Handicap : A Brest, un stage aide les tout-petits atteints de paralysie cérébrale à gagner en autonomie grâce au jeu…

A Brest, un stage, qui s’inscrit dans un essai clinique, vise à permettre à des enfants atteints de paralysie cérébrale de marcher, s’habiller ou monter des escaliers.

A Brest, à la fondation Ildys, 9 enfants sont encadrés chacun par deux professionnels pour les aider à gagner en autonomie.

 

  • Aujourd’hui en France, un enfant naît toutes les six heures avec une paralysie cérébrale. Un handicap méconnu qui touche 125.000 Français et qui est la première cause de handicap moteur chez l’enfant.
  • Mais 2021 pourrait marquer un tournant dans la prise en charge de ces enfants dès leur plus jeune âge. En septembre, de nouvelles recommandations devraient être publiées par la Haute Autorité de santé.
  • Surtout, un grand projet européen vise à prouver qu’une méthode intensive et ludique (HABIT-ILE) permettrait d’accroître l’autonomie de ces enfants. 20 Minutes est allé à Brest, à la rencontre des professionnels qui organisent un stage basé sur cette méthode et des familles qui en bénéficient.

« Bonjour les amis ! », chante Rodolphe, guitare à la main, assis sur de minuscules tabourets sous les arbres, entourés d’une trentaine d’adultes et d’enfants. Nous ne sommes pas dans une crèche lambda, mais au cœur d’un essai clinique original. A la Fondation Ildys, à Brest, neuf enfants âgés de 18 mois à 4 ans et atteints de paralysie cérébrale suivent pendant deux semaines un stage de rééducation intensive, à base de cache-cache, de Puissance 4, de chansonnettes et de dînette.

Un projet pour tester une méthode innovante de réadaptation

Ce mardi matin, Mathilde et Lewis ont rendez-vous aux jeux extérieurs sous une bruine toute bretonne. Quand Mathilde montre des signes de fatigue, Valérie lui « vole » son bolide taille 4 ans… pour l’encourager à remonter dessus. « Heureusement, le ridicule ne tue pas », s’amuse l’ergothérapeute.

Entourés chacun de deux professionnels, souvent des kinés, Mathilde, Ruben, Alice, Romy et les autres apprennent à marcher, à tenir une cuillère… Pour ces enfants, nés prématurément ou après un AVC in utero ou une infection, le manque d’oxygène a détruit certains circuits du cerveau. Ce qui rend certains mouvements très difficiles.

Actuellement, la prise en charge (remboursée) de la paralysie cérébrale se limite à deux séances de kinésithérapie par semaine. Chronophage pour les parents et pénible pour les enfants, dont la scolarité se retrouve amputée. Voilà pourquoi la Fondation Paralysie Cérébrale a choisi de financer, à hauteur de 1,5 million d’euros, un grand projet européen. « Notre protocole vise à vérifier que la méthode HABIT-ILE, utilisée chez les enfants de plus de 6 ans, serait tout aussi efficace, voir plus, chez des enfants entre 1 et 4 ans », explique Sylvain Brochard, professeur de réadaptation pédiatrique au CHRU de Brest, qui chapeaute ce projet initié en 2019. Car la plasticité cérébrale à cet âge pourrait permettre de créer de nouveaux circuits dans le cerveau.

Une méthode qui s’appuie sur deux exigences : l’intensité, puisqu’on parle d’un stage de deux semaines, avec cinq heures par jour d’ « exercices ». Et surtout le côté ludique, puisque chaque enfant se voit proposer quantité de jeux. Lesquels sont pensés en amont par les professionnels, pour que chaque enfant puisse atteindre cinq objectifs, réalistes et surtout définis par les professionnels avec les familles. Comme tenir une cuillère, monter des escaliers ou s’habiller seul. « En moyenne, 80 à 85 % des objectifs sont atteints, c’est-à-dire que les enfants sont en mesure de reproduire ces gestes chez eux », s’enthousiasme Rodolphe, kiné et coordinateur de ce stage à Brest. « On ne vend pas du rêve, nuance Sylvain Brochard​. Mais la majorité des parents nous disent à la fin du stage « Quand est-ce qu’on recommence ? » On voit un boost de développement et d’acquisition. » Sur le long terme ? « Six mois plus tard, ils coupent toujours leur viande ou font du vélo, assure le chercheur. Car ce sont toujours des gestes utilisés dans le quotidien, donc répétés à la maison. »

« Les enfants progressent et c’est grâce à vous ! »

On devine, à travers les jeux inventifs et toujours renouvelés, le but des professionnels. Ruben, qui adore la dïnette, s’amuse à vendre des croissants et du maïs à Lucie, qui l’encourage. Elle calcule discrètement combien de temps l’enfant tient bien assis.

A 11h30, les pique-niques recouvrent les tables de jeux. Mais ce n’est pas pour autant un temps de repos. Romy, une Franco-Anglaise venue de Londres, arrive à manger sa compote avec deux cuillères différentes en attrapant le pot, pendant que Camille détourne son attention avec un livre de chansons.

Romy apprend à manger en tenant sa cuillère dans une mains et le pot de compote dans l'autre tout en écoutant des comptines.

Le midi, les parents viennent récupérer des enfants bien fatigués par toute cette stimulation et ces rires. Et après la pause déjeuner, c’est le débriefing de l’équipe. Pendant une heure, chaque binôme passe en revue les progrès et les difficultés rencontrés. « Pour mettre le manteau, la négociation est dure avec Mathilde, reconnaît Valérie. Ce n’est pas très fun comme activité. » « Il faut trouver une autre carotte », répète souvent Rodolphe.

Sylvain Brochard passe alors une tête… et quelques encouragements. « Les enfants progressent et c’est grâce à vous ! Continuez de vous amuser ! » « On a l’impression d’être en colonie », confie Valérie, l’ergothérapeute malicieuse de Mathilde.

Tous les midis, toute l'équipe se réunit pendant une heure pour débriefer et voir comment adapter encore les jeux aux progrès et difficultés des enfants.

« On réfléchit par objectif, à partir des besoins et des envies de l’enfant »

Cette petite fille de 3 ans et demi compte parmi ses objectifs de monter des escaliers avec une rampe à droite, pour pouvoir se déplacer dans sa maison (où la rampe de l’escalier est à droite), et de mettre son manteau seule… « Mais elle souhaitait aussi apprendre à faire du vélo. Ça ne va pas changer son autonomie mais c’est important d’écouter aussi le désir de l’enfant », se réjouit sa mère, Emeline. Qui attendait depuis deux ans de pouvoir emmener sa fille de Lyon à Brest pour participer à ce stage. Entre le Covid-19 et la varicelle qui s’est invitée en dernière minute, « j’ai cru qu’on ne pourrait jamais monter dans l’avion », soupire-t-elle.

Si Mathilde suit chaque semaine à Lyon trois séances d’ergothérapie, de kiné et d’orthophoniste, sa mère semble persuadée que ce stage lui fera le plus grand bien. « Ici, on réfléchit par objectif, à partir des besoins et des envies de l’enfant. Le professionnel n’intervient pas, ne touche pas l’enfant. Et il y a une énergie, un enthousiasme, une joie… Pour nous, aucun doute, la méthode est efficace. On espère vraiment que ces thérapies seront un jour généralisées. »

Pour que Mathilde, 3 ans, arrive à manger seule, ses accompagnatrices ont eu l'ingénieuse idée d'ajouter à son assiette un stylo scotché. Le repas est aussi un moment où les enfants travaillent leur mobilité, sans forcément s'en rendre compte.

Faire évoluer la prise en charge des tout-petits

C’est tout l’enjeu de ce stage, qui s’inscrit donc dans un essai clinique. Pour respecter la méthode scientifique, il a fallu trouver des enfants avec les mêmes handicaps. Pour comparer de façon objective, certains ont une prise en charge habituelle, pendant que d’autres bénéficient du stage intensif. Et à l’aide d’IRM et d’études sur leurs capacités de mouvements, les chercheurs peuvent vérifier, trois mois après, si le stage apporte un bénéfice évident et durable. Sachant que tous les « enfants témoins » ont tout accès au stage, une fois tous les examens terminés.

En tout, seize stages menés à Brest, Angers, Pise (Italie) et Bruxelles (Belgique) auront été proposés à cent enfants en l’espace de deux ans. Certains avaient une atteinte unilatérale (à droite ou à gauche), d’autres sont plus handicapés, car l’atteinte touche les deux côtés du corps. Les chercheurs espèrent objectiver et analyser toutes les données d’ici à la fin 2022. « Aujourd’hui, je ne suis pas en état de prouver que la thérapie fonctionne », reprend Sylvain Brochard. Si c’est le cas, « on va sûrement être obligé de s’adapter et de proposer très tôt des thérapies de jeu et intensives telles qu’elles sont proposées ici. C’est ça qui pourrait changer. »

Source 20 MINUTES.