Le monde d’Elodie. Gregory Cuilleron : « Le handicap, c’est normal que ça fasse peur. Mais après, on rebondit, on avance !…

Le cuisinier, ancien de Top Chef, se bat pour l’inclusion des handicapés.

Grégory Cuilleron, chef cuisinier et ambassadeur de l'insertion professionnelle des handicapés.

Elodie Suigo : Gregory Cuilleron, vous publiez La vie à pleines mains chez Albin Michel. Vous êtes chef cuisinier français, vous avez été découvert par le grand public à travers le petit écran dans deux émissions sur M6, Un dîner presque parfait et Top Chef. Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire ce livre ?

Gregory Cuilleron : L’idée, c’est d’aborder des thématiques inhérentes au handicap. C’est parti de ma propre expérience. L’idée m’est venue à la suite d’un échange sur les réseaux sociaux entre enfants agénésiques, c’est-à-dire des enfants à qui, comme moi, il manque un bout de bras et des parents d’enfants agénésiques.  Quelque chose m’a beaucoup énervé : des parents qui demandaient comment faire pour faire un procès à l’échographe parce qu’il n’avait pas vu qu’il manquait une main à leur gamin. En soi, je comprends le deuil de l’enfant parfait. Mais ça m’a gonflé, parce que, techniquement, il n’y a pas eu d’erreur médicale. Il n’a juste pas vu. Mais on estime qu’il y a un dommage parce que, « Mon chéri, tu comprends, si tu n’as qu’une main, tu n’es quand même pas ultra viable ! » Passé l’énervement, je me suis dit, il va falloir faire preuve de pédagogie. Le handicap, c’est normal que ça fasse peur. Parce qu’on a peur de ce qui est différent. Il est normal d’être triste quand on a un enfant handicapé. Mais après, on arrête, on rebondit, on avance ! Et on verra que le gamin pourra tout faire dans sa vie, tout simplement.

Dans ce livre, vous parlez de handicap, mais en même temps, il y a beaucoup de pudeur, de sincérité. Et vous expliquez qu’avoir un handicap et se sentir handicapé, ce sont deux choses complètement différentes…Comment avez-vous vécu le fait qu’il soit question de ce handicap quand vous êtes apparu à la télévision ?

Pas trop mal. Ce n’était pas traumatisant mais ça m’a fait me poser des questions. En France, on est très latins, on aime bien mettre les gens dans des petites cases. C’est vrai que du jour au lendemain, on m’a mis dans la case handicapé. On ne me disait pas « Wow, tu cuisines bien ! » on me disait « Wow, tu cuisines bien pour un handicapé ! »  Vous savez, moi je n’ai pas de handicap. Le handicap c’est quelque chose qui t’empêche de faire ce que tu veux. Moi, ce n’est pas le cas. C’est de naissance et ça a été double jeu : ça a été ça, faire ce que je veux et en plus, je me suis retrouvé porte étendard de la cause des personnes handicapées et c’est un monde que je ne connaissais absolument pas.

Ce qui est bien, dans cet ouvrage aussi, c’est que vous rectifiez des choses. Vous dites que dans l’émission un dîner presque parfait, la production ne vous a en aucun cas choisi en raison de votre handicap…

Je ne pense sincèrement. C’est-à-dire que j’ai beaucoup aimé la manière dont ça a été traité par les journalistes. Je me suis dit « Purée, je vais être le handicapé de service, ça va être compliqué ». Et en fait, pas du tout ! Ils n’ont pas joué les trémolos. C’est quand même une chaîne grand public, grande écoute, on sait bien comment ça se passe, pour vendre le truc… Et c’est quelque chose que j’ai grandement apprécié. Alors c’est sûr que, de par mon handicap, j’étais plus visible que d’autres. Mais ça a été assez anecdotique.

Vous parlez beaucoup du handicap et de l’importance de faire changer le regard des gens. Ce qui est important pour vous, c’est l’inclusion des handicapés plutôt que leur intégration.

La vision que les gens ont du handicap, c’est qu’il faut les convaincre de la performance. C’est-à-dire qu’on part du principe qu’un handicap sera un boulet, une contrainte. Alors qu’en fait, il faut d’abord penser à ce que la personne pourra apporter avant de voir tout de suite une notion de contrainte. Contrainte qui n’est pas forcément palpable. On se dit juste « Houla, problème ! » Le handicap n’est pas un problème, je vous rassure.

Quand on va voir votre maman pour lui demander si elle a su avant votre naissance que vous alliez être handicapé, comment l’a-t-elle pris ?

Très naturellement. Moi, ça m’a fait un peu bizarre. Je n’étais pas sûr d’avoir envie d’avoir la réponse. Ce qui est dur, c’est de se dire rétrospectivement que sa naissance a pu être une source de peine. Je pense que dans la famille, il y en a deux-trois qui ont peut-être pleuré, qui ont du être un peu tristes, parce que justement, ils ne connaissaient pas. Ce qui me rassure, c’est quand je vois ce que c’est devenu, dans mes rapports à eux, dans ma famille, avec mes amis. Finalement, on était une famille normale sur laquelle est tombé ce problème entre guillemets et vu ce que c’est devenu et la manière dont ils m’ont traité, je me dis que si eux ont pu faire acte de résilience et avancer comme ça, toutes les familles peuvent le faire.

Les restaurants viennent de rouvrir, les terrasses aussi. Vous êtes inquiet pour le métier ?

Sincèrement, je pense que d’ici à septembre, voire janvier, il va y avoir de la casse. Je n’envie pas ceux qui ont des établissements avec des millions de crédit sur le dos. En ce moment, il vaut mieux avoir un petit chez soi qu’un grand chez les autres. Il va falloir avancer. Ce qui nous interpelle beaucoup, ça va être les nouveaux modes de consommation. Le télétravail s’est bien ancré et je pense que ça va commencer à devenir compliqué, la restauration le midi. À mon avis, les gens vont plus rester chez eux et donc plus déjeuner chez eux. Il va falloir se repenser et c’est difficile parce que moi-même en tant que consommateur, je ne sais pas ce que je veux ! Ce ne sera pas comme avant mais je n’arrive pas à me projeter. On serre les fesses, on essaie d’être imaginatif pour apporter au client ce qui lui aura manqué. Je ne me fais pas de souci pour ces 15 premiers jours, parce que les gens ont été  tellement frustrés qu’ils viendront tous en terrasse !

Source FRANCE INFO.

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