Journée mondiale du bégaiement : « C’est d’une grande violence », affirme une orthophoniste…

Entretien avec une orthophoniste sur un handicap qui concerne au moins 850.000 personnes en France.

Journée mondiale du bégaiement : « C’est d’une grande violence », affirme une orthophoniste.

  • Une orthophoniste de Loire-Atlantique explique ce que change le port du masque pour les bègues.
  • Puis, elle explique un concept assez récent, le bégaiement masqué, qui génère une grande souffrance.

Ce jeudi, c’était la journée mondiale du bégaiement. En France, il y a 850.000 personnes déclarées qui bégaient en France (soit 1 % de la population), mais sans doute beaucoup d’autres qui le masquent. C’est d’ailleurs le thème de la soirée nantaise : « Le bégaiement masqué dans tous ses états. » Un thème à double sens. Explications avec Stéphanie Le Saout, orthophoniste au Pallet (Loire-Atlantique) et déléguée 44 de l’association Parole bégaiement.

Quel est l’impact du masque (dû au coronavirus) sur le bégaiement ?

Cela crée de grosses difficultés au niveau de la communication, avec un déficit d’indices visuels et une perte de l’acoustique car tout est camouflé. Il y a aussi le problème de la distanciation de plus d’un mètre, qui oblige la personne qui bégaie à répéter car elle est mal comprise. Pour un bègue, il y a aussi le besoin parfois de se raccrocher au sourire de son interlocuteur, un sourire qui tranquillise… avec le masque, c’est impossible. Mais, il y a aussi des aspects positifs.

Lesquels ?

Avec un masque, on ralentit notre débit donc cela a un effet bénéfique pour des personnes qui bégaient. L’environnemental s’adapte mieux au fait qu’on ralentisse la parole. Par ailleurs, on me demande de répéter non pas parce que je bégaie mais parce que j’ai un masque, ça banalise la situation.

D’ailleurs, pour une orthophoniste, c’est nouveau ce masque. Comment faites-vous pour travailler avec des bègues ?

Avec les petits et les personnes sans langage, c’est beaucoup plus difficile. Je donne des indices avec le haut de mon visage. Je suis obligé de beaucoup amplifier ma voix et d’accentuer mes mimiques au niveau des yeux et du haut de mon visage.

Il y a aussi ce problème de bégaiement masqué, finalement assez méconnu du grand public. Pouvez-vous nous expliquer ce que c’est que le bégaiement masqué ?

C’est assez nouveau, il n’y a quasiment pas de littérature sur ce sujet. C’est tout ce que va mettre en place la personne qui bégaie comme stratégie pour ne pas se faire déceler comme personne qui bégaie. Certaines personnes, qui sont bègues, ne se sont même jamais entendues faire des bégayages. Cela prend souvent les allures d’une personne timide. C’est d’une grande violence, cela peut créer de graves traumatismes. La sévérité du bégaiement n’est pas proportionnelle à la souffrance. Avec le bégaiement masqué, on ne va rien voir rien entendre, mais la souffrance va être horrible.

Comment s’y prennent-il pour masquer ça ?

Ces personnes vont se constituer une autre identité d’eux. Ils évitent des situations, des mots. Ils seront les meilleurs dictionnaires de synonymes, de périphrases. Jamais, ils ne se mettent en danger. Ils vont même parfois manquer de vocabulaire car ils vont parler le moins possible. Cette semaine, j’ai vu un ado qui ne répondait que « je ne sais pas », « j’ai oublié » ou « je ne sais plus » à mes questions. Il ne parle pas, il ne se mouille jamais.

Quelles peuvent être les conséquences dans leur vie professionnelle et sociale ?

Cela peut aller jusqu’à ne plus parler ou choisir un boulot où on a le moins de contacts possible. C’est un contrôle non-stop de soi. Ils ne veulent laisser passer aucune hésitation dans la parole alors que la parole parfaite n’existe pas

Comment travaillez-vous sur ce problème ?

Notre rôle est d’abord d’identifier leur fonctionnement et leur problème et qu’ils arrivent à lâcher prise.

Guérit-on du bégaiement ?

C’est difficile de dire qu’on va guérir du bégaiement – qui est souvent héréditaire – et qu’on va avoir une parole parfaite. Notre rôle est d’amener les gens qui bégaient à être de meilleurs communicants. On leur montre aussi comment ils fabriquent leur bégaiement, à quel endroit ils ont cette pression, cette tension musculaire et ces spasmes qui s’installent chez eux. Mais, surtout, on va travailler avec eux sur l’affirmation de soi. Mon boulot est réalisé quand la personne s’accepte elle-même.

Source 20 MINUTES.

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