«Des situations rocambolesques» : des travailleurs sourds et malentendants racontent leur quotidien avec le masque…!

Obligatoire dans les lieux collectifs clos depuis le 1er septembre, le port du masque représente une difficulté supplémentaire pour les travailleurs sourds et malentendants.

À paris, le masque est obligatoire en extérieur comme dans les bureaux.

«J’ai été prise de court.» Nathalie*, sourde de naissance, redoute son retour dans son entreprise depuis que le gouvernement a annoncé pendant ses congés que le port du masque était rendu obligatoire dans les locaux fermés à partir du 1er septembre. Une mesure mise en place par son employeur dès le 24 août.

Cela fait en effet une semaine que le gouvernement a publié le nouveau protocole sanitaire qui établit les différentes règles à suivre en entreprise. Concrètement, tous les employés se trouvent dans l’obligation de porter un masque lorsqu’ils se déplacent dans l’enceinte des locaux de l’entreprise, mais aussi lorsqu’ils sont installés à leur bureau. Une situation inédite, génératrice d’inconfort pour tous les salariés, mais qui constitue surtout un véritable rempart à la communication pour les travailleurs sourds et malentendants. «Avant, mes collègues baissaient les masques, en réunion également, avec plus ou moins la distanciation respectée (…) Je me demande comment je vais faire pour les réunions… Mais s’il est impossible de lire sur les lèvres, la question ne se posera plus», poursuit Nathalie, fataliste.

Son entreprise travaille à corriger cette problématique avec des masques transparents, mais cette alternative aux masques grand public montre certaines limites. «J’ai appris que ma manager avait pris contact avec le médecin du travail (…) ; elles ont passé une commande de deux masques transparents pour tester. Étant encore en congés, ma manager a envoyé une vidéo de test. Test peu concluant à cause des reflets, mais pour donner un vrai avis, il faudra attendre que je sois sur site !» Un résultat en demi-teinte, donc, qui a révélé une autre contrainte, selon Nathalie. «Ce qui m’inquiète le plus, c’est que ma manager a trouvé les masques très inconfortables à porter et qu’elle ne se voit pas les porter plus de 30 min.»

Dans l’entreprise d’Antoine*, sourd de naissance, la question des masques a été anticipée dès le début du mois de juin. Contacté par Le Figaro, ce cadre explique que son entreprise a commandé un lot de masques transparents pour ses salariés mais que la commande n’a toujours pas été livrée. «Le besoin en masques transparents a été anticipé très tôt en juin, de façon remarquable, mais le fait que ce soit nouveau fait que la commande tarde à arriver. C’est frustrant également pour mes collègues qui ont souhaité que je commande des masques transparents de mon côté pour aller plus vite, sauf que nous nous heurtons aux mêmes problèmes de délai que les commandes en grandes quantités…»

Bien qu’il n’ait pas encore essayé ces masques, Antoine redoute également des problèmes de reflets et de confort pour ses collègues. «On manque encore de recul sur l’efficacité des masques transparents par rapport à la buée, les reflets et le confort pour la personne entendante qui le porte et pour laquelle nous pouvons avoir de l’empathie !».

Les entreprises cherchent des alternatives

Pour pallier l’absence de masques transparents et anticiper de potentielles gênes quant à leur future utilisation (buée, confort…), les entreprises explorent d’autres pistes en attendant de réelles solutions.

L’employeur de Chloé*, n’a pas eu à trop réfléchir à la question. Cette cadre dans une grande entreprise, sourde de naissance, a opté pour le télétravail à plein temps. «Depuis le début du confinement je télétravaille, bien équipée, avec des aménagements en visio-interprétation, vélotypie ou bien par lecture labiale en face-à-face virtuel. J’anime des réunions, des webinars, des brainstormings sans de trop grandes difficultés.» De cette expérience, elle retire un enseignement contre-intuitif : «L’avantage du télétravail, c’est que personne ne porte un masque, ce qui rend presque intacte la communication non verbale.»

Même solution pour Antoine, qui a été autorisé par son entreprise à rester davantage en télétravail. «Mes collègues sont à l’écoute et me laissent l’opportunité de continuer à pleinement télétravailler tant que la situation des masques transparents n’est pas réglée.» Pour les réunions de travail, il faut donc s’organiser, puisque ses collègues sont obligés d’être seuls dans une pièce pour pouvoir retirer leur masque et ainsi permettre à Antoine de suivre la conversation. «Cela peut amener à des situations rocambolesques, comme obliger mes collègues sur site à faire la réunion chacun de leur côté dans une pièce close afin qu’ils puissent enlever leur masque !» plaisante-t-il.

Mais sur le long terme, le télétravail n’est pas la solution idéale non plus. «C’est tout de même un peu frustrant de ne pas être sur place dans les moments informels qui participent aussi à la vie d’entreprise, surtout avec de nouveaux collègues.» confie Antoine. Un sentiment partagé par Chloé, qui se trouve un peu isolée de ses collègues : «le lien social fait défaut si l’on ne pense pas à me contacter, un peu comme se croiser dans le couloir et discuter.»

Les indépendants aussi…

Marie* est chirurgien-dentiste pédiatrique, sourde de naissance, appareillée et implantée. La lecture labiale lui est habituellement d’une grande utilité au quotidien car son audition seule ne lui permet pas de différencier tous les sons, ce qui peut engendrer des confusions et de la fatigue.

«Actuellement, à cause de la pandémie, les accompagnants de mes patients portent le masque au cabinet tandis que les enfants que je soigne ne le portent évidemment pas. Au début d’une consultation, je prends toujours le temps de discuter avec les parents/accompagnants et leur enfant, je n’ai donc «que» mon audition imparfaite pour comprendre ce qu’ils me disent. Je fais donc répéter presque toutes les phrases, surtout en fin de journée et de semaine, où l’accumulation de fatigue empire la situation», explique-t-elle.

Pour Marie, le port du masque ne provoque pas seulement des problèmes de communication. Ne pas pouvoir observer le visage des parents peut la priver de nombreuses informations médicales. «Le type de visage des parents peut m’orienter vers un type de croissance du visage qu’aura l’enfant, et ses incidences (besoin d’un appareillage orthodontique interceptif par exemple)».

Pour y remédier, Marie ne compte pas fournir des masques transparents à ses patients, car le coût engendré serait trop élevé. Elle ne songe pas non plus à leur demander de s’en procurer, car ces masques sont chers et ne se trouvent pas partout.

Elle envisage plutôt d’installer une vitre à son bureau pour pouvoir demander à ses patients de retirer leur masque en toute sécurité. «Une vitre en plexiglas sera installée à mon bureau afin que je puisse demander à mes patients de quitter leur masque. Je réfléchis encore à d’autres aménagements « covid-responsables ». Je vais également diminuer mes heures de travail de 3 heures environ pour garder de l’énergie», conclut-elle.

Si la vitre en plexiglas est une solution qui correspond bien à l’activité à petite échelle de Marie, elle ne convient pas aux grosses structures dans lesquelles évoluent Nathalie, Antoine et Chloé. Nathalie estime qu’il faudrait des dérogations pour que les interlocuteurs des personnes sourdes puissent retirer leur masque, tout en respectant la distanciation sociale. «On fait des exceptions pour les chanteurs d’opéra mais pas pour les personnes sourdes. Or je suis sûre que nous sommes plus nombreux !» plaisante-t-elle.

*Les prénoms ont été modifiés

Source LE FIGARO.

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