Coronavirus : Les hôpitaux risquent-ils une pénurie des médicaments utilisés en réanimation ?…

MEDICAMENTS Dans les services de réanimation, les médecins redoutent la pénurie de médicaments utilisés dans la prise en charge des cas les plus graves de coronavirus.

Coronavirus : Les hôpitaux risquent-ils une pénurie des médicaments utilisés en réanimation ?

  • L’afflux massif de patients atteints du Covid-19 dans les services de réanimation mobilise beaucoup de ressources pour assurer la meilleure prise en charge possible.
  • De nombreux médicaments sont nécessaires à cette prise en charge thérapeutique globale, mais les médecins redoutent une pénurie de certaines molécules indispensables, et s’organisent pour éviter d’en manquer.
  • Un risque qui ravive le débat autour de la réindustrialisation française du secteur pharmaceutique, aujourd’hui dépendant de l’Asie.

« Les hôpitaux seront bientôt à court de médicaments essentiels pour traiter les patients atteints du Covid-19 hospitalisés en unités de réanimation ». Ce mardi, dans une lettre adressée à leurs gouvernements respectifs, neuf des plus grands hôpitaux d’Europe appellent à des mesures d’urgence pour éviter une pénurie de médicaments essentiels, tels que les curares, corticoïdes ou antibiotiques. « En l’absence de collaboration européenne pour garantir un approvisionnement continu en médicaments », et « au rythme actuel de consommation, les stocks seront épuisés dans quelques jours dans les hôpitaux les plus durement touchés, et dans deux semaines » pour les autres, redoutent ces soignants – dont l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP)- membres de l’Alliance européenne des hôpitaux universitaires.

« Il y a potentiellement une pénurie de médicaments de réanimation à venir », a aussi déclaré le Pr Bruno Riou, directeur médical de crise de l’AP-HP. Et pour cause, « la demande de certains médicaments explose de 2.000 % dans le monde, ce qui crée des mouvements de tension », a confirmé ce mardi le ministre de la Santé,Olivier Véran, durant les questions au gouvernement à l’Assemblée. A quoi ces médicaments servent-ils ? Comment les personnels soignants peuvent-ils composer avec ce risque de pénurie ? Et comment éviter ce risque ?

L’explosion de la demande des médicaments utilisés en réanimation

En contact avec l’Agence du médicament (ANSM) et « certains laboratoires en direct », François Crémieux, directeur général adjoint de l’AP-HP, a indiqué que « sur les curares, il semblerait que les capacités de production puissent être de nature rassurantes ». Mais les besoins explosent. « Les capacités initiales de la France étaient de 5.000 lits de réanimation. Elles ont été augmentées (…) à 10.000. Désormais, nous souhaitons atteindre un objectif de 14.000 à 14.500 lits de réanimation sur tout le territoire », déclarait en fin de semaine Olivier Véran.

Alors que la situation est de plus en plus tendue en Ile-de-France, les services de réanimation de la région poussent les murs. « Nous avons triplé nos capacités en passant de 16 à 50 lits, indique à 20 Minutes le Pr Elie Azoulay, chef du service de réanimation de l’hôpital Saint-Louis, à Paris. Et ce grâce à la mobilisation sans faille de nos équipes soignantes, et au renfort de collègues médecins et infirmiers de la réserve sanitaire. Cela nous permet d’assurer une prise en charge holistique aux patients. On leur parle, on les rassure, et on veille à ce que les familles, folles d’inquiétude et dont le rôle sera central à la fin de l’hospitalisation, soient associées et informées tous les jours ».

Malgré cette mesure, la saturation guette. Le nombre de patients devrait encore augmenter, mais les réserves des pharmacies hospitalières se réduisent comme peau de chagrin. « En réanimation, quand nous prenons en charge un patient avec un syndrome de détresse respiratoire aiguë, nous le plaçons sous ventilation mécanique, sur le ventre, et sous sédation, pour optimiser son oxygénation, décrit le Pr Azoulay. Pour dispenser ces soins de base, nous administrons une association de curares, d’anesthésiques et d’analgésiques pour permettre un relâchement musculaire et une sédation, et rendre la respiration artificielle confortable et sans douleur. Mais aussi des corticoïdes – différents des anti-inflammatoires non-stéroïdiens, qu’il ne faut surtout pas prendre en cas de Covid-19 – pour lutter contre la réponse inflammatoire de l’organisme provoquée par le coronavirus sur les structures vasculaires et les organes, et qui explique pour partie l’aggravation brutale de l’état de certains patients, explique le médecin réanimateur. Or, tous ces médicaments sont tellement utilisés que nous craignons d’en manquer dans les prochains jours ».

Optimiser les stocks

Curares, hypnotiques, corticoïdes, antibiotiques : « les produits qui sont en forte tension sont connus », a abondé François Crémieux. Les trente-cinq hôpitaux franciliens « ont fait remonter les quatre ou cinq classes thérapeutiques sur lesquelles les risques étaient importants, du fait du nombre de patients qui vont être pris en charge tout au long du mois d’avril ». Mais « la pénurie déborde largement de la France et est européenne », avec « des enjeux de juste répartition entre l’ensemble des hôpitaux », a souligné le Pr Crémieux. « Nous sommes dans une situation à flux tendu, a reconnu ce lundi, sur France 5, Nathalie Pons-Kerjean, cheffe du service de pharmacie à l’hôpital Beaujon de Clichy (Hauts-de-Seine). On travaille sur l’optimisation de nos stocks ». Comment ? Pour éviter la rupture, un groupe de médecins anesthésistes et de réanimation de l’AP-HP a élaboré un texte, qui « explique en détail les bons principes d’économie » de ces « produits précieux », a expliqué le Pr Riou. Plusieurs méthodes permettent en effet d’atteindre « l’efficacité sans dépasser la dose et en s’adaptant » : appareils mesurant « la profondeur d’anesthésie » ou « le degré de curarisation », médicaments pour « potentialiser » l’effet des hypnotiques. « On peut obtenir une réduction de 20 % sur la consommation de ces produits (…) sans qu’il y ait de conséquences importantes pour les patients », a estimé le Pr Bruno Riou.

A l’hôpital Saint-Louis, le Pr Azoulay applique ce protocole d’optimisation des traitements. « Nous avons aussi recours à des traitements alternatifs, dont l’usage est en temps normal peu répandu en réanimation, mais qui ont fait leurs preuves, comme la kétamine ou les barbituriques. Et nous incluons un certain nombre de patients dans les protocoles d’essais cliniques sur différents médicaments, dont l’hydroxychloroquine. Nous ne sommes aujourd’hui pas à cours de solutions thérapeutiques, nous sommes approvisionnés pour le moment, mais la situation nous inquiète ».

« Il y a une priorisation au niveau régional, par les ARS, de la répartition des stocks. Nous renforçons les approvisionnements par un sourcing accru en lien avec l’Agence du médicament, a assuré ce mardi le ministre de la Santé. Partout où c’est nécessaire, nous identifions avec les soignants des alternatives pour certains médicaments s’ils venaient à manquer demain ».

La question de la réindustrialisation du secteur pharmaceutique en France

Si cette pandémie fait peser une lourde tension sur le marché mondial du médicament, le phénomène des pénuries n’est pas nouveau en France. Depuis que les grands groupes pharmaceutiques ont délocalisé la production d’un grand nombre de médicaments hors de l’Union européenne, principalement en Inde et en Chine, pour réduire les coûts de production, les ruptures d’approvisionnement se multiplient. « Ces pays sont aujourd’hui les premiers fournisseurs mondiaux des principes actifs entrant dans la composition de médicaments dont le prix de vente est peu élevé, mais qui comptent parmi les plus utilisés par les patients », expliquait à 20 Minutes, avant le début de l’épidémie, le Pr François Bricaire, ancien chef du service des maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. « Ils produisent les principes actifs de 80 % des médicaments passés dans le domaine public ».

Mais aujourd’hui, entre les usines de production mises à l’arrêt en Chine pendant plusieurs semaines, la décision de certains pays producteurs de médicaments (Inde et Etats-Unis) de ne plus exporter de principes actifs, et l’explosion mondiale de la demande de médicaments nécessaires à la prise en charge des cas les plus graves de coronavirus, le risque de pénurie pour ces médicaments représente une menace sans précédent. « La pandémie met notre système de santé à rude épreuve (…), de nombreux professionnels s’alarment d’une réduction importante des stocks [de médicaments, dont le curare] dans les hôpitaux », a souligné le député LREM Michel Lauzzana ce mardi à l’Assemblée. Le parlementaire a ainsi interrogé le gouvernement sur les pistes envisagées pour « relocaliser la production de médicaments et de matières premières » en France.

« La situation actuelle pose la question majeure de l’indépendance de la France et de l’Europe en matière de production de matériaux vitaux et essentiels », a reconnu mardi le ministre de la Santé. « Il faut bâtir la souveraineté industrielle et technologique de la France et de l’Europe, plaidait pour sa part lundi, sur BFMTV, le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire. S’il peut sortir quelque chose de bon de cette crise, c’est une accélération de cette prise de conscience (…) qui doit se transformer concrètement ».

Le 24 février dernier, alors que l’épidémie de coronavirus progressait à vitesse grand V, Sanofi, géant français de l’industrie pharmaceutique, annonçait son intention de « créer un leader européen dédié à la production et à la commercialisation de principes actifs pharmaceutiques ». Une « nouvelle entité [qui] contribuerait à sécuriser la fabrication des principes actifs » et à « développer les capacités d’approvisionnement pour l’Europe (…) dans une industrie très dépendante de l’Asie ».

Source 20 MINUTES.

 

Pour marque-pages : Permaliens.