maurin, qui n’entend pas démissionner…

« C’est ma responsabilité en tant que militante dans le champ du handicap de montrer les difficultés que nous vivons. 15 % de la population est en situation de handicap. Ce n’est pas possible qu’on soit accepté dans cette société que quand on devient des valides ».

Odile Maurin

Le cas d’Odile Maurin fera-t-il jurisprudence ?

Concrètement, Odile Maurin demande désormais une compensation financière, pour assumer « l’aide humaine » qui lui est nécessaire, mais aussi l’octroi d’un « ordinateur qui lui permettra de mieux gérer ses problématiques », résume Me David Nabet-Martin.

Me Christophe Léguevaques déplore « l’opposition franche » de Jean-Luc Moudenc et s’inquiète de son « interprétation restrictive des textes, qu’il utilise son contre son opposante politique ». D’après lui, « c’est une lecture un peu bête, qui ne respecte pas la finalité du texte, consistant à respecter les droits des élus en situation de handicap ».

« On s’est heurtés à un mur d’incompréhension et de mépris, au comportement indigne d’un harceleur, un harceleur politique ».

Me Christophe Lèguevaques

Le cas de l’élue toulousaine serait isolé à l’échelle nationale, car « dans les autres villes où le cas de figure s’est présenté, les municipalités ont eu l’intelligence de faire vivre le texte », défend l’avocat. « Mais ici, on fait face à un dialogue de sourds et à un double discours ». Par ailleurs spécialiste des actions collectives en justice, Me Lèguevaques veut croire que « nous allons écrire une page de jurisprudence« .

Odile Maurin, qui rappelle que les temps d’intervention en séance sont limités – comme tous les élus, elle dispose de 2 minutes et 30 secondes -, elle dénonce aussi une propension du premier magistrat à lui couper le micro, alors que du fait de son handicap, elle aurait besoin de plus de temps pour s’exprimer que les autres : « Il y a eu un conseil où je me suis retrouvée en pleurs, parce qu’il m’empêchait de parler ».

« En m’asphyxiant financièrement, il veut me pousser à la démission ».

Odile Maurin

La collectivité se retranche derrière « le cadre règlementaire »

Que répondent les deux collectivités à ces accusations ? Contactées par Actu Toulouse, la Mairie et la Métropole assurent qu’elles « ont à cœur de donner à chaque élu les moyens d’exercer pleinement son mandat ».

« Lorsque Madame Maurin nous a fait part des aménagements qui lui semblaient souhaitables pour lui permettre de mener à bien ses missions, la Mairie de Toulouse et Toulouse Métropole ont fait l’acquisition de deux lits médicalisés pour les Conseils municipaux et métropolitains installés dans deux salles réservées exclusivement à Madame Maurin lors des conseils ; aménagé des bureaux, sanitaires et espace cuisine dans les locaux place Jourdain dédiés au groupe politique ».

La mairie de Toulouse

La collectivité assure qu’à l’occasion de « plusieurs échanges de courriers, il lui a été indiqué que lui seraient accordées toutes les aides prévues par les textes, à savoir : pour la Mairie de Toulouse, des remboursements de frais spécifiques de déplacements, d’accompagnement et d’aide technique engagés par les élus en situation de handicap lorsqu’ils se rendent à des réunions se déroulant à l’extérieur de la commune et le remboursement de ces mêmes frais pour prendre part aux séances se déroulant dans la commune ». La mairie assure que « ces remboursements de frais sont donc pris en charge dans la limite de ce plafond fixé par les textes ».

Quant à Toulouse Métropole, elle indique que « les remboursements de ces mêmes frais sont également possibles dans la limite d’un plafond identique, mais ils ne s’appliquent que dans le cas où les réunions concernées se déroulent dans une commune autre que celle dont l’élu est issu, ce qu’a confirmé, par courrier, le préfet interrogé sur la question ». À l’arrivée, « Toulouse Métropole rembourse donc les frais de Madame Maurin uniquement dans le cas prévu par la loi ».

Et la collectivité de conclure qu’elle « ne peut en aucun cas engager de dépenses d’argent public hors du cadre réglementaire ».

Source ACTU TOULOUSE.

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