La souffrance invisible des femmes autistes victimes de violences sexuelles…

Une étude révèle que 88% des femmes autistes disent avoir connu des violences sexuelles au cours de leur vie.

À travers l’Association francophone des femmes autistes (AFFA), sa co-fondatrice Marie Rabatel se bat pour une meilleure prévention des risques et une prise en charge adaptée aux traumatismes vécus.

La souffrance invisible des femmes autistes victimes de violences sexuelles

«J’avais peur des baskets blanches.» Sans pouvoir en comprendre l’origine, ce détail est longtemps resté dans la mémoire de Marie Rabatel. Atteinte d’un trouble du spectre autistique (TSA), Marie, 44 ans, a été violée à l’âge de 12 ans et de 16 ans. Il y a six ans, elle recroise le regard de son agresseur et se souvient. Marie apprendra à identifier son traumatisme et le gérer, en échangeant avec des spécialistes. Cet événement fondateur a poussé Marie à co-fonder l’Association francophone des femmes autistes (AFFA) en 2016.

88% des femmes autistes disent avoir connu des violences sexuelles au cours de leur vie ; ces atteintes recouvrent à la fois le baiser volé, la caresse non désirée jusqu’aux viols et tentatives de viol. C’est le résultat d’une enquête publié fin janvier 2019 et réalisée par David Gourion et Séverine Leduc. David Gourion est psychiatre libéral et ancien chef de clinique dans le service psychiatrie de l’hôpital Sainte-Anne. Séverine Leduc est psychologue libérale spécialisée dans l’autisme ; tous deux sont auteurs de «Eloges des intelligences atypiques» paru en 2018 aux éditions Odile Jacob.

Ils ont interrogé des femmes autistes de haut niveau: dans la grande hétérogénéité du spectre de l’autisme, celles-ci ne présentent pas un retard mental important et sont bien intégrées dans la société. Elles souffrent néanmoins des mêmes difficultés qui définissent le TSA, troubles de la communication, altération des relations sociales et anomalies comportementales, appelées «triade autistique». Dans 47% des cas, la première violence sexuelle est survenue avant l’âge de 14 ans – avant 9 ans dans 31% des cas. À l’instar des violences sexuelles subies par les enfants hors handicap, les agresseurs sont dans 9 cas sur 10, connues de la victime.

Leur plus grande vulnérabilité en fait des cibles privilégiées

Le nombre impressionnant d’histoires traumatiques n’étonne pas Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie. «Comme il y a des difficultés à décrypter les sous-entendus, elles ne vont pas voir venir» le prédateur, explique-t-elle. «Elles ne vont pas comprendre certaines expressions donc elles seront d’autant plus repérées par les prédateurs comme des cibles vulnérables». Marie Rabatel livre le témoignage d’une des victimes. Invité chez elle, l’un de ses amis se trouvait dans la cuisine à préparer le repas quand il lui a lancé «Qu’est-ce que t’es bonne!». «On ne peut pas savoir tant que l’on n’a pas goûté», a répondu la jeune femme: à cet instant, son esprit a associé «les propos de son ami à l’activité de son ami, à la nourriture qu’il préparait», indique Marie Rabatel. La jeune femme sera violée le soir même.

La vulnérabilité des femmes autistes est d’abord conditionnée par une double peine, liée au genre «dans une société de domination masculine» et au handicap, détaille la psychiatre. Au-delà des problèmes de communication, ces femmes ont intériorisé une «expérience de la contrainte», développe Muriel Salmona: elles ont l’habitude de laisser des tierces personnes décider de ce qui est bon pour elles. «Il y a une dimension d’emprise des adultes chez les personnes vulnérables, raconte la spécialiste. Elles sont souvent formatées à obéir aux adultes.» Une personne autiste sera, comme un enfant, plus manipulable pour son agresseur. Par la suite, celui-ci «va aussi avoir encore plus de facilités à inverser la culpabilité, à convaincre les victimes qu’elles n’ont pas dit non, qu’elles étaient donc d’accord». Cette chape de plomb empêche les victimes de se considérer comme telle et de faire entendre leur voix.

Le traumatisme aggrave le handicap

51% des femmes autistes, interrogées dans le cadre de l’enquête, ont déclaré avoir subi une pénétration par la contrainte. Pourtant, seulement 39% d’entre elles l’associent à un viol. Il existe donc un important phénomène de déni, conclut l’enquête. Les mécanismes mobilisés par le cerveau dans le cas d’une agression sexuelle sont décuplés chez une personne autiste. La sidération empêche de réagir sur le coup, «car la victime est prise par surprise», décrit Muriel Salmona. Puis, vient la dissociation, qui étouffe le souvenir. «La perception est morcelée, comme pris dans un brouillard, ce qui rend le souvenir comme étranger à elle-même. La dissociation peut par exemple donner l’impression d’avoir été spectatrice de l’événement», analyse-t-elle. La dissociation telle qu’elle est vécue par une personne autiste réduit considérablement les probabilités de détecter le traumatisme.

Du côté des soignants, l’autisme vient même jusqu’à masquer les symptômes post-traumatiques, regrette Marie Rabatel. «Les changements de comportements, une crise ou un mutisme seront toujours mis sur le dos du handicap. Il y a une méconnaissance de l’autisme et une méconnaissance des prises en charges des traumatismes», souligne-t-elle. Faute de formations, la parole des victimes est disqualifiée. Ce qui exclut toute prise en charge du traumatisme des femmes autistes victimes de violences sexuelles. C’est pour agir en ce sens que Marie Rabatel, Muriel Salmona ont été auditionnées par le Sénat le 14 février dernier.

Pour Marie Rabatel, l’étude des docteurs Gourion et Leduc ne serait que «l’arbre qui cache la forêt». D’abord, parce que de nombreuses femmes ne sont diagnostiquées autistes qu’à l’âge adulte, les empêchant d’identifier pleinement leurs difficultés relationnelles. D’autre part, l’enquête a été menée auprès de femmes intégrées à la société. La présidente de l’AFFA s’inquiète des violences sexuelles qui pourraient être dénoncées au sein des institutions. Le nombre de cas pourrait être encore plus alarmant.

Source LE FIGARO.

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