Handicap : les frères et sœurs, les grands «oubliés»….

TÉMOIGNAGES – Léa, Alix, Paul et Agathe ont tous les quatre un point commun : ils ont grandi avec un frère ou une sœur en situation de handicap. Pour la nuit du handicap ce 12 juin, ils nous racontent leur histoire.

Lorsque l'on parle de handicap, on s'intéresse souvent aux parents et aux personnes directement concernées, mais très peu aux frères et sœurs, qui pourtant sont au centre du tableau familial.

 

Léa a eu du mal à construire une relation avec son grand frère Anton, qui souffre de troubles neurologiques. Dès qu’elle a pu, son réflexe a été de s’éloigner par des études et autres départs à l’étranger. Un confinement et un retour à la maison forcé auront permis à leur famille de se retrouver.

Lorsque l’on parle de handicap, on s’intéresse souvent aux parents et aux personnes directement concernées par une maladie mentale ou physique, mais très peu aux frères et sœurs, qui pourtant sont au centre du tableau familial. Pour la nuit du handicap ce 12 juin, nous avons décidé de leur donner la parole. Entre bonheur, tristesse, responsabilité, culpabilité, ils sont trois à nous avoir confié leur histoire.

Anton et Léa, partir pour mieux se retrouver

Anton et Léa, plus jeunes. Léa Hirshfeld

Anton et Léa ont deux ans et demi de différence. Au début, personne ne savait que le premier avait un trouble neurologique. À quatre ans, il ne parlait toujours pas et avait des problèmes de motricité. Ses parents décident de l’emmener chez des spécialistes, qui tentent de les rassurer : «Peut-être qu’il est un peu fainéant », «il prend son temps», «vous savez qu’Einstein s’est mis à parler à l’âge de quatre ans ?».

Le système de l’éducation française ne les a pas toujours aidés. À cinq ans, Anton a été déscolarisé : «On lui a refusé une AVS (auxiliaire de vie scolaire NDLR), car ça dérangeait la maîtresse», nous explique Léa. Après de multiples tentatives d’intégration dans des écoles et la ferme décision de ne pas mettre Anton en institution, la famille décide donc de quitter Paris pour Jérusalem, « le seul endroit qui semblait vouloir donner une chance à Anton. Il a été pris en charge au centre Feuerstein** où on nous a dit de l’imaginer en homme marié. On est restés presque deux ans.»

Le plus important, c’est de laisser de la place à la parole.

Mais une fois rentrés à Paris, retour à la case départ. Toujours pas d’école pour Anton alors que Léa en intègre une nouvelle. Elle se souvient qu’un article avait été publié sur le Professeur Feuerstein, avec une photo d’Anton en double page dans un magazine : «J’étais si fière, mon frère était une star», se souvient-elle alors qu’elle était encore toute jeune. À l’école, elle cherche à faire une intervention pour montrer les photos du magazine. Sa maîtresse la coupe et lui demande de se rasseoir. Plus tard, cette dernière appellera les parents de Léa : «Votre fille parle trop de son frère, c’est déplacé, vous devriez l’emmener voir un psy», aurait dit alors l’enseignante.

Léa a su à ce moment-là, qu’à l’école, elle ne pourrait plus en parler. Avec du recul, elle trouve cela aberrant : «L’école devrait être un lieu où l’on peut discuter de tout, surtout quand des enfants vivent des choses difficiles. On passe 8 heures sur place, on a plein de choses dans la tête, ça ne s’efface pas pendant les cours de maths !».

À la maison aussi, la parole n’a pas forcément sa place : «Un frère ou sœur qui n’a pas de difficultés notables, a fortiori, va toujours bien. Les problèmes de l’autre sont toujours plus graves, on porte une certaine responsabilité et on n’a pas envie de peser plus. Donc on s’efface un petit peu», raconte Léa. Dans le cadre familial, pendant les dîners par exemple, ce n’était pas facile d’exister : «Quand on vit avec une personne qui a des comportements inhabituels, l’attention est constamment interrompue. Je savais que mes parents m’aimaient, qu’ils faisaient de leur mieux, mais ils étaient trop occupés et je leur en voulais pour ça.» De plus, Léa partageait la chambre avec son frère et avait peu d’intimité. «À cet âge-là j’étais énervée, rebelle, et en pleine adolescence. Je voulais une famille, mais je ne voulais pas celle-là », avoue-t-elle.

Alors qu’elle a quitté très jeune le nid familial, entre autres pour fuir le handicap de son frère, ses voyages l’ont toujours ramené au point de départ : «C’est assez ironique, mais j’allais systématiquement dans des associations pour travailler avec des enfants ou des adultes en situation de handicap. C’est là que je me sentais bien».

Il a fallu des années, du recul, et de la maturité pour finalement changer de regard sur le type de relation qu’ils pouvaient bâtir ensemble. Aujourd’hui, ils cuisinent, partent en week-end avec les amis de Léa, rigolent, s’amusent, se baladent et se donnent de la force. «C’est mon grand petit frère», nous confie-t-elle avec bienveillance. Anton est aujourd’hui une inspiration pour Léa : elle a notamment lancé un podcast sur le sujet, Décalés . Dans la première saison, elle donne la parole à d’autres frères et sœurs, comme elle. Pour les saisons suivantes, elle recevra des parents, des personnes en situation de handicap.

Alix, Agathe et Maëlys, une responsabilité familiale

Agathe* est la grande sœur de la fratrie. Viennent ensuite son frère Jean*, sa sœur Alix*, et la cadette Maëlys*. Pendant longtemps, ils n’ont été que trois. Mais les parents ont toujours rêvé d’avoir une grande famille. «Ils ne pouvaient plus avoir d’enfants, ils ont donc décidé d’adopter», nous raconte Agathe . «Un jour, maman était devant un documentaire sur un jeune garçon trisomique, c’est à ce moment-là qu’elle s’est décidée», se souvient Alix. «On a fait un conseil familial, c’est peut-être le seul qu’on ait fait de notre vie, et chacun devait donner son avis sur le fait d’adopter un enfant handicapé. On a tous dit oui

Ils rencontrent donc Maëlys, près de Limoges, qui avait à ce moment-là neuf mois. «Elle avait été abandonnée 3 jours après sa naissance à cause de son handicap», se rappelle Agathe. «Maëlys a été très marquée par son abandon, on voit aujourd’hui qu’elle en souffre et s’en prend surtout à ma mère», continue l’aînée. «Mais lorsqu’on lui explique son histoire, ça la met tout de suite en joie».

Il fallait qu’on soit solidaire les uns et les autres, car il fallait qu’on soit solidaire pour Maëlys.

Les deux sœurs n’ont pas eu la même relation avec la dernière. Alix est restée plus longtemps au domicile familial, «ce qui n’était pas toujours facile» : «J’avais une grosse responsabilité, je devais lui brosser les dents, la nourrir, la coucher, et quand elle faisait des crises on me jugeait comme responsable. J’ai dû mettre beaucoup de ma vie entre parenthèses, je devais être disponible quand les parents sortaient». Agathe, qui a quitté le foyer familial plus tôt, conçoit bien la situation compliquée d’Alix : «Effectivement, beaucoup reposait sur nos épaules. J’ai moi-même aussi été très responsabilisée mes frères et sœurs. Jean était plus porté sur les jeux avec Maëlys que sur les couches. Il fallait qu’on soit solidaire les uns et les autres, car il fallait qu’on soit solidaire pour Maëlys».

Agathe et son Jean sont également les parrains et marraines de Maëlys, et donc ses futurs tuteurs. Agathe se pose souvent la question de la suite : «Je n’ai pas peur pour qu’elle trouve un travail, je n’ai pas peur de m’en occuper si mes parents partent, ils ont mis en place un système financier qui nous protégerait. Par contre, je me pose des questions sur l’idée du couple, que Maëlys tombe amoureuse», commence-t-elle. Le sujet reste encore difficile dans la famille : «Est-ce qu’on peut lui laisser croire qu’elle pourrait avoir des enfants, sachant que cela sera notre responsabilité ?», se questionne alors Agathe. «Je crois en la providence, mais c’est vrai que le sexe chez les personnes handicapées est encore tabou. J’aurais aimé un discours de l’Église, qu’elle nous accompagne».

« Je souhaite juste qu’il y ait un changement dans la société, qu’on arrête de la dévisager comme si c’était un monstre ou que le handicap se transmettait comme un virus. Ma sœur est hyper mignonne, elle est magnifique, et elle est heureuse de vivre. »

Agathe, la grande sœur de Maëlys.

Aujourd’hui, Alix est en fait des études pour devenir infirmière dans le sud de la France, mais retourne souvent le week-end voir sa famille : «Maëlys est tellement heureuse de tous nous retrouver à chaque fois, elle a un énorme cœur». Agathe est aussi en paix avec ce choix familial, «ça a changé ma vision sur le handicap. Je ne serai pas du tout angoissée si l’un de mes enfants est handicapé.» «Je souhaite juste qu’il y ait un changement dans la société, qu’on arrête de la dévisager comme si c’était un monstre ou que le handicap se transmettait comme un virus. Ma sœur est hyper mignonne, elle est magnifique, et elle est heureuse de vivre».

Paul et Capucine, le silence est d’or

Paul n’en parle jamais. Ni à ses parents, ni à ses amis, ni à sa famille. C’est l’aîné de trois enfants, «Capucine est arrivée en dernière, elle a aujourd’hui 23 ans et j’en ai 27», commence-t-il par nous expliquer. Au bout de quelques mois, suite à des premières crises d’épilepsie, les parents s’aperçoivent que quelque chose ne va pas. Finalement, Capucine est diagnostiquée comme gravement polyhandicapée, nous signale Paul : «Ça veut dire qu’elle ne contrôle pas ses gestes, qu’elle est dans une poussette et non dans un fauteuil roulant, et ne peut donc rien faire toute seule. Elle n’a aucun moyen de communiquer avec nous».

«Mes parents m’ont toujours protégé avec mon autre sœur. Ils n’ont jamais voulu mettre la responsabilité sur nous. Ils ne m’ont jamais demandé de lui donner ses médicaments, de la nourrir, de la changer… Je pense qu’ils ont fait ça pour nous protéger, au cas où il se passait un truc quand on la gardait, quelque chose qu’on n’aurait pas pu se pardonner», nous confie le jeune homme.

Paul est très proche de ses parents, «je pense que je n’aurais pas pu avoir une meilleure éducation». Il nous raconte que très jeune, il était allé voir un psy pour une séance : «À ce moment-là on se battait beaucoup avec mon autre sœur, mes parents redoutaient que l’on soit marqué par quelque chose, du fait de la situation». Finalement, il n’en était rien, simplement deux frère et sœur un peu chahuteurs.

Aujourd’hui, Paul n’en parle toujours pas. Au lycée, très peu de ses amis étaient au courant : «Ce n’est pas parce que j’avais honte, mais c’était un sujet sensible pour moi, j’avais peur d’en pleurer». Il s’est donc protégé et renfermé, quitte à parfois ne plus faire attention à elle : «c’est horrible ce que je vais dire, mais parfois c’est comme si elle n’était pas là. Je passais devant et je ne m’arrêtais pas. Savoir qu’elle va probablement nous quitter plus tôt m’a probablement poussé à me protéger sous une carapace».

Mais un jour, Capucine a été gravement hospitalisée. Paul réalise à ce moment-là qu’il regrette ne pas avoir passé plus de temps avec elle : « Je me suis dit mais qu’est-ce que tu es c**, il ne faut pas que ça arrive maintenant. J’ai tout de suite culpabilisé de ne pas avoir été plus proche d’elle». Depuis, il essaye de faire des efforts et lui parle quand personne n’est dans la pièce : «Je me sens mal à l’aise quand il y a quelqu’un, mais je pense que c’est mon tempérament».

«Pour les frères et sœurs, c’est évidemment très dur psychologiquement. Mais c’est ce qui fait aujourd’hui que j’ai beaucoup de valeurs, que je relativise énormément. C’est difficile de trouver sa place entre trop et trop peu, mes parents sont parfaits avec Capucine, je ne le suis pas forcément. Mais c’est aussi cette situation qui fait ma force», finit-il par conclure, rempli de gratitude.


*Les prénoms ont été changés.

**L’Institut Feuerstein est un centre international d’enseignement, de traitement et de recherche. Il a été fondé en 1965 par le psychologue de l’éducation et du développement Reuven Feuerstein. Sa mission est d’apprendre aux gens à penser, à apprendre et à mieux fonctionner. Selon l’institut, les objectifs «sont atteints grâce à l’utilisation de la méthode Feuerstein, une technique éducative unique qui identifie les aptitudes d’apprentissage d’un individu, ses forces cognitives et les processus spécifiques nécessaires pour libérer et maximiser son potentiel.»

Source LE FIGARO.

 

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