Documentaire. “Ferplay” : quand le handisport offre une nouvelle vie à des victimes d’accidents de la vie…

« Ferplay », un film documentaire de Lucie Mizzi et Marion Dupuis qui évoque trois histoires extraordinaires.

Des jeunes fauchés dans leur vide de valide et qui ont du repartir de zéro.

L’occasion d’évoquer le handicap et le sport sous un angle positif.

Ferplay, un documentaire de Lucie Mizzi et Marion Dupuis / © Tandem Image

ls s’appellent Raphaël, Tojo et Geoffrey. Trois personnes fauchées en pleine ascension vers l’objectif de vie qu’ils s’étaient fixé et qui ont su repartir de zéro. Trois personnes qui se sont découvertes sportifs. Ensemble, nous parlons sans tabou de ce que signifie aujourd’hui « être handicapé » avec tolérance, sans méfiance et pour appréhender le handicap par le biais du handisport.

Ce documentaire veut permettre de mieux appréhender le handisport et, plus globalement, le handicap, en suivant le quotidien de trois personnes, toutes nées valides mais aujourd’hui en situation de handicap. Avec humour, sans gêne ni tabou, ces sportifs ont accepté d’ouvrir les portes de leur intimité. Ils ont raconté leur reconstruction, leurs parcours, leurs envies, mais aussi leurs amours et leurs nouveaux projets de vie. Dans le Loir-et-Cher, à Cour-Cheverny, rencontre avec Raphaël Beaugillet, 28 ans, double champion de France 2017 du kilomètre sur piste et poursuite, en cyclisme en tandem. A Orléans, découvrons l’étoile montante du tennis fauteuil, Geoffrey Jasiak, 24 ans, ainsi qu’avec le club de basket fauteuil d’Orléans, qui mélange personnes en fauteuil et valides, dans lequel Tojo Rajohnson est le capitaine de l’équipe.

Le tandem avec Raphaël Beaugillet en Loir-et-Cher

Raphaël avait tout prévu avant de perdre la vue, il y a huit ans. À 20 ans, il jouait au foot et travaillait dans la maçonnerie. Il venait de passer son CAP puis un Brevet professionnel et bientôt il construirait sa maison de ses propres mains. Une vie toute tracée, tranquille, rythmée entre potes et famille près de sa ville d’origine, Cour-Cheverny.

Durant l’hiver 2009, alors qu’il est en classe un matin, il s’alarme quand il remarque qu’il ne voit quasiment plus d’un oeil, et bien qu’il mette cela sur le compte de la fatigue, il décide de consulter un ophtalmologiste. « Il s’est rendu compte que je ne voyais plus qu’à un 1/10e à l’oeil droit. Et puis le 14 juillet de la même année, j’étais au volant et je me suis rendu compte que je n’y voyais plus rien des deux yeux. » Le diagnostic des médecins est sans appel : il est atteint de la maladie de Leber, une maladie génétique. Pour Raphaël, c’est tout son monde qui s’écroule. Il est obligé d’abandonner sa vie professionnelle et les matchs de foot. Son moral flanche et il perd pied. Il se lance alors à fond dans le cyclisme pour évacuer sa colère accumulée. « J’avais besoin d’extérioriser. J’étais en colère contre tout, les autres et moi-même. Je me demandais « pourquoi moi ? ». Ce qui m’a beaucoup aidé pour le cyclisme, c’est le métier que je faisais avant. Comme ce n’était pas un métier facile, ça forge. Les hivers où il fait très froids, les étés où il fait très chaud… Bon, je dois admettre que c’est aussi dû à mon caractère. »

S’il n’y avait pas le sport, je ne sais pas ce que je ferai, dans le sens où je ne sais pas comment j’occuperai mes journées.

Un an seulement après, il débute avec succès la compétition sous les couleurs de l’ASH de Blois : en juin 2011, il devient champion de France 2e catégorie de cyclisme en tandem. En 2012, il arrache le titre de champion du monde. Depuis, il a décroché cinq fois consécutives le titre national et vise, en 2018, les championnats du monde car il fait partie du Top 10 des coureurs
internationaux.

À aujourd’hui 28 ans, le jeune homme explique voir comme s’il est « constamment dans le brouillard ». Raphaël peut compter sur le soutien indéfectible de sa mère, Martine, et ses amis. « J’habite juste derrière chez elle, mais c’est une coïncidence. Je vois beaucoup mes amis aussi qui m’accompagnent dès que j’en ai besoin. » Car pour aller faire ses courses, tant au supermarché qu’en entraînement, Raphaël doit toujours être conduit.

Pour pratiquer le cyclisme en tandem, Raphaël s’est entouré de deux pilotes, l’un pour la route, l’autre pour la piste, indispensables car comme il le dit lui-même, « les titres se gagnent à deux ». Si l’on félicite les handisportifs, on oublie souvent les personnes qui les accompagnent, avant, pendant et après la course. « Le tandem, c’est comme un couple ! Il faut qu’on soit homogènes, qu’on est le même coup de pédale, la même technique et le tout avec des pilotes non-professionnels, c’est la règle en cyclisme handisport. » Et c’est en effet ce qui complique parfois son parcours sportif. Difficile de trouver des pilotes volontaires, de motiver des amateurs à courir sous la pluie en plein hiver ou à sillonner les routes de France et d’Europe pour décrocher des titres qui ne rapportent pas d’argent.

Car pratiquer le tandem coûte entre 20 000 et 30 000 euros par an selon le nombre de compétitions effectuées. « Rien que le vélo, c’est 7 000 euros à peu près », souligne le cycliste. 13

Tête brûlée, Raphaël ne veut pas résumer sa vie au handicap. « Je suis un peu casse-cou. Je prends ma canne seulement quand je vais sur Paris ou dans les grandes villes pour être vu parce que mon handicap ne se voit pas forcément, si je puis dire ! Même quand je suis dans un endroit inconnu, je vais faire plus attention mais je ne vais pas tâtonner des pieds ou prendre quelqu’un au bras. Quand je la prends, les gens me remarquent et viennent à moi me proposer leur aide. »

Longtemps son futur a été un réel point d’interrogation. « J’ai mal été accompagné et conseillé. On me proposait surtout un travail d’accueil qu’avec une synthèse vocale. Mais être assis sur une chaise toute la journée, pour moi, ce n’est pas possible. » Après un parcours du combattant, il vient d’ouvrir son petit cabinet de masseur bien-être en auto-entrepreneur et aborde la vie plus sereinement.

Le tennis-fauteuil avec Geoffrey Jasiak à Orléans

Avec son bac en poche, Geoffrey décide d’intégrer la fac de Staps (Sciences et techniques des activités physiques et sportives) de La Rochelle. En août 2014, alors qu’il est employé saisonnier comme livreur du côté d’Angoulême, Geoffrey est victime d’un accident de la route. Un portique trop bas vient s’écraser sur la cabine de son petit fourgon, le laissant pour tétraplégique. « J’avais
les vertèbres en morceau, on m’a mis des broches pour me stabiliser, et on les a retirées l’an dernier. » Sur le moment, Geoffrey ne se rend pas compte que son pronostic vital est engagé et qu’il ne pourra surement plus jamais remarcher s’il s’en sort. « Deux mois et demi après mon accident, j’ai réussi à faire quelques mouvements encourageants. Ce n’était rien du tout mais déjà bon signe. Six mois après, j’ai enfin pu m’asseoir dans un fauteuil roulant, et retrouver une forme de mobilité ». Contre toute attente, il passe de la catégorie « tétra » à « para », avec un paralysie incomplète qui handicapera surtout sa jambe droite. « Un peu comme Grand Corps Malade si vous voulez », plaisante-il.

Sur les conseils de son kiné, Geoffrey veut se remettre au sport et fait des essais en basket et tennis fauteuil. « Avant, je faisais du tennis, du foot, de l’athlétisme, et tous les sports que l’on pratiquait en Staps. Alors me retrouver sans rien c’était très difficile pour moi et je voulais faire autre chose que du fauteuil de ville ». Poussé par son kiné, sur l’île de Ré, il rencontre Yann Maître, qui n’est autre que l’ancien entraîneur de l’équipe de France de paratennis.

Il m’a dit que j’avais du potentiel. C’était le premier, et celui qui m’a redonné de l’espoir. Enfin, je voyais que j’avais des possibilités d’évolution, une première depuis l’accident.

Geoffrey doit attendre un an avant de vraiment se lancer corps et âme dans le tennis fauteuil. « Stéphane Goudou, le vice-président de l’Académie de paratennis me proposait quatre entraînements par semaine, avec Fabien Goueffon, et Romain Simmonet à Orléans. » Du beau monde puisqu’il s’agit de l’actuel entraîneur de l’équipe de France de paratennis, mais aussi de tennis tout court à Orléans, ainsi que de son poulain. « J’ai accepté à une condition : que ma petite copine Solène puisse intégrer son master 2 en Staps à Orléans et vienne avec moi. » Depuis, le couple a adopté la ville de Jeanne-d’Arc.

Après l’accident, Solène et Geoffrey ont longuement discuté du nouveau handicap de ce dernier. A l’époque, il ne savait pas s’il pourrait se relever un jour. Aujourd’hui, il marche, « lentement quand même », avec une ou deux cannes, et se sert de son fauteuil pour les jours difficiles. « Je lui avais dit de partir, de continuer sans moi, mais elle a refusé de m’abandonner. Sans elle, c’est sûr que je ne serai pas là aujourd’hui », confesse le jeune tennisman.

Pour se mettre au niveau, Geoffrey enchaîne les heures d’entraînement. « Je ne m’attendais pas à une telle progression, aussi rapide, même si je dois encore améliorer mes déplacements en fauteuil pour gagner en rapidité et couverture du terrain, car je ne vis pas dedans tous les jours contrairement à d’autres sportifs. » En un an, Geoffrey est tout de même devenu 113e mondial en simple et 111e en double sur environ 650 joueurs classés (car tous ne le sont pas). Il a réussi à se hisser en deuxième série, atteignant presque les meilleures places françaises.

A 24 ans, Geoffrey peut aujourd’hui se déplacer seul, à pied ou à bord sa voiture adaptée munie de commandes au volant. Mais son combat quotidien reste la planification. « La gestion du temps, c’est le plus difficile. Pour en gagner, je dois prévoir mes journées, savoir si je serais longtemps hors de chez moi ou non, si j’ai besoin de mon fauteuil ou pas, etc. Prévoir et anticiper me permettent de me ménager. »

Après sa licence de Staps, qu’il a réussi à valider dans l’année qui a suivi l’accident, Geoffrey a passé un diplôme universitaire de préparateur physique. « Je ne suis pas entraîneur mais j’accompagne les sportifs en développant leurs qualités physiques, leur endurance, leur force ». Fraîchement lancé dans le monde du travail, il cherche aujourd’hui un contrat à mi-temps pour lui permettre de poursuivre ses entraînements intensifs.

Le basket-fauteuil avec Tojo Rajohnson à Orléans

Pour Tojo, raconter son accident, c’est presque raconter une vieille histoire qu’on aurait oublié depuis quelques années. Cela fait 17 ans que le doyen de nos protagonistes, âgé de 37 ans, vit avec sa paraplégie et a su l’apprivoiser. « On met au moins quatre ans à vivre pleinement son nouvel handicap. Même si aujourd’hui je n’y pense presque plus en réalité », déclare-t-il. Alors jeune étudiant en droit à Orléans tout droit débarqué de Madagascar, Tojo subit un accident de la route qui lui brise les vertèbres D11 et D12. « J’ai été rapatrié à la Réunion parce qu’à Madagascar, tu ne peux pas te faire soigner. » Contrairement à d’autres paraplégiques qui mettent presque un an à sortir de rééducation, Tojo a vite été « remis sur pieds », comme il le dit.

Pour rebondir, Tojo s’est directement retourné vers le sport qu’il pratique depuis son plus jeune âge : le basket. « Une des premières choses qui m’a inquiété à l’hôpital était de savoir comment (et pas si) je pourrais rejouer au basket. Déjà à l’hôpital, je rejouais ! » Il faut dire que le basket est la grande passion de Tojo qui avait un niveau plus qu’honorable étant jeune. « J’étais en sélection nationale quand je jouais en cadet et junior », lance-t-il fièrement.

Après trois mois de convalescence, Tojo rentre en France pour terminer sa rééducation et  retrouver Gaëlle, sa copine de l’époque. Loin de sa famille, c’est elle qui l’aide à rattraper son retard en cours et à s’adapter à sa nouvelle vie. « Je lui dois beaucoup, d’ailleurs c’est aussi pour ça que je l’ai épousée ! »

Après sa licence de droit en poche, Tojo n’arrive pas réellement à trouver sa vocation. « J’ai fait divers boulots, mais j’ai finalement trouvé celui que je voulais exercer. Depuis quatre ans, je suis donc instituteur et travaille à l’école publique de Châteauneuf-sur-Loire (à une trentaine de minutes d’Orléans), avec une classe de CE2-CM1. » Il l’avoue, ses débuts n’ont pas été simples. « Alors moi je les cumule : je suis étranger, handicapé, et en plus j’étais sans expérience ! Au départ, l’éducation nationale, le directeur et les parents d’élèves avaient quelques réticences. Ils se demandaient si j’allais avoir besoin d’un aménagement, s’il faudrait faire des changements… Si je n’allais pas les emmerder en somme. Mais depuis, tout se passe très bien ».

Chaque année, à la rentrée scolaire, il prend le temps de répondre aux questions des enfants, d’ordre bien plus pratique, telles que savoir comment il se déplace de son fauteuil à sa voiture ou à son lit. Avec les années, il s’est rendu compte que les enfants s’adaptent beaucoup plus vite que les adultes, et passent rapidement à autre chose sans l’appréhension des grandes personnes. « Ce
qui est super avec ce métier, c’est que je leur inculque une vision de la différence car ils prennent exemple sur leur professeur, ils se nourrissent de toi et donc tu deviens en quelque sorte leur modèle d’éducation ».

Depuis plusieurs années, Tojo pratique le basket avec l’équipe de Basket handi d’Orléans dont il est le capitaine. Ils étaient même montés en Nationale 1, mais sont redescendus en N2 la saison dernière. Ce club de basket fauteuil a la particularité de compter des valides au sein de l’équipe. Sur la dizaine de joueurs, trois le sont. Tous ensemble, ils s’entraînent une à deux fois par
semaine et partent en compétition du sud de la région Centre jusqu’à la frontière belge. « Le fauteuil n’est qu’une petite partie du handicap. Les gens se demandent comment on va aux toilettes, au lit, mais pour les paraplégiques, qui ont une santé plus fragile que les valides, le moindre petit pépin de santé nous ramène vite à réfléchir. »

Et le sport permet de s’entretenir, mais de tenir aussi.

Ce qui a renforcé le moral d’acier de Tojo, toujours jovial, c’est la naissance de son fils Mahéry, aujourd’hui âgé de quatre ans. « Chez les para, même si les nerfs sont touchés assez haut, par exemple au niveau du tronc, on se rend compte que les fonctions érectiles sont souvent préservées. Et donc, oui, nous pouvons faire l’amour et avoir des enfants », aborde-t-il sans tabou. A la venue de cette toute petite chose, Tojo s’est posé des questions. « Je me demandais comment j’allais pouvoir promener mon fils en poussette alors que je suis en fauteuil, comment j’allais faire pour le prendre dans mes bras ou le changer. Mais on ne renonce à rien, on s’adapte simplement sur tous les gestes quotidiens. Par exemple, j’ai trouvé une meilleur astuce pour l’attacher contre moi et qu’il ne bascule pas ». De sa paternité presque « normale », Tojo garde quelques frustrations concernant l’eau. « Il y a très peu de piscines adaptées pour les personnes en fauteuil et quand je vais me baigner avec lui, je ne peux pas le tenir et donc je risque de le couler. A la mer, c’est le même problème puisque le fauteuil ne peut pas aller jusque dans le sable. »

► « Ferplay », un documentaire de 52 minutes réalisé par Lucie Mizzi et Marion Dupuis, produit par Tandem Image et TV Tours. Première diffusion en 2019.

Source FR3.

Pour marque-pages : Permaliens.