Le directeur de l’OCH dénonce la volonté de “traquer” les anomalies chromosomiques…!!!

Mardi 15 octobre, Philippe Vigier, président du groupe parlementaire Libertés et Territoires, a joué une fausse note dans son explication de vote sur le projet de loi bioéthique, en déclarant à la tribune de l’Assemblée nationale : « Il faut traquer, oui je dis « traquer », les embryons porteurs d’anomalies chromosomiques ».

Par ces mots, le député d’Eure-et-Loire déplorait l’abandon du projet de diagnostic pré-implantatoire (DPI) lors de l’examen du texte.

Face au tollé provoqué par cette expression, il a depuis regretté, sur les réseaux sociaux, l’emploi du mot « traque », pourtant appuyé dans son discours. Philippe de Lachapelle, directeur de l’Office chrétien des personnes handicapées (OCH) revient sur cette déclaration du député.

Le directeur de l’OCH dénonce la volonté de “traquer” les anomalies chromosomiques

Comment avez-vous réagi hier en entendant ces propos de Philippe Vigier ?

J’ai été extrêmement choqué ! Ces mots sont terribles : parler de « traque », c’est d’une violence incroyable pour toutes les personnes handicapées, porteuses d’un « anomalie chromosomique », comme il dit. Mais c’est malheureusement très révélateur de l’eugénisme à l’œuvre dans notre société.

Que voulez-vous dire ?

Mardi, dans Le Monde, j’ai co-signé une tribune qui énumère les dérives d’une forme d’eugénisme aujourd’hui. La déclaration de Philippe Vigier, c’est l’incarnation de cet eugénisme. Je ne crois pas que ce soit un accident de langage. Il lisait un discours, il le lisait même scrupuleusement. Ce n’était pas dans le cadre de débats, c’était au nom d’un groupe parlementaire, d’ailleurs plutôt modéré. Et il est lui-même médecin. Donc je ne crois pas que ce soit de la maladresse. Je pense qu’il met en mots quelque chose d’inconscient. Cet homme, peut-être inconsciemment, met quelque chose à jour, de l’ordre du non-dit dans la société. Or la loi bioéthique renforce une forme d’eugénisme qui va plus loin encore qu’auparavant : la logique de détection prénatale, mais aussi le raccourcissement du délai de réflexion pour l’interruption médicale de grossesse (IMG), la possibilité pour les mineurs de ne plus prévenir leurs parents dans le cas d’un recours à une IMG…

L’idée de « traque aux chromosomes qui présentent des anomalies » relève donc de l’eugénisme ?

Dans la société, il y a une recherche inconsciente d’un enfant sain. Nous plaidons, nous, pour un enfant imparfait. Il ne s’agit pas que de la PMA mais déjà, la logique de la PMA risque de renforcer l’idée de « droit à un enfant sain ». La logique du diagnostic pré-implantatoire (DPI) répond à l’exigence que l’enfant livré soit un enfant en bonne santé. Oui, je dis « livré », parce que c’est un peu de l’ordre de la commande. Ce n’est pas une logique d’état. C’est dans notre culture. Durant les États généraux de la bioéthique, le docteur Israël Nisand a affirmé : « Nous sommes dans une société eugéniste handiphobe. » Il a raison. Il parle d’eugénisme positif. De quelque façon qu’on l’appelle, « positif » ou pas, ça reste de l’eugénisme. Ce n’est pas un eugénisme d’État, mais les lois l’encouragent.

Qu’entendez-vous par là ?

L’eugénisme, il est dans nos familles, dans notre culture. Il y a trois piliers sur lesquels il s’appuie : l’individualisme, le marché performant et la science. Si on n’est pas vigilant face à ces logiques, on bascule. L’eugénisme fonctionne sur le même moteur que la catastrophe écologique. L’environnement aussi est détruit à cause de l’individualisme, du marché performant et de la science. Comme pour l’écologie, avec l’eugénisme, on va là où on ne veut pas aller. On n’a pas envie d’être eugéniste. Demandez autour de vous : qui se dit eugéniste ? Personne ne veut l’être. Mais il faut qu’on prenne conscience de ce non-dit. Il faut, de manière personnelle, décider d’une sortie volontariste de l’individualisme. La science n’est pas là pour guider nos actions, c’est à nous de prendre les devants et de décider de ce qu’on veut en faire.

Comment expliquez-vous que l’eugénisme, dénoncé par tous dans le cadre de régimes totalitaires, puisse être si facilement accepté ?

D’habitude, il est habillé plus habilement. Là, la formule est un choc. Dire le mot « traquer », c’est choquant. J’espère que cela nous fera prendre conscience de l’ampleur du risque. Dans l’idée de « traquer » les chromosomes présentant des anomalies, on transgresse beaucoup plus de choses. La ligne rouge de l’eugénisme a été repoussée. Mais le pire n’est pas certain : peut-être que le mot « traque » nous fera prendre conscience de tout cela…

À quelle action doit mener cette prise de conscience ?

Le premier réflexe est de continuer à se battre. La loi n’est pas encore passée. Je trouve ça exaspérant qu’on l’appelle « loi bioéthique ». Il y a bien plus que ça, elle englobe tout. On est insensibilisé tellement on a franchi de pas sur le sujet, tellement on ne distingue plus le bien du mal.

Mais la question, surtout, c’est de changer de regard sur la personne. Le handicap est une épreuve. Quand l’épreuve est là, quelle est notre attitude ? Est-ce qu’on exclut et élimine, ou est-ce qu’on rassemble et accueille ? Quand les personnes handicapées sont intégrées, c’est toute la société qui va mieux, y compris dans ses performances. La personne handicapée nous apporte tellement, à une échelle humaine. Au quotidien, à basse échelle, nous avons une chance de changer de paradigme, ou au mieux, le réparer, pour faire une société qui est vraiment humaine.

Mais que faire, individuellement ?

Quand j’ai un voisin qui est handicapé, qu’est-ce que je fais, moi, concrètement ? Quand on peut faire quelque chose pour l’aider, prendre en compte, soutenir sa famille, aider à la prise en charge, c’est tout l’immeuble qui en bénéficie. On crève d’être les uns à côté des autres sans se rencontrer ! L’individualisme nous rend malheureux. Au contraire, plus on sent qu’on est interdépendants, plus on est heureux. La dépendance des personnes handicapées, elle se voit. Dans notre culture, la dépendance serait une indignité. Quand je deviens vieux, je deviens indigne. D’ailleurs, pour ne pas dire euthanasie on parle de « mourir dans la dignité »… parce que sinon, on meurt « dans l’indignité » ? Ce ne sont pas mes moyens qui font ma dignité, c’est ma personne ! Il faut consentir à ces liens, à cette interdépendance. Ce n’est pas une utopie, on peut commencer dès maintenant, avec notre voisin. Cette idée de « traque » est révélatrice de ce choix. On est sur une ligne de crête : est ce qu’on élimine ou est-ce que l’on rencontre ?

Source LA VIE.

 

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