Handicap – Elections : de belles intentions et de lourdes discriminations…

La France accuse un grand retard dans le respect des droits des personnes handicapées.

Les candidates et candidats à la présidentielle ne dérogent pas beaucoup à l’approche française du handicap, médicale et paternaliste, qui exclut et discrimine.

Handicap - Elections : de belles intentions et de lourdes discriminations...

 

Des enfants handicapés qui voient se fermer les portes de la cantine scolaire ou de la crèche en raison de leur état de santé ; la lauréate d’un concours de la fonction publique à laquelle on refuse des conditions de travail compatibles avec son handicap visuel : ce sont des exemples des discriminations qui ont justifié l’intervention de la Défenseure des droits, Claire Hédon, en 2020, et qu’elle raconte dans son rapport annuel. Un quart des sollicitations de la Défenseure des droits concerne le handicap.

En 2021, le Comité des droits des personnes handicapées, placé auprès de l’Organisation des Nations unies (ONU), a dressé un portrait plus sombre encore du faible respect par la France de la convention relative aux droits des personnes handicapées. Les « aspects positifs » tiennent en une demi-page. Ce sont quelques mesures prises depuis la ratification de la convention par la France en 2010 : la collecte et la publication de données sur l’accessibilité des transports ; la reconnaissance du droit de vote des personnes handicapées sous tutelle ; l’obligation, devenue un peu plus effective, de proposer des aménagements raisonnables dans l’emploi aux personnes handicapées.

Sur 20 autres pages, le comité déroule ses « préoccupations ». En premier lieu, la France n’a rien changé à ses « lois et politiques fondées sur le modèle médical ou une vision paternaliste du handicap ».

La définition française du handicap, dans la loi du 11 février 2005, persiste à mettre en avant sa nécessaire « prévention », note le comité, ainsi que la recherche et les traitements pour limiter les incapacités, « y compris des handicaps psychosociaux et de l’autisme ». Si, en France, le handicap doit être ainsi traité, dans l’espoir de le limiter, c’est parce qu’il est toujours « associé à des stéréotypes négatifs ».

Une conception du handicap

Le comité défend au contraire « une nouvelle conception du handicap », vu comme une « construction sociale » : « Les personnes handicapées sont donc en situation d’exclusion, non pas en raison de leurs déficiences personnelles, mais à cause des obstacles qu’elles rencontrent dans la société. »

En France, des lois et politiques fondées sur le modèle médical ou une vision paternaliste du handicap.

Comité des droits des personnes handicapées

Or, tout est organisé en France pour maintenir la personne handicapée en marge de la société, puisque prédomine un modèle de « prise en charge médicosociale », « qui perpétue le placement systématique des personnes handicapées en institution », dans une forme de ségrégation. Le comité relève aussi que les droits des personnes handicapées sont principalement défendus par des associations qui sont avant tout des gestionnaires d’établissements médicosociaux, qui ont donc tout intérêt à maintenir les personnes handicapées dans ces établissements.

Cette vision paternaliste du handicap, le candidat Éric Zemmour (Reconquête) l’a condensée en une déclaration, le 14 janvier dernier, à Honnecourt-sur-Escaut (Nord), devant des enseignants acquis à sa cause. Il a souhaité que les enfants handicapés scolarisés soient renvoyés dans « des établissements spécialisés qui s’en occupent. Sauf les gens qui sont légèrement handicapés évidemment, qui peuvent entrer dans la classe. Mais pour le reste, l’obsession de l’inclusion est une mauvaise manière faite aux autres enfants, et à ces enfants-là qui sont, les pauvres, complètement dépassés par les autres ».

Voilà un condensé de ce « validisme » – cette « conviction des personnes valides que leur absence de handicap et/ou leur bonne santé leur confère une position plus enviable et même supérieure à celle des personnes handicapées » – contre lequel luttent des militant·es handicapé·es, raconte Caroline Boudet dans Mediapart.

Des candidats font un pas vers ces militantes et militants anti-validistes et cette « nouvelle conception du handicap » défendue par le Comité des droits des personnes handicapées. Pour Jean-Luc Mélenchon (Union populaire), le handicap n’est « ni une maladie ni un mal que l’on soigne. Le handicap est une situation ». Par « une politique interministérielle », il veut « lutter contre les obstacles environnementaux, c’est-à-dire culturels, sociaux, législatifs, réglementaires, et architecturaux afin de favoriser l’accès des personnes en situation de handicap aux droits généraux de tout·e citoyen·ne ».

Côté communistes, Fabien Roussel s’engage au « respect de la convention internationale des droits des personnes handicapées » et pour des « politiques publiques du handicap à visée émancipatrice ».

Marine Le Pen (rassemblement national – RN) est la plus ambitieuse : elle veut faire de la lutte contre les discriminations du fait du handicap « un principe constitutionnel ». Elle modifierait pour cela l’article 1er de la Constitution : la République ne devrait plus assurer « l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion », mais « l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction de sexe, d’orientation sexuelle, de handicap ». Les personnes handicapées pourraient ainsi lever plus facilement les obstacles dans leur accès au logement, à l’emploi, au crédit bancaire ou aux transports publics, argumente Marine Le Pen. Une habile manière d’habiller « un programme brutal, profondément xénophobe et autoritaire, qui mettrait la France au ban des démocraties européennes », rappelle Lucie Delaporte.

Un consensus sur les AESH

L’urgence de faciliter l’accès à l’école des enfants handicapés fait consensus parmi tous les candidats et candidates. Valérie Pécresse (Les Républicains – LR) rappelle que 11 000 enfants handicapés ne sont toujours pas scolarisés en milieu ordinaire, quand l’Italie ou la Suède parviennent à y accueillir tous les enfants. Elle promet de « scolariser les enfants handicapés en milieu ordinaire jusqu’à la fin du lycée », mais avec toujours le même bémol : « chaque fois que c’est possible ».

Les candidates et les candidats promettent d’augmenter le nombre d’accompagnant·es d’élèves en situation de handicap (AESH). La plupart veulent aussi améliorer les contrats et les salaires de ces contractuel·les précaires, qui étaient encore en grève mardi 5 avril. Le président-candidat (La République en marche – LREM) Emmanuel Macron s’engage à créer des « contrats de 35 heures » qui pourraient s’étendre au-delà du temps scolaire, « à la cantine, pendant les vacances ». Anne Hidalgo (Parti socialiste – PS) veut elle aussi « sortir de la précarité » les AESH. L’écologiste Yannick Jadot, le communiste Fabien Roussel et l’Insoumis Jean-Luc Mélenchon promettent d’intégrer les AESH dans la fonction publique.

Aucun ne revient cependant sur la scolarisation des enfants handicapés dans des classes à part, les unités localisées pour l’inclusion scolaire (Ulis), qui, pour le Comité des droits des personnes handicapées, « perpétuent la stigmatisation et l’exclusion ». Jean-Luc Mélenchon et Fabien Roussel veulent même développer les classes Ulis et y limiter à dix le nombre d’élèves. En Italie, pourtant, tous les enfants handicapés sont intégrés dans des classes ordinaires, de la maternelle au lycée.

L’accessibilité est l’autre grand dossier qui fait consensus. Marine Le Pen peut facilement se moquer du métro parisien : seule la ligne 14 est équipée d’ascenseurs ou de portes suffisamment larges pour les personnes à mobilité réduite (mais deux lignes de RER et de nombreux bus sont accessibles). Très ambitieux, et probablement pas très réaliste, Emmanuel Macron fixe comme objectif la « parfaite accessibilité des Jeux olympiques 2024 » à Paris et dans sa proche banlieue. Il propose aussi de décliner « MaPrimeRenov’ » en créant « MaPrimeAdapt » pour aider les personnes âgées et handicapées à adapter leur logement. Anne Hidalgo promet quant à elle « l’accessibilité universelle ». Plus précis et ambitieux, Yannick Jadot veut créer une « Agence nationale de l’accessibilité universelle » qui doit garantir l’accessibilité à tous les services publics grâce à des pouvoirs de contrôle et de sanction. Jean Luc-Mélenchon veut garantir « l’accessibilité partout », en particulier dans « tous les logements neufs ». Fabien Roussel qualifie de « scélérate » la loi Elan. Il vise ainsi le gouvernement qui, en 2018 , a abaissé à 20 % – au lieu de 100 % – le quota de logements neufs accessibles.

Les candidats du RN et des Verts ont en commun de vouloir lutter contre le chômage des personnes handicapées – qui est de 14 %, contre 8 % en population générale –, notamment en imposant le respect de la loi sur l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés (OETH). Marine Le Pen veut aussi développer les entreprises adaptées et l’apprentissage pour les personnes handicapées.

Yannick Jadot est le seul candidat à s’attaquer aux « institutions » médicosociales françaises, dénoncées par le Comité des droits des personnes handicapées: il veut entamer « la sortie progressive du système institutionnel qui entraîne une forme de ségrégation sociale ». Il s’engage aussi à renforcer les contrôles dans les établissements et services d’aides par le travail (Esat), et à y appliquer le droit du travail, en particulier la rémunération au Smic. À terme, il envisage l’« extinction progressive » des Esat, au profit de l’inclusion des personnes handicapées dans le monde du travail. Jean-Luc Mélenchon promet lui aussi d’« améliorer les conditions de travail » en Esat et d’y porter le salaire au niveau du Smic.

Toutes et tous pour déconjugaliser l’AAH, sauf Emmanuel Macron

Le quinquennat a été marqué par une vive polémique autour de l’allocation adulte handicapé (AAH). Le versement de cette allocation de 919 euros prend aujourd’hui en compte les revenus du conjoint ou de la conjointe. Le gouvernement s’est opposé à une proposition de loi centriste qui proposait d’individualiser l’AAH.

Les candidates et candidats reprennent presque tous cette proposition. En plus de l’individualiser, la plupart veulent revaloriser l’AAH : à 1 000 euros pour Marine Le Pen, jusqu’au Smic pour Jean-Luc Mélenchon et Philippe Poutou, détaille le site Handicap.fr, qui a creusé les propositions de nombreux candidats en les interrogeant.

Sur l’AAH, Emmanuel Macron se contente de son bilan : il rappelle l’avoir valorisée de 100 euros sur le quinquennat. Et il persiste et signe, en refusant l’individualisation de l’AAH, comme l’a expliqué la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées, Sophie Cluzel, au nom du président-candidat : cette allocation sociale doit être accordée comme « toutes les autres, c’est-à-dire que quand on est en couple, on prend les revenus du couple, comme pour le revenu de solidarité active [RSA], comme pour l’AAH, comme pour l’allocation de solidarité aux personnes âgées [Aspa] ».

Le président-candidat oppose une fin de non-recevoir à cette revendication ancienne des personnes handicapées qui, lorsqu’elles ne peuvent pas travailler, ne veulent pas dépendre des revenus de leur conjoint·e. Le paternalisme a décidément la peau dure.

Source MEDIAPART.

Pour marque-pages : Permaliens.