Covid-19 : quelles sont les preuves scientifiques en faveur d’une troisième dose de vaccin ?…

On sait que l’immunité acquise après la vaccination contre le Covid-19 tend à diminuer au fil du temps. Un rappel vaccinal semble à même de contrer ce phénomène, comme le montrent de nombreux travaux scientifiques.

On fait le point.
Covid-19 : quelles sont les preuves scientifiques en faveur d’une troisième dose de vaccin ?

Confrontés à une augmentation alarmante du nombre d’infections par le variant delta du coronavirus SARS-CoV-2 causant le Covid-19, plusieurs gouvernements européens, dont les gouvernements français et belge, recommandent à présent à tous les adultes une dose de rappel pour la vaccination contre le Covid-19. De son côté, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) voudrait plutôt que ce rappel soit limité aux individus à risque, afin de réserver le plus de doses de vaccins possibles pour les pays ne disposant pas encore d’une couverture vaccinale d’au moins 70 %. Cette troisième dose est-elle justifiée ? Comment l’expliquer ? Aidera-t-elle l’Europe à faire face aux nouveaux variants du SARS-CoV-2 ?

L’érosion de l’immunité vaccinale

Israël a lancé sa campagne de vaccination contre le Covid-19 dès le 20 décembre 2020. Elle a été le premier pays à vacciner complètement près de 80 % de sa population de plus de 12 ans. Cette vaccination de masse s’est traduite dès février 2021 par une réduction considérable du nombre de cas d’infection et d’hospitalisations. Cependant, une forte hausse du nombre d’infections symptomatiques par le variant delta du SARS-CoV-2 a été observée durant l’été 2021.

Une étude évaluant la protection conférée par une double dose du vaccin BNT162b2 de Pfizer/BioNtech en Israël a documenté une chute importante du taux d’anticorps neutralisants, dont la présence a été clairement corrélée à la protection contre une réinfection par le SARS-CoV-2. La chute est plus importante chez les hommes, les individus de plus de 65 ans et ceux souffrant d’immunodépression.

Aux États-Unis, des travaux similaires ont comparé, sur 6 mois, l’efficacité des vaccins BNT162b2, mRNA-1273 (Moderna) et JNJ-78436735 (Janssen) chez plus de 780 225 individus vaccinés. Les résultats indiquent une diminution progressive de la protection conférée par tous les vaccins, tant contre les infections qu’en matière de mortalité. En 6 mois, la protection contre l’infection a en moyenne chuté de 87,9 % à 48,1 %. La diminution de la protection contre la mortalité est heureusement moindre : après 6 mois, elle reste de 73 %-84 % pour les moins de 65 ans et de 52-75 % pour les plus de 65 ans.

En Belgique, un rapport de l’institut de santé publique Sciensano, institution scientifique placée sous l’autorité du ministre fédéral de la Santé publique et du ministre de l’Agriculture, pointe également une chute de la protection conférée par les vaccins. Publié le 26 novembre, il indique que si, au mois de juillet 2021, les individus ayant reçu deux doses de vaccin étaient protégés à hauteur de 80 à 90 %, cette protection a chuté pour atteindre, fin octobre, 52 % chez les 18-64 ans et à peine 13 % chez les plus de 65 ans. Ce recul est documenté pour tous les vaccins et tous les âges.

Covid-19 : quelles sont les preuves scientifiques en faveur d’une troisième dose de vaccin ?

Nombre d’individus infectés par jour (gauche) et de décès par jour (droite) en Allemagne, Belgique, France et Pays-Bas. (Source : graphique extrait de worldometers.info/coronavirus, les données de vaccination proviennent de ourworldindata.org/covid-vaccinations, au 3 décembre 2021) 

Pour quelles raisons les vaccins sont-ils devenus moins efficaces ?

Plusieurs explications, non exclusives, permettent de comprendre la baisse progressive d’efficacité des vaccins contre le Covid-19.

La première fait appel à ce que nous connaissons du fonctionnement du système immunitaire. Il faut savoir que le développement d’une mémoire immunitaire protectrice de longue durée est un mécanisme complexe, qui implique plusieurs populations cellulaires ainsi que la formation de structures tissulaires spécifiques comme les centres germinatifs. Ce processus prend du temps et il est en partie dépendant de la présence d’éléments appartenant à l’agent infectieux, dont la détection déclenche une réponse immunitaire de notre organisme (on appelle ces éléments étrangers des « antigènes »).

La technologie vaccinale qui s’est imposée en raison de sa rapidité de mise en œuvre et de son efficacité face aux infections virales a été celle des vaccins ARN. Ceux-ci contiennent des particules constituées d’une membrane lipidique protectrice enveloppant un morceau d’ARN messager (ARNm) qui permet de fabriquer la protéine Spike du coronavirus SARS-CoV-2. Après l’injection intramusculaire de ce type de vaccin, l’ARNm est principalement capturé par des cellules immunitaires spécialisées, les cellules dendritiques. Celles-ci fabriquent alors brièvement la protéine Spike et la présentent à d’autres cellules immunitaires, les lymphocytes, qui vont alors produire des anticorps neutralisants.

En raison de la brièveté de la production de la protéine Spike par nos cellules, une injection de rappel est indispensable pour permettre l’amplification des lymphocytes spécifiques du virus et la formation d’une population de mémoire. Plusieurs études ont démontré que l’intervalle entre les deux injections de vaccin est un facteur clé dans l’établissement d’une mémoire de longue durée. Un mois est une durée minimum. Si elle peut parfois être suffisante, en général une durée plus longue, de 4 à 6 mois, semble préférable. En raison de l’urgence sanitaire, la durée de 1 mois entre les deux injections a cependant été sélectionnée, car ce protocole garantissait le développement rapide d’une protection face au Covid-19.

La seconde explication à la baisse d’efficacité des vaccins est l’apparition régulière de variants du SARS-CoV-2 accumulant un nombre de plus en plus élevé de mutations sur la protéine Spike. Plus ces variants diffèrent de la souche originelle du virus et moins ils sont reconnus par le système immunitaire, en particulier par les anticorps neutralisants. Ce phénomène a été observé pour plusieurs variants dont le variant Bêta.

Enfin, il faut souligner qu’à partir de 65 ans, la capacité du système immunitaire à maintenir une mémoire immunitaire protectrice contre un agent infectieux décline de manière significative. Il était donc prévisible dès le départ qu’une dose de rappel serait nécessaire pour les plus de 65 ans, catégories d’âge concernées au premier chef par le risque de développer des formes sévères de Covid-19.

Les preuves scientifiques en faveur d’une troisième dose de vaccin

En juillet 2021, les responsables israéliens ont décidé de lancer une campagne massive de vaccination de rappel avec le vaccin à ARNm BNT162b2 de Pfizer/BioNtech, bien que ne disposant pas d’information sur l’efficacité de cette approche. Cette décision a fait de ce pays un véritable « laboratoire » de la vaccination. Avec le recul, que nous apprend la situation d’Israël ? Trois études réalisées sur la population israélienne ont documenté l’effet sur le terrain de ce rappel.

La première étude, publiée le 29 octobre 2021, compare la protection entre des individus vaccinés avec deux doses depuis au moins 5 mois ayant reçu ou non une dose de rappel. Chacun des deux groupes comprend 728 321 individus. On observe que les individus ayant reçu une dose de rappel depuis au moins 7 jours montrent une forte augmentation de la protection, atteignant 93, 92 et 81 % respectivement contre l’infection, l’hospitalisation et la mort.

La seconde étude, publiée le 28 novembre, compare les individus de 60 ans vaccinés avec deux doses depuis 5 mois et ayant ou non reçu une dose de rappel et montre une réduction d’un facteur 11,3 du taux d’infection chez le groupe ayant reçu un rappel depuis 12 jours. Le taux de forme sévère est également réduit de 19.5 fois. Enfin, une troisième étude publiée le 30 novembre confirme ces bons résultats.

La comparaison des données de santé publique de la Belgique, au 24 novembre, et de son voisin les Pays-Bas est édifiante. En Belgique, le taux d’infection croît pour tous les âges, sauf pour les plus de 85 ans dont 65 % ont reçu une dose de rappel. Aux Pays-Bas, où cette dernière classe d’âge n’a pas encore reçu de rappel, le taux d’infection de ses membres monte en flèche.

Ces résultats s’expliquent en partie par le fait que la qualité de la réponse immunitaire évolue au cours du temps, grâce au phénomène dit de maturation de l’affinité des anticorps.

Covid-19 : quelles sont les preuves scientifiques en faveur d’une troisième dose de vaccin ?

Des anticorps qui gagnent en efficacité

Après avoir été stimulés par un antigène (lors d’une infection naturelle ou d’une vaccination comprenant deux doses de vaccin), les lymphocytes B producteurs d’anticorps se divisent rapidement. Ce faisant, ils vont accumuler des mutations. Ces mutations concernent les régions de la molécule d’anticorps impliquées dans la liaison à l’antigène (en l’occurrence, la protéine Spike du coronavirus). Les lymphocytes ayant accumulé les mutations les plus favorables (fabriquant donc les anticorps potentiellement plus efficaces) sont alors sélectionnés.

Ce processus nécessite 3 à 6 mois, comme le démontrent des études réalisées chez des patients infectés par le SARS-CoV-2 ou après vaccination. Une troisième dose administrée 6 mois post-vaccination permet donc très probablement de restimuler et d’amplifier encore ces lymphocytes mieux adaptés à l’agent infectieux.

Dans d’autres contextes vaccinaux, plusieurs vaccins sous-unitaires composés de protéines utilisés en médecine humaine nécessitent trois injections pour conférer une protection de longue durée. C’est par exemple le cas du vaccin Engerix B contre le virus de l’hépatite B, ou des vaccins Gardasil et Cervarix, contre le papillomavirus humain.

Un rappel à effectuer régulièrement ?

La nécessité d’une troisième dose dans le cas des vaccins contre le Covid-19 ne représente donc pas une rupture méthodologique, et n’est pas le signe que les vaccins à ARNm seraient moins efficaces que les vaccins sous-unitaires protéiques utilisés plus traditionnellement.

Cependant, les données disponibles pour l’instant ne permettent cependant pas de garantir que la protection conférée par une dose de rappel sera de longue durée. On peut seulement l’espérer, sur base de nos connaissances générales en vaccinologie.

Certes, les vaccins sous-unitaires protéiques contre le virus de l’hépatite B et le papillomavirus humain offrent des protections de plus de dix ans après trois doses. Mais ces deux virus sont des virus à ADN double brin, dont le génome évolue beaucoup moins vite qu’un virus à ARN simple brin comme le SARS-CoV-2. On ne peut donc faire de prédictions raisonnables sur ce point.

De la nécessité de penser à court et à long terme

On peut se demander s’il est pertinent d’effectuer une dose de rappel avec un vaccin dirigé contre la souche originelle du virus, alors qu’émergent de nouveaux variants, comme le variant B1.1.529 – Omicron (dont le nombre élevé de mutations dans la protéine Spike laisse craindre qu’il puisse échapper en partie aux vaccins actuels). La réponse semble actuellement pencher en faveur du « oui ».

Développer, produire et valider un vaccin adapté à un nouveau variant prendrait plusieurs mois, car ce nouveau vaccin devrait a minima démontrer non seulement sa capacité à induire une réponse immunitaire, mais aussi à le faire de façon sûre, lors de tests de phase clinique 1 et 2. Or, aujourd’hui, ce sont des patients infectés par le variant Delta qui menacent de saturer les hôpitaux européens. Puisque les données disponibles démontrent clairement l’efficacité d’un rappel avec le vaccin BNT162b2 de Pfizer/BioNtech contre Delta, il ne serait pas raisonnable d’attendre un vaccin spécifique d’un nouveau variant pour réaliser un rappel vaccinal.

Les gouvernements doivent cependant prendre conscience qu’une stratégie uniquement basée sur les vaccins sera insuffisante à long terme. En effet, on ne pourra empêcher complètement la circulation du SARS-CoV-2 et donc l’apparition de nouveaux variants grâce à la vaccination, et on ne peut exclure que certains d’entre eux soient un jour capables d’échapper aux vaccins. De plus, de nombreux individus immunodéprimés, en raison, par exemple, d’une infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), d’une déficience génétique, d’un traitement ou d’une greffe, ne seront jamais pleinement protégés par les vaccins.

Il est donc indispensable de réaliser des investissements structurels afin de faire face à l’inévitable endémicité du SARS-CoV-2 ainsi qu’aux futures épidémies. On peut, par exemple, réduire mécaniquement la dissémination des virus respiratoires, notamment en améliorant l’aération des lieux publics. Enfin, il est bien évidemment nécessaire de refinancer les services de santé afin d’augmenter leurs capacités de réaction.

La version originale de cet article a été publiée dans The Conversation.

Par Éric MURAILLE, Biologiste, Immunologiste. Maître de recherches au FNRS, Université Libre de Bruxelles (ULB), et Oberdan LEO, Professeur d’immunologie, Université Libre de Bruxelles (ULB)

Source OUEST FRANCE.

 

 

 

 

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