Procès pour discrimination : « mon histoire, toute personne en situation de handicap l’a déjà vécue »…

D’un côté une jeune étudiante atteinte de la maladie de Lyme, de l’autre, la proviseure du lycée Molière, à Paris.

L’étudiante en prépa littéraire au lycée Molière à Paris estime avoir été victime de discrimination en raison de son handicap.

C’est le procès qui s’ouvre ce jeudi devant un tribunal correctionnel.

Procès pour discrimination : "mon histoire, toute personne en situation de handicap l'a déjà vécue". Lycée Molière à Paris, XVIe arrondissement

 

Il y a quatre ans, Amélie a porté plainte contre la proviseure de son ancienne classe de prépa en lettres pour discrimination en raison de son handicap. Désormais, la plaignante a 24 ans, elle est normalienne et surtout, elle veut aller au bout de ce procès car elle estime avoir fait face à une administration qui n’a rien fait pour l’inclure.

Dans le salon de ses parents, entourée de ses deux chats, Amélie se remémore ses années de prépa au lycée Molière. C’était il y a quatre ans. Depuis, elle a validé son mémoire sur les liens entre langue des signes et théâtre à l’ENS et elle commence un nouveau mémoire sur l’édition.

Et pourtant, le passé la rattrape. Ce jeudi, elle doit se présenter au tribunal correctionnel pour une plainte qu’elle a déposée en 2016, lors de sa troisième année de prépa littéraire, une « khube » dans le jargon. Une plainte qui vise la proviseure du lycée Molière, actuellement toujours en poste, pour discrimination liée au handicap.

Pas d’ascenseur, ni de rampe d’escalier

Durant l’été, entre sa deuxième et sa troisième année de prépa, Amélie est diagnostiquée porteuse de la maladie de Lyme. Une maladie qui lui provoque une fatigue importante et des douleurs musculaires. La jeune femme, en fonction de l’évolution de sa maladie, se déplace avec une canne ou en fauteuil roulant. « Très vite, assure-t-elle, on a prévenu l’administration. »

Car il y a un problème, le lycée Molière n’a pas d’ascenseur ou même une rampe d’escalier qui pourrait aider Amélie. Et ses cours se situent au deuxième étage de l’établissement. La jeune fille fait donc une demande à la proviseure : échanger les salles, pour que les cours de sa classe se situent au rez-de-chaussée, en accord avec la majorité des professeurs et des élèves, selon elle.

La réponse de la proviseure, par mail, est rapide et catégorique : c’est impossible, car les salles du bas sont trop petites, estime-t-elle. Un enseignant affirme même, selon l’avocate d’Amélie, que la proviseure aurait ironiquement conseillé : « Et bien vous demandez à deux garçons de la porter en chaise avec leurs bras ».

Résultat : tout le mois de septembre, Amélie grimpe les deux étages qui la relient à sa salle de classe. « Évidemment j’ai accumulé de la fatigue, j’ai fini par faire une chute et le lendemain, un malaise en plein cours« , raconte-t-elle.

Hospitalisation et médiatisation

Amélie est hospitalisée une semaine. C’est à ce moment qu’elle apprend que sa proviseure a l’intention de demander son transfert vers un lycée adapté, avec un ascenseur. « Ça a été violent d’entendre ça. J’avais choisi le lycée Molière, pour sa spécialité théâtre. J’avais travaillé dur dans le secondaire pour avoir une place dans ce lycée, je ne comprenais pas pourquoi je devais partir. » raconte-t-elle.

Sans compter sur l’accessibilité du lycée. Patricia, la mère d’Amélie explique : « Je suis sa mère et aussi son aidante. Je l’emmenais en voiture le matin. Nous habitons à Versailles, donc Molière, dans le 16e  arrondissement, c’était pratique. Aller plus dans le centre de Paris en voiture, c’était impensable. Et les transports en commun pour ma fille, c’est un parcours du combattant. »

Après une semaine d’hospitalisation, Amélie revient en cours en fauteuil roulant. Une solution provisoire est trouvée : les cours auront lieu dans le théâtre et la salle de conférence au rez-de-chaussée. « Mais ce n’était pas idéal, il n’y avait pas de tableau, il manquait des tables, des chaises » Les élèves ont donc décidé de se mettre en grève en soutien à Amélie et pour que tous puissent travailler dans de bonnes conditions.

L’affaire est médiatisée, mettant en cause le comportement de la proviseure. Selon son avocat, si elle n’a pas mis en place les aménagements nécessaires, c’est « parce qu’aucun PAI n’a été mis en place par Amélie » Un PAI (Projet d’Accueil Individualisé) est justement le formulaire qu’une personne en situation de handicap doit remplir avec son médecin afin de pouvoir déclencher les procédures d’aménagement.

La plaignante se défend : « Je n’ai aucun souvenir qu’on m’ait remis le formulaire vide. Et surtout la proviseure, qui aurait dû être au courant de l’existence de cette procédure, ne l’a jamais mentionnée avant que l’affaire ne soit médiatisée et que mon avocate s’en mêle ». Elle affirme : « Elle ignorait même qu’il y avait un référent handicap dans le lycée et ne m’en a jamais parlé ! »

C’est à ce moment-là qu’Amélie décide de porter plainte. « J’ai fini par réaliser qu’effectivement, je vivais une discrimination, et que ce n’était pas normal. »

Problème de communication ou discrimination ?

Selon l’avocat de la proviseure du lycée Molière, il n’y a jamais eu de discrimination. « C’est un non-sujet. C’est juste une incompréhension basée sur un manque de communication et l’histoire a été montée en épingle. » D’ailleurs, il rappelle qu’Amélie a pu finalement continuer sa scolarité au lycée Molière et surtout que l’affaire a été classée sans suite une première fois. À l’audience, il demande la relaxe de sa cliente.

Pour Amélie, ce n’était pas un simple manque de communication mais un « refus » total de la part de la cheffe d’établissement. L’avocate demande la condamnation de la proviseure ainsi que des intérêts de la somme de 1 euro symbolique à verser à l’association APF France Handicap, qui se porte partie civile aux côtés d’Amélie.

Pour Amélie, cette audience n’est pas une guerre personnelle. « Je n’ai rien contre ma proviseure personnellement. Je condamne juste des faits précis à un moment donné, ceux du début d’année 2016. » Qu’attend-t-elle de ce procès ? « Une législation plus ferme, ça pourra peut-être permettre à des personnes qui sont dans la même situation de ne pas laisser passer lorsqu’ils sont victimes de discrimination. Parce que ce genre d’expérience n’est pas propre au lycée Molière. Toutes les personnes en situation de handicap l’ont vécu au moins une fois. »

Source FRANCE INTER.

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