Gérard, Chrystèle et Josiane, aidants de malades d’Alzheimer, veulent construire une maison collective à Poligné (Ille-et-Vilaine), pour mieux accueillir les personnes atteintes.
Accompagner le malade le plus longtemps possible. Lui trouver une place, quand le garder à la maison n’est plus envisageable. Le changer d’endroit, lorsque l’établissement n’est pas adapté à la maladie. En parallèle, gérer une montagne de papiers administratifs. Et au milieu de tout ça, accuser le coup comme on peut.
C’est le parcours qu’a connu Gérard Gautron, en tant qu’aidant d’un proche atteint de la maladie d’Alzheimer. Avec Chrystèle Gérard et Josiane Pinard, le Castelbriantais (Loire-Atlantique) a fondé en 2018 l’association Raison d’Êtres, qui œuvre en faveur d’un meilleur traitement des malades et leurs aidants.
Des Ehpad non adaptés à la maladie
Lorsque sa femme est tombée malade, Gérard Gautron est resté à ses côtés le plus longtemps possible. « Une crise plus grave que les autres l’a emmenée à l’UCC (Unité cognitivo-comportementale) de Pouancé. Mais c’est un accueil temporaire. »
L’homme, âgé de 68 ans, trouve ensuite une place dans un Ehpad du coin. Une expérience courte et traumatisante :
J’ai été prié de récupérer ma femme au bout de trois semaines. Ils l’ont foutue dehors. Une malade d’Alzheimer qui déambule jour et nuit, ça dérange les autres résidents.
En septembre 2018, son épouse revient à l’UCC de Pouancé, avant d’être placée dans la nouvelle unité d’hébergement renforcée (UHR) de Châteaubriant, où elle est toujours aujourd’hui. « C’est une unité spécialisée pour accueillir des résidents atteints de la maladie d’Alzheimer ou de maladies neuro-dégénératives », précise-t-il.
Gérard Gautron a encore la gorge nouée aujourd’hui lorsqu’il parle de ces mois d’incertitude.
À l’annonce de la maladie, on vous donne juste un rendez-vous avec un neurologue six mois plus tard. À l’Ehpad, on m’a demandé si je m’étais occupé des mesures juridiques, testament, curatelle, démarches de fin de vie… On m’a dit qu’il fallait faire vite et on m’a laissé me débrouiller. C’est quand on est déjà dedans qu’on cherche à vous enfoncer.
Mort de dénutrition
À l’UCC de Pouancé, Gérard Gautron rencontre Chrystèle Gérard, fin 2018. Lorsqu’il entend l’infirmière parler de l’approche humaniste Carpe Diem, qui donne la priorité à la relation humaine, à la personne atteinte d’Alzheimer avant la maladie elle-même, ses mots lui font aussitôt écho.
Elle-même est là pour accompagner Josiane Pinard et son mari, Charles, atteint d’une maladie neurodégénérative de type Alzheimer. « Je travaille dans une petite structure d’accompagnement personnalisé. J’ai accompagné Josiane pendant huit mois, jusqu’à la mise en structure de Charles », précise l’infirmière naturopathe de 41 ans.
Le couple est confronté aux mêmes difficultés que Gérard Gautron et son épouse. Charles est placé dans un premier temps dans un Ehpad à Pornichet. « J’ai vu la dégringolade, confie Chrystèle Gérard. Perte de 11 kg, perte du langage, des comportements de plus en plus compliqués… »
Elle poursuit :
« J’ai vu Josiane démunie, beaucoup de tristesse et surtout avec un fort sentiment de culpabilité et de perte de contrôle. En tant que professionnelle, je me suis dit que ce n’était pas possible de ne pas laisser de place comme ça aux aidants. C’est là que j’ai commencé à avoir l’idée d’une petite maison pour aidants et malades, avec un accompagnement personnalisé. »
Au bout de sept mois, Charles est retiré de cet Ehpad. Après un passage à l’UCC de Pouancé, il est placé dans le même Ehpad que celui où l’épouse de Gérard était restée trois semaines.
Le mari de Josiane est décédé à l’hôpital. Sur le rapport, Josiane a lu qu’il était mort de dénutrition. Comme il faisait des fausses routes, le personnel de l’Ehpad avait arrêté de le nourrir. Quand elle a vu ça, elle a fait un AVC. Elle n’a pas pu assister à son enterrement.
L’approche Carpe Diem
Marqués par leurs expériences individuelles traumatisantes, l’infirmière et les deux aidants décident dès leur rencontre de fonder leur association, pour accompagner au mieux les malades et leurs proches. « Alzheimer est une maladie très mal appréhendée de manière globale, et encore plus en France, où les personnes atteintes sont mises dans le même lot que les autres malades », explique Gérard Gautron.
Chrystèle Gérard abonde :
La maladie touche des personnes de plus en plus jeunes. Les Ehpad ne sont pas adaptés, ni les établissements de masse. En 2017, il y avait 616 personnes diagnostiquées par jour contre 739 en 2018. En 2034, une personne sur quatre sera aidante.
Dès la naissance de Raison d’Êtres germe l’idée de créer une structure d’accueil, complètement adaptée aux malades d’Alzheimer, qui mettrait en application l’approche humaniste Carpe Diem, que Chrystèle Gérard a découvert lors de ses études au Québec. « C’est une approche de Nicole Poirier. Elle avait une maison de famille, au Canada, qui ne servait plus. Elle a décidé d’accueillir des personnes malades et leurs aidants. Le but était que les malades se sentent chez eux. »
L’infirmière précise :
Avec Carpe Diem, on cherche à connaître le fond de la personne, savoir ce qu’elle sait encore faire ou aimerait faire, utiliser ses compétences. On définit un projet de vie individuel, avec ses besoins et ressentis. Il faut qu’elle garde sa dignité et le contrôle de sa vie. On met la personne au centre de sa prise en charge.
Le projet d’habitat
Depuis trois ans, le trio a travaillé sur son projet, avec l’incubateur Tag35, ainsi qu’un architecte. Gérard, Chrystèle et Josiane ont mis au point un concept d’habitat novateur, qui comporterait trois éco-bâtiments : un hébergement à temps plein, pour huit personnes, un accueil de jour, du lundi au vendredi, pour huit personnes également, et un habitat inclusif, pour cinq à sept personnes.
« Dans ce dernier espace, les personnes seraient locataires et auraient leur appartement, tout en profitant d’espaces communs, comme une buanderie, un lieu de restauration… On pourrait accueillir des couples dont une personne est malade et l’autre non. »
L’accueil de jour disposerait par ailleurs d’un espace de formation, ainsi que d’une chambre, pour les aidants. « Ils pourraient recevoir une aide juridico-administrative, être formé pour mieux connaître la maladie, accéder à des groupes de parole… », précise l’infirmière.
Pour fonctionner, la structure aurait besoin de 21 personnes en équivalent temps plein, soit un soignant pour moins de deux résidents, contre un pour six à 11 résidents en Ehpad actuellement.
« On en profiterait pour promouvoir les dynamiques locales, en faisant travailler les associations, artisans et producteurs du coin », ajoutent Chrystèle et Gérard.
Au total, l’association aurait besoin de 2,5 millions d’euros pour construire les maisons, et 2,5 millions supplémentaires pour les deux premières années de fonctionnement.
Une rencontre avec le ministre en septembre
Ces dernières semaines, le projet de Chrystèle, Gérard et Josiane a pris un tournant. Le trio a rencontré l’ARS, le bailleur social officiel d’Ille-et-Vilaine et le député Gaël le Bohec. « Il nous a vraiment ouvert des portes », soulignent-ils.
Le député a notamment fait remonter leur projet dans les hautes sphères, jusqu’au ministre de la Santé.
Dans le cadre de la loi Grand âge et Autonomie, étudiée à l’automne, on pourrait obtenir un agrément et les financements nécessaires, en tant que concept novateur reproductible ailleurs.
Chrystèle, Gérard et Josiane rencontreront Olivier Véran et Brigitte Bourguignon, ministre déléguée chargée de l’Autonomie, en septembre 2021.
En parallèle, la municipalité de Poligné a voté le 30 juin 2021, à l’unanimité, l’implantation du projet dans la commune, avec l’affectation d’un terrain de 6000 m2, en face de l’IME. « Cela permettrait de mutualiser certaines ressources », souligne Chrystèle Gérard.
Une fois les financements obtenus, Chrystèle, Gérard et Josiane visent trois à cinq ans pour donner naissance à leur projet d’habitat, pour que d’autres malades et aidants n’aient plus à vivre ce qu’ils ont traversé.
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Source ACTU BRETAGNE.