Paraplégique, elle invente un système pour motoriser son fauteuil avec une trottinette électrique…

Après quatre ans chez Airbus, Charlotte Alaux, qui a lancé le 1er décembre la commercialisation du Globe Trotter, vient de recevoir le trophée «Créatrice» h’up Entrepreneurs, récompensant les fondateurs d’entreprises handicapés.

À la dimension ludique du Globe Trotter, s'ajoute son prix, quatre fois moins cher que les systèmes de motorisation existants.

 

À la suite d’une leucémie et d’une mauvaise réaction aux soins, Charlotte Alaux, devenue tétraplégique – puis paraplégique quand elle a regagné la mobilité de ses bras – est en fauteuil roulant depuis l’âge de quatre ans. «Mes parents ont toujours fait en sorte que je mène une vie normale, j’allais en colonie petite, et aujourd’hui je conduis, ai mon appartement, travaille et suis autonome», raconte-t-elle.

Après avoir fait une école de commerce et travaillé chez Airbus pendant trois ans, elle rencontre quatre jeunes en formation à l’innovation, après leurs études d’ingénieurs, à la D.School de l’École des Ponts-Paris-Tech (en partenariat avec l’université de Stanford) qui réfléchissent à une solution pour améliorer la vie des personnes en fauteuil. Elle fait partie des cinquante utilisateurs et experts consultés. «Séduite par l’idée, je les ai accompagnés avant de me greffer au projet».

Une idée née d’une rencontre

Après un an en 4/5ème chez Airbus tout en consacrant 20% de son temps au projet, Charlotte Alaux décide, à 29 ans, de se lancer à corps perdu dans la création de l’entreprise Omni, en décembre 2018, avec ses quatre cofondateurs: Noé Vinot-Kahn (président), Romain Lhommeau, Sulivan Richard et Mathieu Izaute (chacun étant directeur général, tout comme elle).

«Les trajets en transports en commun en fauteuil prennent deux fois plus de temps qu’à un valide car les métros ne sont pas accessibles à Paris et en bus, il y a parfois plusieurs changements avec des obstacles auxquels on ne pense pas comme les pavés ou les cotes», explique Charlotte Alaux. Or les solutions pour motoriser un fauteuil sont extrêmement coûteuses: un fauteuil manuel simple coûte 5000 euros (dont seulement 600 euros pris en charge par la Sécurité sociale) et pour le motoriser il faut compter le double.

Deux ans pour mettre au point une fixation universelle

Après avoir testé de multiples idées, la meilleure leur est apparue une fixation universelle permettant de relier une trottinette électrique et un fauteuil. «La plupart des systèmes de motorisation existants sont conçus exclusivement pour les handicapés, d’où leur prix très élevé. Partir d’un produit grand public présente deux avantages: non seulement il est moins cher – car les volumes de vente sont beaucoup plus importants – mais le fait d’utiliser une trottinette change le regard du grand public sur le handicap», explique la jeune inventrice.

Reste à mettre au point cette pièce. Cela ne sera pas une mince affaire. Incubée à Station F et à l’école des Arts et Métiers, soutenue par la Fondation Safran pour l’insertion, son partenaire fondateur, la start-up s’attaque à un véritable challenge. «Nous pensions que cela nous prendrait six mois et cela nous a finalement pris deux ans. Il nous a fallu une centaine d’heures de tests car nous voulions une solution universelle, adaptée à toutes les trottinettes et tous types de fauteuils». Composée de trois parties (celle qui se fixe sur la trottinette, celle dédiée au fauteuil et la fixation entre les deux, amovible), le système, baptisé «Globe Trotter», permet d’utiliser son fauteuil motorisé ou non, selon les usages: «un fauteuil seul est plus maniable, plus léger, peut se transporter dans une voiture et permet de se muscler les bras», explique Charlotte Alaux.

Une fois le prototype établi, une présérie de vingt unités a été lancée dans le cadre d’une phase expérimentale. Dès lors, la jeune équipe a mis à profit le confinement pour mettre en place son réseau de distribution: revendeurs médicaux ou de trottinettes électriques. L’intérêt du Globe Trotter est apparu d’autant plus évident depuis le début de la crise sanitaire, en termes de distanciation sociale. Et Charlotte se réjouit de voir les réactions enthousiastes des cyclistes à sa vue dans les pistes cyclables: «C’est chouette d’entendre «Ouah, ça a l’air trop bien!, alors qu’on a plutôt l’habitude d’être stigmatisés».

L’initiative, remarquée, gagne de nombreux concours (Concours national Start-up et Handicaps 2019, La fabrique Aviva, Global Social Venture Competition) et reçoit de nombreuses subventions, pour un total de 500 000 euros (notamment de BPI France, EIT Health, Pépite France, Région Ile-de-France, Fondation Caritas France, Antropia ESSEC…).

Objectif dépassé en trois jours

De quoi lui permettre de lancer le 1er décembre sa commercialisation officielle sur KissKissBankBank. «En trois jours, notre objectif, qui était de 15 000 euros, était dépassé», se réjouit la jeune femme. Il faut dire que le Globe Trotter, au prix de 590 euros (490 euros dans le cadre de cette campagne de lancement) revient, même en incluant l’achat d’une trottinette électrique (1200 euros), quatre fois moins cher que les solutions existantes aujourd’hui. Ce prix abordable est un facteur clé d’inclusion. Cent vingt précommandes ont été enregistrées, sans parler des dons.

De quoi permettre à Omni de financer une étude pour modifier ses procédés de fabrication, ainsi qu’un moule pour la fabrication, sous-traitée à plusieurs entreprises du nord de la France et un ESAT (établissement et service d’aide par le travail) pour l’assemblage. En mars, ce sont ainsi 150 Globe Trotters qui seront livrés. Si la commercialisation démarre auprès du grand public, l’idée est à terme de travailler avec les constructeurs et opérateurs de trottinettes en libre-service. «La région délivre bien des subventions pour les vélos électriques, pourquoi pas pour nos utilisateurs?», rêve l’équipe d’Omni.

75000 entrepreneurs en situation de handicap

Jeudi 17 décembre au soir, la jeune pousse a une nouvelle fois été récompensée, en recevant le trophée «Créatrice» de h’up Entrepreneurs, qui accompagne depuis dix ans les entrepreneurs en situation de handicap. Au cours de cette troisième édition, ces trophées, remis sous le haut patronage d’Emmanuel Macron, notamment par les ministres Olivia Grégoire (Économie sociale, solidaire et responsable), Sophie Cluzel (Personnes handicapées) et par Thibault Guilluy (Haut-commissaire à l’emploi et à l’engagement des entreprises) et dont Figaro Demain est partenaire, ont distingué cinq autres entrepreneurs handicapés: Anthony Martins Misse (entrepreneur de l’année pour ses multiples entreprises, dont TGR France), Souad Yamani (créatrice confirmée, pour SY Assurances pour scooters et fauteuils roulants et scooters électriques), Florian Le Gendre (créateur en herbe pour Vein’art, customisation de dispositifs médicaux), Juan Martinez-Nuez (entrepreneur à l’international pour sa marque de vêtements de ski aux messages inspirants Reforcer) et Romain Claudet (prix du public pour ses bûchettes allume-feu Tout le monde en bois). Ces derniers bénéficieront de six mois d’accompagnement par le réseau d’experts de h’up Entrepreneurs. À travers eux, c’est l’enthousiasme et la ténacité des 75 000 entrepreneurs en situation de handicap que l’association encourage.

Source LE FIGARO.

 

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