École et handicap : mal considérés, précarisés, des AESH de Haute-Vienne témoignent…

Les Assistants aux élèves handicapés (AESH) ne parviennent pas à trouver leur place au sein de l’Éducation nationale.

Pourtant, plus de 4.000 élèves, dans l’académie de Limoges, relèvent du dispositif de l’école inclusive vantée par le ministère et dont ils sont le pilier.

École et handicap : mal considérés, précarisés, des AESH de Haute-Vienne témoignent

Autisme, déficience physique ou intellectuelle, troubles du comportement… Les AESH sont des professionnels polyvalents, chargés d’assister sur le terrain, dans les classes, les enfants en situation de handicap scolarisés en milieu dit “ordinaire”. Une mission difficile assortie d’un statut précaire…

« On doit protéger les enfants, tant qu’on le peut ».

Lila* (47 ans)

« J’ai commencé il y a onze ans, explique Lila, 47 ans, AESH dans une Ulis (2) à Limoges. J’ai de la chance, je suis désormais à temps complet et je gagne le SMIC. Ce n’est pas le cas de la plupart de mes collègues. Beaucoup ne sont qu’à tiers temps. Nous travaillons dans des classes bruyantes, avec des élèves autistes. Il peut y en avoir jusqu’à quatre dans une classe. Ce sont des enfants qui ont besoin d’énormément de temps et de présence. Il faut leur réexpliquer les consignes, adapter les tâches demandées pour les rendre compréhensibles, travailler sur l’écriture… »

« Il y a cinq ans que je n’ai pas été évaluée sur mon travail »

Lila (AESH dans une Ulis de Limoges)

En dépit de conditions difficiles, Lila dit avoir trouvé du sens dans son travail. « Mon but, c’est de les aider à trouver leur place dans la classe. Les aider à comprendre ce qui se passe autour d’eux, les valoriser devant leurs camarades, les protéger tant qu’on peut. Quand on les voit se faire des copains, on est heureux. Le problème, c’est qu’on est sans cesse sous-estimées. Par exemple, on n’assiste pas aux ESS (suivi de scolarité) qui réunissent pourtant toute l’équipe pédagogique. Dans le second degré, on n’est jamais consultés, jamais convoqués, même les profs sont surpris que l’on ne soit pas davantage associés au suivi de ces enfants alors que nous les assistons au quotidien. »

La formation?? « Rien, ou presque », lâche Lila, dépitée. « J’ai bénéficié de 60 heures lors de ma 3e année en tant qu’AESH, alors que ça faisait déjà 2 ans que je travaillais avec un enfant autiste. Sur ces 60 heures, on peut dire que 20 heures m’ont réellement été utiles. Le reste, on pourrait très bien le trouver nous-mêmes sur un site internet. J’ai demandé une formation spécifique sur la problématique des enfants autistes. Rien. Il y a 5 ans que je n’ai pas été évaluée sur mon travail. »
« Quand on voit un sourire et de la gratitude sur le visage d’un enfant, on se dit qu’on n’est pas là pour rien. Mais avec les années, on s’use. »

Lila décrit un plan de carrière inexistant, un avenir professionnel sans horizon. « J’ai commencé en CDD, j’ai attendu six ans avant d’obtenir enfin un CDI. On n’a aucune perspective de carrière, aucune ouverture vers des concours internes. C’est aussi pour cela que les AESH sont discrets et ne s’expriment pas beaucoup sur leur précarité. On préfère ne pas faire de vagues, on attend, on vit sans cesse dans la peur de perdre notre travail. »

Titulaire d’un diplôme bac + 3, Lila songe aujourd’hui à changer de voie tant qu’il est temps, mais non sans amertume. « Heureusement qu’on a des élèves sympas. Quand on voit un sourire, de la gratitude sur leur visage, on se dit qu’on n’est pas là pour rien. À leur contact on apprend des choses de la vie. Mais avec les années on s’use. Lorsque j’ai débuté j’avais des enfants en bas âge, je pensais que faire ce métier m’apporterait beaucoup à la fois sur le plan familial et professionnel. Maintenant je ne vois plus mon avenir, j’ai l’impression que je suis arrivée au bout du bout. »

Cathy, 65 ans. « Je gagne 640 euros par mois, il y a 10 ans que je demande un temps plein ».

À 65 ans, Cathy se désespère de n’avoir toujours pas les moyens de partir à la retraite.  « Je gagne 640 euros par mois. Je suis en CDI à mi-temps depuis dix ans… et depuis dix ans, je demande un temps plein que je n’ai jamais obtenu alors qu’il y a des enfants qui ont d’énormes besoins », explique cette AESH en poste en Ulis dans la périphérie de Limoges, et contrainte de prendre un 2e emploi pour compléter ses revenus. « J’habite loin, aucun frais de déplacement n’est pris en charge. Mais ce n’est pas le plus grave. Cette année, je n’ai qu’un seul élève, 20 heures par semaine, mais l’an dernier j’avais quatre élèves à la fois. C’est ridicule. On arrive en classe, on ne connaît même pas les programmes et on est censé les aider. Un des élèves n’avait droit qu’à deux heures par semaine alors que ses besoins étaient immenses. Qu’est-ce que vous voulez faire avec deux heures?? Non seulement nous sommes mal payés, mal considérés, mais on ne nous donne même pas les moyens de remplir notre mission. »

Rose, 30 ans : « Quand il y a eu un problème dans la journée, je me demande toujours si c’est de ma faute. »

« Cette année, officiellement je suis chargée de suivre un seul élève. Officieusement, j’en ai quatre. » À 30 ans, Rose affiche le sourire insouciant d’une adolescente. Pourtant, cette jeune mère de famille, AESH depuis un an et demi dans une école primaire au sud de Limoges, vit sous une pression constante. « Je voulais travailler avec des enfants handicapés et c’est le premier emploi que j’ai trouvé. J’ai un CAP petite enfance, ça aide un peu. Mais franchement, je ne m’attendais pas à ça… »

Pour 770 euros par mois, Rose assiste un enfant en classe une vingtaine d’heures par semaine. « 20h10 exactement ! C’est sur le contrat », sourit la jeune femme. Mais dans sa classe, quatre enfants en situation de handicap se côtoient et trois n’ont aucune aide.  « Alors quand ça déraille, je vais voir les autres et je tente de gérer, explique Rose. C’est le seul moyen de préserver une vie de classe acceptable. La maîtresse est fatiguée et moi aussi. Pourtant ça fait à peine deux mois qu’on est rentrés. »

Autisme, troubles du comportement : Rose doit gérer tous les profils que prévoit, sur le papier, la politique d’inclusion du handicap en “milieu scolaire ordinaire” voulue par le ministère de l’Éducation. Comme l’immense majorité de ses collègues, elle n’a quasiment reçu aucune formation.

« Quand il y a eu un problème dans la journée, ça me “bouffe” ma soirée. Je me demande si c’est de ma faute. Quand un enfant n’intègre pas une notion, je me dis : est-ce lui, est-ce moi??  »

Rose, 30 ans (AESH dans une école au sud de Limoges)

« Ce sont des enfants qui ne fonctionnent pas comme nous. Ça ne se passe pas toujours bien. Quand il y a eu un problème dans la journée, ça me “bouffe” ma soirée. Je me demande si c’est de ma faute. Quand il n’intègre pas une notion, je me dis : est-ce lui, est-ce moi?? Et s’il devient violent (parce que parfois ça arrive), comment fait-on?? Doit-on s’écarter au risque qu’il se fasse mal?? Ou le contenir au risque de se mettre nous-mêmes en danger?? »

Rose décrit des conditions de travail parfois épuisantes. « Ça peut paraître un détail, mais on n’a même pas de mobilier adapté. Quand on est dans des petites classes, on s’assoit sur les chaises des enfants, on se bousille le dos et les jambes. Et psychologiquement c’est très dur, on ne peut pas faire longtemps ce métier (si on peut appeler ça un métier) si l’on n’est pas soutenus par des formateurs et une hiérarchie. Or nous n’avons ni formateurs ni vraie hiérarchie. On a l’impression qu’on est juste là pour permettre à l’administration d’être en conformité avec la loi et les effets d’annonce politique. Clairement, ils ne veulent pas mettre de l’argent dans l’école inclusive. Je ne sais pas si les parents se rendent compte de la situation. Ce sont leurs enfants qu’on abandonne?! »

(*) Les prénoms ont été modifiés. (2) Unité localisée pour l’inclusion scolaire

Source LE POPULAIRE.

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