Emploi et handicap : “Dès que les employeurs voient le fauteuil roulant, cela efface mes compétences”…

La loi Handicap fête ses 15 ans, une loi qui, selon Caterina, ne favorise pas l’intégration des personnes handicapées.

« La standardisation impose les mêmes règles pour tout le monde alors que nous sommes différents. »

Caterina possède deux Masters. Elle espère trouver un emploi de chargée de projet ou business developer mais son handicap représente un frein. / © DR

« Je ne pensais pas avoir autant de difficultés pour trouver du travail. Des fois je me dis que je ne vais pas y arriver. » À 32 ans, Caterina envoie CV et lettres de motivation depuis trois mois.

Titulaire de deux Master 2 (Bac + 5) en psychologie sociale et du travail ainsi qu’en management des administrations et des entreprises, la jeune femme, en fauteuil roulant, se heurte aux biais d’un système parfois absurde, où ses compétences sont reléguées derrière des problèmes de logistique.

Premier emploi, premiers obstacles

Caterina décroche un premier emploi un an après son premier Master. Un contrat aidé de 12 mois, à Rennes. Elle devient chargée de projet pour une association de photographes. Les locaux de la structure ne sont pas accessibles, avec des marches à l’entrée. « L’équipe a bien voulu s’adapter » raconte Caterina. « Ils me portaient chaque matin, pour m’aider à monter. Ils ont accepté le télétravail. » La jeune femme salue la volonté de ses collègues, lesquels ont essayé de trouver des solutions pérennes par la suite. En vain. « Les aménagements coûtaient trop cher. Il n’y avait pas d’autres bâtiments de disponible. »

La situation est loin d’être idéale. « Au bout d’un moment cela m’a pesé. Je n’étais pas indépendante. Il faut que ce genre de solutions humaines soient temporaires, sinon ça devient problématique. » 

Caterina choisit de reprendre des études. Elle refait un Master 2 via l’IAE de Rennes, en se disant que cela va renforcer ses atouts. Toutes les autres élèves de sa promotion ont trouvé du travail depuis, alors qu’elle non.
Comment présenter son handicap ? Son fauteuil ? À quelle moment dans la candidature ? Caterina a vu sa stratégie évoluer. « Je sais de toute façon que ça va être discriminatoire, comme la Reconnaissance de travailleur handicapé (RQTH). Jusqu’à maintenant, je ne le mentionnais pas. Avant les entretiens, je me renseignais discrètement sur l’accessibilité des locaux, en passant un coup de fil ou en allant voir sur Internet. Aujourd’hui, je mets une phrase, que je tourne sur le ton de l’humour. ‘Depuis plusieurs années, j’ai opté pour un déplacement 100% écologique, sans moteur et qui me permet de rouler tous les jours, à n’importe quelle heure…' » 

Dès que les employeurs voient le fauteuil, le handicap efface mes compétences

« Quand quelqu’un postule, on le prend en considération, d’abord avec ses compétences puis après avec ses autres facettes. Un sportif de haut niveau peut par exemple voir ses horaires aménagés, une maman peut ne pas travailler le mercredi. Dans mon cas, le fauteuil annule tout, cela efface tout le reste. »
Elle relève : « Les gens ne connaissent pas le handicap, ils ont peur et donc ne posent pas de questions. » Là encore, Caterina prend les choses en main.

Désormais, je donne toutes les informations : que je vis seule, que j’ai une voiture, que je vais aux toilettes toute seule…

L’anecdote peut faire sourire mais les candidatures de Caterina finissent par échouer, à cause des toilettes.

« L’an dernier, j’ai eu un entretien à Bordeaux, pour un stage dans le cadre de mon second Master. J’ai eu un premier entretien par Skype, qui s’est bien passé. Je me suis rendue sur place. Tout était bon sauf les toilettes qui n’étaient pas aux normes. Sauf que je n’ai pas besoin que cela soit adapté. Les ressources humaines ont alors commencé à me dire que je ne pouvais pas venir dans le bâtiment, qu’ils risquaient de fermer l’entreprise à cause de moi. J’avais interdiction d’y entrer. On m’a donné un ordinateur pour aller travailler dans un bar ou chez moi. » Caterina se retrouve sans rien alors que sa convention de stage a été signée. Elle a même quitter son appartement rennais pour venir s’installer sur place.

Je ne peux pas choisir mon parcours professionnel alors que j’ai deux Masters, je dois toujours m’adapter.

« La loi handicap, ça ne marche pas. Les entreprises préfèrent payer plutôt que de s’engager »

« Ce genre de loi peut fonctionner dans le public mais dans le privé beaucoup moins, à cause du manque d’argent ou des objectifs de productivité. Je me retrouve bloquée. Comme les entreprises sont obligées, cela nous empêche d’accéder à l’emploi. Cette standardisation des règles ne laisse aucune marge d’adaptation, selon l’individu. »

Elle regrette que personne « ne pense aux capacités qu’on a développées, grâce à notre handicap, comme le sens de la logistique, de l’optimisation, les relations humaines. » Elle se retrouve à postuler à des offres, en dessous de son niveau de compétences. Et on lui demande pourquoi. « Tout cela me fait perdre un peu confiance en moi. Cela affecte mon envie qui elle est forte » lâche-t-elle. Financièrement, cela devient serrée. Elle vit avec l’AHH (allocation adulte handicapée) soit 900 euros par mois. Elle reste optimiste. « Ma recherche s’annonce plus longue car il faut que je tombe sur quelqu’un qui aura cette ouverture d’esprit, le courage, de voir au-delà du fauteuil ambulant. »

Source FR3.

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