Handicap : L’écriture inclusive est-elle vraiment inclusive ?…

Un vœu présenté ce mercredi en Conseil de Paris par l’opposition demande « que la Mairie renonce totalement à l’usage de l’écriture inclusive », mettant en avant les difficultés de lecture pour les personnes en situation de handicap.

 

Handicap : L’écriture inclusive est-elle vraiment inclusive ?

 

  • Ce mercredi, l’opposition présentera un vœu au Conseil de Paris pour demander que l’écriture inclusive soit bannie de la Mairie.
  • Selon les opposants à l’écriture inclusive, « cette pratique est discriminante pour les personnes souffrant de handicap », particulièrement les personnes déficientes visuelles ayant besoin de logiciels pour la décrypter.
  • Toutes les associations et collectifs de personnes en situation de handicap ne sont cependant pas réfractaires à l’écriture inclusive qui, par ailleurs, ne se limite pas au point médian.

Elle a fait couler beaucoup d’encre depuis trois ans, et ça ne s’arrête pas. Les opposantes et opposants à l’écriture inclusive sont bien décidés à stopper son usage à la Mairie de Paris, arguant du fait que « cette pratique est discriminante pour les personnes souffrant de handicap », particulièrement celles qui sont déficientes visuelles et ont besoin de logiciels pour la décrypter.

Le groupe Changer Paris s’apprête à déposer, ce mercredi, un vœu en Conseil de Paris. Objectif : que la Mairie « renonce totalement à l’usage de l’écriture inclusive, afin de respecter les principes fondamentaux d’accessibilité et d’égalité des droits. »

Dans leur argumentaire, les élus et élues Les Républicains et Indépendants mettent en avant le fait que l’Association pour la prise en compte du handicap dans les politiques publiques et privées (APHPP) a cet été interpellé l’Association des maires de France ainsi que la nouvelle Défenseure des droits. Ils rappellent aussi les propos de la secrétaire d’Etat au Handicap, Sophie Cluzel, qui a dénoncé une « régression pour l’accessibilité universelle contraire à tous les efforts en Falc [Facile à lire et à comprendre]. » Enfin, ils estiment que les personnes en situation de handicap s’opposent à l’écriture inclusive.

Des handiféministes dénoncent une « récupération du handicap »

La vérité est un peu plus complexe que cela. Il est vrai que certaines associations, comme la Fédération des aveugles de France, se sont élevées contre l’écriture inclusive. « Pour nous, personnes aveugles, cette soi-disant langue inclusive est proprement indéchiffrable par nos lecteurs d’écrans », énonçait un communiqué en 2017. Selon ce texte, avec l’écriture inclusive, le texte devient « illisible, incompréhensible, en particulier par ceux qui éprouvent quelques difficultés avec cette même langue, les dyslexiques par exemple. »

Cependant, ce communiqué est critiqué par des associations et collectifs de personnes en situation de handicap et féministes. Il « fait fi de toute une littérature scientifique sur la question », contre-attaque par exemple le réseau d’études handiféministes, un collectif de chercheurs et chercheuses à la pointe sur le sujet qui entend « dénoncer la récupération du handicap pour justifier des positions anti écriture inclusive » : « Il existe assurément des handi-e-x-s [voir notre encadré 20 secondes de contexte] qui défendent l’écriture inclusive. »

L’écriture inclusive ne se réduit pas au point médian

Pour le réseau d’études handiféministes, le problème n’est pas tant l’écriture inclusive que les logiciels de synthèse : « De fait, lire un point médian avec un lecteur d’écran est, à l’heure actuelle, quelque chose de désagréable, voire d’incompréhensible. Mais si les programmateurices [voir notre encadré 20 secondes de contexte] travaillaient à modifier cela, il n’y aurait plus de problème », estime le collectif, qui préfère « condamner le sexisme qui préside à la programmation des logiciels, plutôt que l’antisexisme qui motive l’usage de l’écriture inclusive ». Autre argument : il est actuellement possible d’intervenir dans le terminal des logiciels « pour modifier la verbalisation du point médian », explique le collectif. Option alternative : utiliser des traits d’union, « parfaitement lisibles par des lecteurs d’écran ».

Par ailleurs, l’écriture inclusive ne se réduit pas au point médian, contrairement à ce que suggère le vœu du groupe LR. « Les quatre “piliers” du langage égalitaire sont vieux de plusieurs siècles et conformes au fonctionnement de la langue française : 1. Nommer les femmes au féminin ; 2. Nommer les femmes aussi quand on parle de populations mixtes ; 3. user des accords traditionnels en cas de pluralité de noms à accorder avec un adjectif ou un participe (accord de proximité, accord au choix) et non pas la règle qui veut que “le masculin l’emporte sur le féminin” ; 3. Bannir le mot homme de toutes les expressions où l’on veut désigner l’espèce humaine », témoigne Eliane Viennot, spécialiste d’écriture égalitaire et historienne des relations de pouvoir entre les sexes.

Contactée par 20 Minutes, Nelly Garnier, porte-parole du groupe Changer Paris, ne se dit pas opposée à doubler les mots, comme dans l’expression « Françaises, Français », mais seulement à une utilisation abondante du point médian, « type cher·e·s lecteur·rices·s », dit-elle. Sauf que cette utilisation n’est pas même recommandée par le Haut Conseil à l’Égalité femmes-hommes (HCE), qui inspire la communication de la Mairie de Paris. « On simplifie et on fait confiance à l’usage. Cela ne rend pas plus difficile l’usage de la langue et l’impact sur la visibilité des femmes est extraordinaire », confirme à 20 Minutes Brigitte Grésy, la présidente du HCE.

Défaut de normalisation des pratiques

Pour Benjamin Moron Puech, enseignant – chercheur en droit très actif sur ces questions, le problème ne vient pas tant de l’écriture égalitaire en elle-même, mais du fait qu’on ne se donne pas les moyens de la généraliser, alors que toutes les études prouvent qu’elle a un impact significatif sur les représentations sexistes. « Je vous invite, en particulier pour les textes destinés à être publiés au Journal officiel de la République française, à ne pas faire usage de l’écriture dite inclusive », avait recommandé le Premier ministre, en novembre 2017, contredisant les règles du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, pourtant placé sous son égide. « Le problème provient d’un défaut de normalisation des pratiques d’écriture d’inclusive, le gouvernement jouant la discorde entre d’un côté les normes du HCE, les normes de l’Académie française et ses propres normes issues de la circulaire de 2017. C’est cette contradiction des normes au niveau étatique, ainsi que le défaut d’enseignement qui est avant tout responsable des difficultés rencontrées par les personnes en situation de handicap », plaide-t-il.

Ces arguments ne convainquent pas Vincent Michel, président de la Fédération des aveugles et amblyopes de France : « Cette écriture avec “les étudiant” bidule “e” bidule “s” c’est pénible à lire et c’est pénible pour le rédiger. Et pourtant je suis un grand partisan de l’égalité des sexes et de l’égalité tout court. Quand je m’adresse à une assemblée je dis « madame, monsieur » et même je dis « mademoiselle » car je trouve ça tellement beau. »

Pas de quoi faire changer d’avis l’adjointe à la Maire de Paris en charge de l’Egalité femmes-hommes Hélène Bidard, qui va appeler à rejeter le vœu tel qu’il est écrit, avec son collègue Jacques Galvani, en charge du handicap : « Ce n’est pas le fait de visibiliser les femmes qui est compliqué, c’est le Français. Et ce n’est pas une langue morte. La langue évolue avec l’égalité qui progresse. »

Source 20 MINUTES.

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