Retard dans la vaccination: «On paye un envahissement de la bureaucratie depuis des années au détriment des soins de terrain!»…

Selon le médecin urgentiste Gérald Kierzek, si la France vaccine moins vite que les autres pays qui ont commencé la campagne de vaccination, c’est en partie à caue d’une centralisation excessive et d’un maillage territorial inégal de son système de santé.

Retard dans la vaccination: «On paye un envahissement de la bureaucratie depuis des années au détriment des soins de terrain!»

 

Gérald Kierzek est médecin urgentiste et chroniqueur santé, Directeur médical de Doctissimo, et auteur, notamment de Coronavirus, comment se protéger? (éditions de l’Archipel, mars 2020).


FIGAROVOX . – La France a vacciné moins de personnes, à l’heure actuelle, que bon nombre de ses voisins. Est-ce une conséquence d’une procédure trop bureaucratique, comme le dénoncent certains médecins?

Gérald KIERZEK. – On ne paye pas une procédure bureaucratique car cette fois la France a même anticipé avec une stratégie de « prioritisation » de la vaccination préparée et publiée dès fin novembre par la Haute Autorité de Santé (HAS) et un guide de vaccination pour les Établissements Hospitaliers pour Personnes Âgées Dépendantes (EHPAD) et pour Unités de Soins de Longue Durée (USLD) diffusé mi-décembre. En revanche on paye un envahissement de la bureaucratie depuis des années au détriment des soins de terrain! Or, qui vaccine? les soignants.

Il y a deux facteurs expliquant ce retard relatif au démarrage et ces deux facteurs se cumulent: l’organisation et la culture sanitaires françaises centralisée dans la décision et hétérogène sur le terrain peu adaptées à des facteurs intrinsèques limitants du vaccin à ARNmessager qui nécessitent des conditions de conservation (-80 degrés) et donc d’acheminement dans des délais très stricts et planifiées quasi dose par dose.

Il est donc demandé d’établir la liste des candidats potentiels à la vaccination (résidents et professionnels), au plus tard 5 jours avant la date de la livraison, pour pouvoir communiquer à l’interlocuteur de référence le nombre précis de doses nécessaires. Cet interlocuteur est soit la pharmacie à usage intérieur (PUI), pharmacie qui se situe à l’intérieur de l’établissement de santé et qui assure les approvisionnements en médicaments, les dispositifs médicaux des services de soins et contribue à leur bon usage et leur sécurité d’utilisation, soit à une officine de ville de rattachement.

Là encore, comme à l’hôpital avec la pénurie de lits et de mains soignantes, on hérite d’une crise structurelle maintes fois dénoncée

De plus, les ressources médicales, paramédicales, matérielles et administratives sont très disparates d’un établissement à un autre. À titre d’exemple, certains établissements ont des médecins salariés d’autres font appel à des médecins libéraux. Les pénuries de personnels paramédicaux formés et pérennes sont criantes également et pourtant nécessaires à la réalisation de la vaccination elle-même, dans des délais resserrés à compter de la réception des vaccins (de l’ordre de 72 heures maximum).

Là encore, comme à l’hôpital avec la pénurie de lits et de mains soignantes, on hérite d’une crise structurelle maintes fois dénoncée et qui ne fait qu’amplifier les difficultés malgré la bonne volonté des personnels. Le principe politique du fédéralisme allemand est plus propice à une meilleure répartition des responsabilités et une plus grande efficacité de l’action au niveau local, même s’il faut reconnaître que la culture allemande est très différente de la nôtre.

Faut-il vacciner en urgence le plus de monde possible ou vaut-il mieux adopter une stratégie progressive et plus lente, du point de vue de l’efficacité?

Il n’y a pas urgence à une vaccination de masse en France et je suis convaincu que le retard relatif n’est pas une perte de chance. Il est surtout fondamental de garder en tête la situation épidémique et la balance bénéfices-risques qui doivent présider à toute décision. La situation épidémique n’est à priori pas la même en France qu’en Angleterre, en Allemagne ou encore aux États-Unis qui font actuellement face à une vague d’ampleur.

Elle est liée à la fois à l’absence ou quasi absence de première vague meurtrière au premier quadrimestre 2020 et ensuite au profil épidémiologique très à risque, surtout pour les États-Unis avec deux adultes sur cinq obèses donc particulièrement vulnérables. Ils sont donc dans une situation d’urgence pour leurs publics à risque.

Afin d’établir la priorisation des personnes à vacciner, la HAS a notamment identifié les facteurs de risques de formes graves, c’est-à-dire conduisant à une hospitalisation ou au décès. Les deux facteurs de risque de formes graves les plus importants sont l’âge avant tout, ainsi que la présence de comorbidités.

Il s’agit d’une sorte de confinement vaccinal des plus âgés

La HAS retient les comorbidités identifiées dans les publications scientifiques comme à risque avéré d’hospitalisations ou de décès: obésité (IMC >30) en particulier chez les plus jeunes, BPCO et insuffisance respiratoire, hypertension artérielle compliquée, insuffisance cardiaque, diabète de types 1 et 2, insuffisance rénale chronique, cancers récents de moins de trois ans, transplantation d’organe solide ou de cellules souches hématopoïétiques et trisomie 21. Ce sont ces personnes qui doivent être vaccinées en priorité et pour lesquelles le bénéfice à court terme est indiscutable. Il s’agit d’une sorte de confinement vaccinal des plus âgés!

Les études fournies par les industriels sont suffisantes pour démontrer l’efficacité et l’innocuité à court terme des vaccins autorisés. Mais attention à ne pas survacciner inutilement et à ne pas sortir de cette balance bénéfices-risques démontrée. La survaccination engendre la défiance et il faut toujours rester prudent notamment sur des risques à moyen et long termes non suffisamment documentés dans un contexte où la maladie COVID-19 en elle-même est à très faible risque individuel.

L’âge médian au décès était de 85 ans et 92% avaient 65 ans et plus. Ce sont donc les cibles de la vaccination, vaccination qui n’a par ailleurs pas démontrée son efficacité pour empêcher la transmission virale. L’idée donc de créer un laisser-passer vaccinal ou conditionner la réouverture des restaurants à une vaccination de masse est à date scientifiquement fausse et éthiquement inacceptable.

Le gouvernement rejette la faute sur les «antivax». Mais ne peut-on rien faire pour prévenir et déjouer cette défiance?

La majorité des français ne sont pas antivax mais attentistes et veulent des explications. Il faut donc exposer le bénéfice de la vaccination chez les plus fragiles, rassurer sur les effets indésirables immédiats minimes et ne pas tenter d’imposer un chantage vaccinal. La précipitation ou la coercition seraient les meilleurs moyens pour renforcer le discours complotiste et faire pencher les indécis du côté des antivax. Ce travail de pédagogie est également nécessaire pour faire la chasse aux contre-vérités: le vaccin ARN messager ne modifie pas l’ADN; ses effets secondaires sont maintenant connus et minimes,…

Le monopole de la parole médicale, changeante, péremptoire voire injurieuse de ces mandarins médiatiques depuis le début 2020 n’arrange pas le climat pour retrouver une confiance

La défiance est ancienne en France vis-à vis de l’industrie pharmaceutique et de l’expertise en général (Distilbène, sang contaminé, Mediator, lévothyrox,…). Cette crise est aussi une crise du monde hospitalo-universitaire,…. Le monopole de la parole médicale, changeante, péremptoire voire injurieuse de ces mandarins médiatiques depuis le début 2020 n’arrange pas le climat pour retrouver une confiance.

Les professionnels de terrain ont pourtant une parole crédible auprès des citoyens avec une confiance individuelle très forte; ils représentent plus de 99% des forces vives médicales et paramédicales et sont invisibles dans le champ médiatique.

Source LE FIGARO.

 

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