Coronavirus : Peut-on gérer une crise sanitaire sans objectifs chiffrés ?…

Emmanuel Macron et le gouvernement ne donnent plus d’objectifs chiffrés après l’annonce de nouvelles mesures, ce qui n’est pas sans poser problème.

Coronavirus : Peut-on gérer une crise sanitaire sans objectifs chiffrés ?

 

  • Depuis les 5.000 cas par jour et les 3.000 personnes en réanimations, caps fixés lors du second confinement, plus aucun objectif chiffré concernant la pandémie de coronavirus n’est donné par le gouvernement.
  • Mardi, Emmanuel Macron a ajouté du flou autour des indicateurs sanitaires en révélant que la réouverture des écoles serait décidée indépendamment des chiffres de l’épidémie.
  • Cette navigation à vue est-elle dangereuse ?

Emmanuel Macron déclarait au Parisien : « Je n’ai pas conditionné la réouverture des maternelles et des écoles, puis des collèges et des lycées, à des indicateurs sanitaires. » Lors de l’annonce du troisième confinement la semaine dernière, déjà, le chef de l’Etat n’avait donné aucun objectif chiffré à atteindre pour lever les mesures de restrictions contre le coronavirus. Et ce contrairement au deuxième confinement, entre octobre et décembre 2020, où les limites de 5.000 cas par jour et de 3.000 personnes en réanimation avaient été données par le président.

Un objectif qui n’avait d’ailleurs pas été atteint. Certes, la France était repassée sous la barre des 3.000 patients en réanimation, mais elle ne s’était pas approchée des 5.000 cas par jour. Le deuxième confinement avait cependant été levé le 15 décembre, probablement pour « sauver » Noël et l’économie des achats de cadeaux, alors que la France tournait à environ 10.000 cas par jour.

La vaccination comme exception

Depuis cet échec, des objectifs chiffrés, il n’y en a plus. Les niveaux d’incidence (et les niveaux d’alerte correspondant) n’entraînent pas de mesure automatique. Aucun chiffre n’est requis pour prendre ou revenir sur une décision. La mortalité ou la saturation des hôpitaux ne sont commentées qu’en termes de hausse ou de baisse, jamais comme des paliers à ne pas dépasser. Seule la vaccination garde des objectifs fixes et indiqués : 10 millions de personnes vaccinées à la mi-avril, 20 millions à la mi-mai, et 30 millions fin juin. Cette politique sanitaire, sans limites précises, peut-elle au final être efficace ?

« Nous avons besoin d’objectifs car les mesures sont graduelles, elles doivent donc être utilisées dans des situations précises. C’est important de définir ces situations de manière claire et objectivable – avec des chiffres donc –, et les mesures correspondantes », plaide Hélène Rossinot, médecin spécialiste de la Santé Publique. Fixer la sortie du confinement à tel résultat, la réouverture des lieux non-essentiel à tel autre, c’est justifier pourquoi on prend telle ou telle décision. Difficile actuellement de savoir si une mesure fonctionne ou pas, tant on ne lui donne aucun but clairement identifiable, à part le très flou « diminuer la circulation du virus ».

De quoi faire bondir le chercheur en épidémiologie Michaël Rochoy : « On navigue à vue. On ne sait pas ce qui justifie telle action, pourquoi la fermeture des écoles a été décidée la semaine dernière et pas avant, ni ce qu’il faudra présenter comme bilan pour sortir du troisième confinement. »

Cap ou pas cap ?

C’est peut-être l’un des principaux effets de l’absence d’objectifs chiffrés dans la stratégie gouvernementale : l’absence de visibilité. Exemple avec l’interminable couvre-feu instauré dans le pays depuis des mois, et dont personne ne peut dire ce qui permettra de le lever. Michaël Rochoy : « Sans objectif à atteindre, on ne sait pas où l’on va ni quand ça s’arrête, et il y a ce sentiment d’un jour sans fin. Un objectif, c’est aussi une ligne d’arrivée. » Hélène Rossinot s’interroge elle sur l’adhésion de la population : « Sans objectif, il y a moins de motivation et moins de compréhension des mesures. »

Certains chiffres méritent certes d’être questionnés. « On peut remettre en question l’incidence ou le nombre de cas par jour, fixer des objectifs en termes de mortalité ou de réanimation, cela peut s’entendre, reprend Michaël Rochoy. Mais on ne peut pas composer sans indicateurs sanitaires ». D’autant que la France dispose de nombreux outils en la matière. Et le chercheur en épidémiologie de s’interroger : « A quoi sert de tester autant de personnes pour ne pas s’en servir ensuite comme point de référence ? »

S’émanciper du sanitaire

Cette navigation à vue semble faire écho à une séparation de plus en plus marquée entre Emmanuel Macron et la communauté scientifique. Tacles envers le Conseil scientifique, critiques contre les soignants, rappel que tout ne peut être dicté par le sanitaire… Michaël Rochoy ironise : « On sent une volonté de s’émanciper de la science, mais composer sans les données sanitaires dans une crise… sanitaire n’est peut-être pas l’idée du siècle. »

Hélène Rossinot rappelle : « Bien sûr qu’il y a d’autres facteurs à prendre en compte, mais c’est ridicule d’opposer sanitaire et économie ou sociale dans une telle crise. L’économie, de même que la santé mentale des Français, ira mieux quand on sera sortis de la crise. » Reste à savoir quand.

Source 20 MINUTES.

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