Covid-19 : les promesses d’un corticoïde dans les cas graves…

Les responsables de l’essai britannique Recovery assurent avoir obtenu de très bons résultats, mais sans publier leurs données.

 

La dexaméthasone, le corticoïde de l’essai Recovery qui semble donner des résultats prometteurs.

«C’est une avancée majeure», promettent les promoteurs de l’essai britannique Recovery. «En tant que médecin, j’aime bien avoir des résultats publiés…», nuance immédiatement auprès du Figaro le Pr Yves Le Tulzo, chef du service de médecine intensive et réanimation au CHU de Rennes. Après tant d’autres, les très sérieux chercheurs de l’université d’Oxford usent donc, à leur tour, d’une recette qui n’a que trop servi depuis le début de l’épidémie de Covid-19: des annonces tonitruantes, mais partielles, et la promesse de la publication prochaine des données complètes dans une revue référencée à comité de lecture.

Commençons par les résultats dévoilés mardi. «La dexaméthasone est le premier médicament dont on observe qu’il améliore la survie en cas de Covid-19», annonce un communiqué. Quelque 2104 patients hospitalisés ont reçu pendant dix jours une faible dose (6 mg) de ce corticoïde. Leur devenir a ensuite été comparé à celui de 4 321 patients recevant les soins habituels. La molécule aurait réduit la mortalité d’un tiers chez les patients intubés et d’un cinquième chez ceux simplement placés sous oxygénothérapie. «Selon ces résultats, un décès est évité tous les 8 patients ventilés traités, et 1 tous les 25 patients sous oxygène traités.» Une bonne nouvelle, semble-t-il, qui plus est avec un médicament peu cher et disponible.

De nombreuses questions restent cependant en suspens. D’abord, la mortalité dans le groupe témoin est très élevée: 41 % chez les patients intubés, 25 % chez ceux sous oxygène. «Dans quelles structures ont-ils été ventilés, et l’ont-ils été dans les mêmes que le groupe traité? s’interroge Yves Le Tulzo. Avant de conclure, il faudra bien vérifier que les patients étaient comparables en termes de gravité et de soins reçus…» L’efficacité d’un médicament est plus «visible» lorsque la mortalité de base est importante, et «dans la plupart des essais positifs, il y a une mortalité globale très élevée par rapport à ce que les cliniciens connaissent dans leur service», note le Pr François Stephan, du service de réanimation adulte à l’hôpital Marie-Lannelongue (groupe Paris-Saint-Joseph).

Gare à l’automédication

Le concept reste néanmoins «intéressant», juge le Pr Stephan, qui a lui-même lancé une étude avec ce même médicament (actuellement au point mort faute d’un nombre de malades suffisant, l’épidémie régressant). «Les corticoïdes ont deux types de propriétés, explique le Pr Nicolas Picard, pharmacologue à l’université de Limoges. D’une part, ce sont des anti-inflammatoires» ; c’est l’effet recherché dans ce contexte, les malades graves souffrant d’une inflammation des poumons très importante. «Par ailleurs, à forte dose ils sont immunosuppresseurs.» Un risque lorsque le patient a encore une charge virale forte, mais pas aux très faibles doses utilisées dans l’essai Recovery, juge le pharmacologue.

L’utilisation de corticoïdes dans les syndromes de détresse respiratoire aiguë (SDRA) n’est pas nouvelle. Dans un avis du 23 mars, le Haut Conseil à la santé publique évoquait la possibilité d’une «corticothérapie par méthylprednisolone ou dexaméthasone à discuter au cas par cas» chez les patients Covid-19 avec «aggravation secondaire et absence d’excrétion virale». «Cela fait plus de 40 ans qu’on essaye de moduler la réponse inflammatoire grâce aux corticoïdes dans les SDRA», indique le Pr Stephan. Depuis, les études se suivent et sont… peu concluantes ; certaines ont même observé une hausse de la mortalité. Un article récemment publié dans le Lancet Respiratory Medicine sur une étude menée en Espagne auprès de 277 patients souffrant de SDRA (dont 139 traités avec de la dexamethasone) retrouvait une baisse de la mortalité (-15,3 %) et une diminution du nombre de jours sous respirateur (-4,8 jours) dans le groupe traité, à des doses plus fortes que dans l’essai Recovery. L’étude souffrait cependant de plusieurs faiblesses et n’appelait pas à «un changement des pratiques cliniques de routine», estimaient les auteurs d’un éditorial accompagnant la publication.

Conclusion du Pr Yves Le Tulzo: «Il y a peut-être pour la dexamethasone une fenêtre de tir pour certains patients, quand la charge virale est basse et que l’inflammation persiste.» Il faudra attendre la publication des résultats détaillés pour en juger vraiment. En attendant, une certitude: gare à l’automédication avec ces molécules très faciles d’accès. Il n’y a aucune raison d’en espérer une efficacité en prévention ou au décours d’une infection non grave ; et leurs propriétés immunosuppressives risquent même d’en faire les pires ennemis des patients, en empêchant leur organisme de combattre la croissance du virus…

Source LE FIGARO.

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