ENTRETIEN. Pierre Tarance, joueur du RC Vannes : « Je me suis approprié mon handicap »…

Le 10 octobre 2010, le joueur du RC Vannes Pierre Tarance a été plaqué au sol par un Fidjien lors d’un match de rugby contre Limoges.

Vertèbres cervicales brisées, il est tétraplégique depuis dix ans. Il se confie à Ouest-France.

Pierre et les deux femmes de sa vie, Margaux et Marie.

Le 10 octobre 2010, le joueur du RC Vannes (Morbihan) Pierre Tarance a été plaqué au sol par un Fidjien lors d’un match de rugby contre Limoges. Vertèbres cervicales brisées, il est tétraplégique depuis dix ans.

Aujourd’hui, que retenez-vous de ce 10 octobre 2010 ?

Je me souviens de tout. Des odeurs, des bruits, des paroles qui ont été prononcées. J’ai entendu : dites-lui de se relever, il fait du cinéma ! J’ai cru que j’allais mourir. Mon protège-dents m’empêchait de respirer. Les médecins ont dans un premier temps décompressé la moelle épinière. Puis je suis parti en ambulance vers l’hôpital de Pontchailloux à Rennes. L’hélicoptère était pris sur une autre intervention. J’avais mal, j’avais soif. C’était très long. Je ne me souviens pas si quelqu’un m’a dit quelque chose sur mon état. J’étais comme une planche. Je savais que j’étais mal. Dix jours après, je débarquais au centre de rééducation de Kerpape. J’ai croisé Marie dès le premier jour.

Et ensuite comment s’est passée votre reconstruction ?

Je prenais comme ça venait. Je suivais le mouvement. Avec le personnel soignant, dont Marie qui était kinésithérapeute, nous fixions des objectifs toutes les semaines. Parfois, je les atteignais en deux jours. On rigolait bien ensemble mais j’étais là pour travailler.

Comment êtes-vous devenu joueur professionnel de rugby ?

Je viens d’un petit village des Landes, qui s’appelle Pouillon. On avait le choix entre, le rugby, le basket, le tennis et la natation. J’ai choisi le rugby, j’avais 5 ans. J’ai joué mon premier match le 14 octobre 1988. Mon père jouait aussi au club et ma mère y était bénévole. Je suis arrivé à Vannes en 2007. J’étais en couple, je construisais moi-même ma maison. Au départ, je ne faisais que ça. Ensuite, j’ai travaillé chez Gédimat, à mi-temps, puis au chantier Multiplast à Vannes. Je faisais de l’assemblage. On finissait le bateau du patron à quai. On commençait de bonne heure le matin car il faisait chaud cette année-là. Je regardais les levers du soleil. Il y avait une excellente ambiance. Ça me plaisait. Je serais bien resté. J’avais un contrat jusqu’au 31 décembre 2010. Je me suis arrêté avant…

Dix ans après cet accident, quel bilan tirez-vous de votre vie ?

En dix ans, j’ai fait pas mal de choses. J’ai refait ma vie avec Marie, j’ai voyagé plus que je ne l’avais fait les 27 premières années. Nous avons par exemple été en voyage de noces en Polynésie. Nous sommes allés à la coupe du monde de rugby en Nouvelle-Zélande, puis au Japon en 2019. Nous sommes allés au Canada, en Jamaïque, à Miami, à Punta Cana. J’ai une petite fille formidable désormais, Margaux, qui vient d’avoir deux ans. Je me suis approprié mon handicap, je l’ai digéré.

Est-ce qu’avec l’évolution de la science, vous espérez remarcher un jour ?

Non. J’en ai tellement bavé pendant 20 mois que je ne suis pas prêt de recommencer. Je préfère mettre mon énergie à vivre comme je suis aujourd’hui. Je ne veux pas quitter encore ma maison. Ça n’est pas dans mon état d’esprit. Me refaire opérer. Non, vraiment.

Qu’est-ce que vous faites aujourd’hui, que vous n’auriez pas imaginé ?

À Kerpape, j’avais dit à tout le monde, que je ne me marierais jamais en fauteuil. Avec Marie, on s’est marié en 2016. Je cherche toujours des adaptations dans ma vie. Je voulais par exemple tondre la pelouse dans mon jardin. J’ai mis un an à trouver une solution mais j’y suis arrivé. C’est désormais moi qui m’occupe de la tonte. Je mets deux jours, mais j’y arrive. Je ne me suis jamais mis d’interdits, ni de barrières. Avoir un enfant, je n’y pensais même pas. Désormais, Margaux me met face à mon handicap, à mes difficultés. Je vois tout ce que je ne peux pas faire. Elle, elle s’en fiche. Le fauteuil fait bip-bip, ça l’a fait rigoler.

Qu’est-ce que cet accident vous a appris sur vous et sur les autres ?

J’ai appris à me connaître. Je connais mon corps par cœur. J’ai appris à prendre soin de moi. De ne plus aller au-delà de la douleur comme je le faisais quand je jouais au rugby. J’ai aussi appris la patience. Je suis reparti de zéro. Il faut avoir le courage de le faire, trouver des projets, continuer à vivre. Sur les autres, pas grand-chose. Le tri se fait vite entre les vrais amis et les connaissances. Une chose est sûre, cet accident m’a apporté de sacrées emmerdes. Mais je m’adapte. Tous les ans, avec Marie, nous allons témoigner à l’école des aides-soignantes. Je leur sors ma règle des 4 A, comme Accepter pour avancer, Adapter, Aménager et Anticiper.

Qu’est ce qui vous agace actuellement ?

L’administration. À Pôle emploi, j’étais en face d’une conseillère un jour, elle m’a demandé si j’avais mon permis moto (soupirs). Je reçois des offres automatiques pour être chauffeur de bus. Ça me rend dingue. Par exemple, ma carte d’invalidité était valable trois ans. Si je ne pensais pas moi-même faire les démarches de renouvellement, personne ne me prévenait et je me retrouvais sans carte. Rien n’est fait pour nous simplifier la vie.

Qu’est ce qui vous manque le plus ?

Un travail. J’ai fait une formation d’analyste vidéo, mais personne n’a fait appel à moi, notamment dans le rugby. Je suis actuellement une formation à distance pour devenir architecte d’intérieur, mais je ne sais pas encore si j’aurai les ressources techniques pour aller au bout. J’ai choisi ce créneau car j’étais menuisier de formation. J’aime bien le bâtiment et j’ai toujours aimé le dessin. En 2007, j’avais pris des cours de peinture à Vannes. J’ai même un atelier dans ma maison. J’ai essayé de repeindre après mon accident, ça m’évitait de penser à mes douleurs. Mais je ne suis pas assez autonome. Il fallait tout me préparer, alors j’ai laissé tomber. J’aimerais trouver un boulot, rencontrer des gens, partir de chez moi le matin et rentrer le soir. Avoir des choses à raconter.

Source OUEST FRANCE.

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