Elisa Rojas, avocate : « Le problème du handicap, c’est politique et social. Ça ne relève pas du caritatif. »…

En 2004, elle écrivait une tribune dans laquelle elle s’insurgeait contre le Téléthon.

Seize ans plus tard, elle publie un premier roman qui parle d’amour autant qu’il dénonce le validisme, système d’oppression qui déshumanise et infériorise les personnes handicapées.

Elisa Rojas est en colère et elle le fait savoir.

Elisa Rojas, avocate : "Le problème du handicap, c'est politique et social. Ça ne relève pas du caritatif."

 

Elisa Rojas est avocate au barreau de Paris. Elle est également féministe et militante, notamment par l’intermédiaire d’un blog intitulé « Aux marches du palais« , dans lequel elle dénonce les problèmes d’accessibilité et de visibilité des personnes handicapées, et via le Collectif Lutte et Handicaps pour l’égalité et l’émancipation dont elle est la cofondatrice. Plus récemment, Elisa Rojas est devenue autrice d’un premier roman, Mister T & moi, paru aux éditions Marabout.

Un râteau au jardin des Tuileries

Elisa Rojas a choisi comme « Journée particulière » un jour du printemps 2009 (ou peut-être était-ce de l’été). Ce jour-là, prenant son courage à deux mains, elle ose faire une déclaration d’amour à un homme valide dont elle est amoureuse depuis plusieurs années. Bien qu’elle ait absolument et minutieusement préparé cette déclaration, la jeune avocate s’attend à un refus. En un sens, elle se déclare surtout pour se débarrasser de l’amour encombrant qu’elle porte à ce jeune homme et pouvoir passer à autre chose.

« Je voulais me libérer et je ne voyais pas d’autre option. La meilleure option, c’était d’affronter ce qui me faisait le plus peur et je voulais vraiment l’entendre et me dire que c’était sans espoir. »

Elisa Rojas s’est lancée et a effectivement essuyé un refus, qu’elle raconte dans son livre. Pourtant, ses ami·e·s lui avaient déconseillé de déclarer son amour. Tout le monde y allait de sa propre opinion et, en creux, semblait lui dire d’éviter une situation humiliante. Avec cette expérience, l’avocate prend conscience du validisme qui l’entoure.

« [Le validisme,] c’est le système d’oppression qui déshumanise et infériorise les personnes handicapées, qui fait des personnes valides la norme à atteindre et qui explique que la société soit organisée par et pour les personnes valides. Cela repose sur un ensemble de représentations faussées des personnes handicapées. »

« C’est une tendance très répandue des personnes valides de savoir ce qui est le mieux pour vous. »

De l’importance de redéfinir… tout

Aujourd’hui, Elisa Rojas refuse de se plier à l’ordre insidieux de ne pas grandir et de rester une enfant, ce qui est, selon elle, la principale injonction adressée aux femmes handicapées. Elle décide d’être un être sexué et de définir sa propre féminité. La société ne reconnaît pas les femmes handicapées comme des femmes en tant que telles ; le seul attribut féminin qui ne leur est pas contesté, c’est la vulnérabilité. Exclues de la séduction, on ne pense jamais les femmes handicapées comme objets de désir ce qui, in fine, les empêche de s’imaginer comme des partenaires potentielles. En se posant les questions de la beauté, de l’amour et du désir, qui sont des constructions subjectives, pensées par des personnes valides et, le plus souvent, par des hommes valides, Elisa Rojas a redistribué les cartes pour se réapproprier son corps et se libérer des injonctions qui pèsent sur les femmes handicapées.

« Ce qu’on nous présente comme étant des réalités objectives ne sont pas du tout objectives. Elles sont totalement subjectives et ne reposent sur rien d’autre que la volonté de maintenir un système de domination. Une fois qu’on le sait, tout redevient possible, on peut tout redéfinir. La liberté est totale ! »

« On devrait tou·te·s s’interroger et redéfinir tout ça. Je n’ai pas l’impression que les définitions qu’on en a rendent les gens heureux. »

Des injustices dans les lieux de justice

Dans son blog, « Aux marches du palais », Elisa Rojas parle notamment des problèmes d’accessibilité et des difficultés qu’elle a rencontrées dans le cadre professionnel. Se retrouver aux marches du palais (de justice) sans pouvoir y accéder, c’est en effet ce qui lui arrive souvent.

« C’est quand même le service public de la justice. Avoir des palais inaccessibles, c’est hautement symbolique. Les personnes handicapées […] subissent constamment des discriminations et des injustices et s’il leur venait l’idée de vouloir être reconnues dans leur droit, elles seraient confrontées d’abord à une injustice supplémentaire. […] Je trouve ça honteux pour un pays comme la France d’avoir des lieux de justice qui ne soient pas entièrement accessibles. »

Handicap et Covid-19

Sur son blog, toujours, Elisa Rojas a publié en mars 2020, une note intitulée « Le confinement : une nouveauté pour vous, une réalité pour nous« , dans laquelle elle explique que le confinement n’est pas une nouveauté pour les personnes handicapées. Le plus souvent, celles-ci ont en effet appris à faire avec l’ensemble des contraintes que les valides ont découvertes avec le début de la crise sanitaire : être limité·e dans ses mouvements, dans ses interactions sociales, être privé·e de la liberté de circuler, avoir à penser, planifier, justifier chaque déplacement, gérer sa frustration…

« Ce qui est effrayant, c’est que, finalement, la situation a aggravé l’isolement des personnes handicapées. Là où les personnes valides sont confinées, les personnes handicapées se retrouvent « surconfinées ». En plus, la crise sanitaire […] a légitimé un discours qui considère que toutes les vies n’ont pas la même valeur. »

« Non seulement on est, pour beaucoup, à haut risque, on sait que si l’on se retrouve à l’hôpital, on sera probablement exclu·e·s de la réanimation et, en plus, rien n’est fait pour nous vacciner dans un délai raisonnable. C’est une maltraitance d’État, on peut le dire. »

Source FRANCE INTER.

 

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